A la demande de quelques internautes en provenance d'autres sites, je réactualise ci-dessous deux ou trois billets consacrés à l'historienne (je souligne à destination du contributeur wikipédia qui m'interrogeait en ce sens...) Marion Sigaut.
Quelques pièces dans lesquelles puiser comme bon vous semble...
Quelques pièces dans lesquelles puiser comme bon vous semble...
Bien à vous, O Marchal
***
La conférence de mars 2013, consacrée à la libéralisation du commerce du blé (à Nantes, voir ici), illustre parfaitement la méthode qu'emploie Marion Sigaut pour parvenir à ses fins.
Ainsi, en qualifiant d'emblée l'Encyclopédie (à partir de la 9è minute) d'entreprise
"franc-maçonne" (sans doute en référence aux Libraires en charge du projet ???) puis les philosophes de
"secte", elle joue sur les
connotations négatives de ces termes pour rejeter d'un bloc les Lumières dans
le camp du mal. A ces Encyclopédistes qui diffusent non pas "du savoir mais de l'idéologie", elle associe les
parlementaires jansénistes, véritables bêtes noires de l'historienne.
En face d'eux se dressent les seuls Jésuites, évidemment
vertueux car "partisans de plus d'éducation pour le plus grand nombre" (encore faudrait-il préciser
le contenu de cette éducation, ainsi que ceux et celles qui en sont exclus !).
Après avoir défini les forces en présence, elle entre dans
le vif du sujet (10è minute) et évoque l'expérience menée par les physiocrates à partir de
1763, et conclue par l'abrogation des lois frumentaires en 1770. Là encore,
Marion Sigaut choisit de forcer le trait, prétendant que les "élucubrations" de ces économistes ont
été cause des famines, des disettes et des révoltes qui ont eu lieu au cours de cette
période. A l’entendre, Louis XV apparaîtrait presque comme le jouet docile de la
Pompadour, celle-ci étant bien évidemment à la solde de la secte philosophique…
Alors que rien ne l'imposait, sinon le seul problème de "l'enlèvement de grains pour le
compte de Paris", le roi se serait naïvement lancé dans l’invraisemblable projet de
réformes envisagé par les physiocrates.
Pour étayer son propos, l'historienne dresse un tableau
idyllique de l'agriculture sous l'Ancien Régime, rappelant que le roi était jusqu’alors
le "père nourricier" du peuple français, qu'il avait pour seule "obsession" que "tout le monde mange", que la police des grains
était chargée de s'assurer "que toute la France était approvisionnée", que la réglementation sur l'enregistrement des
marchands de grains empêchait toute fraude et que dans ce monde quasi parfait,
on se rendait tranquillement au "marché local" pour s'approvisionner, la "taxation" (imposée par l'autorité royale) se chargeant d'assurer le "juste prix" des denrées...
A ce compte-là, me direz-vous, il fallait que le roi fût
bien sot et bien naïf pour s'aventurer dans un projet de réforme aussi
hasardeux qu'inutile. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre Mme Sigaut, en
prétendant qu'il n'y comprenait rien...
Pour l'historienne (et on saisit l'intérêt de sa démarche),
il s'agit d'idéaliser le passé, de l'ériger en âge d’or, pour mieux dénoncer la
période qui va suivre.
Sauf que son propos, quoique séduisant, ne résiste guère à
l'examen des faits.
Sous Louis XIV (soit 50 ans avant ces réformes !), Fénelon
dressait déjà le constat amer que "la culture des terres est presque abandonnée". Pour comprendre ce
phénomène a priori paradoxal, il faut rappeler que si 90% des propriétaires
sont alors issus du monde paysan, ils sont le plus souvent confrontés à une
situation décourageante : d'une part, la très petite superficie de leurs
propriétés (à l'opposé du modèle anglais qui avait accompli sa mue), et d'autre
part une fiscalité accablante. Face à un système seigneurial qui bénéficie
largement de l'impôt, la petite paysannerie doit souvent se résoudre à la
misère ou tenter sa chance dans la ville la plus proche.
Les physiocrates (et plus tard Turgot) ont évidemment pris
conscience de cette crise du monde paysan. La suppression de la corvée royale
(jusqu'à vingt jours par an !) est par exemple destinée à améliorer la
productivité. La volonté d’instaurer un impôt unique illustre quant à elle la
recherche d’une fiscalité plus juste.
A entendre Marion Sigaut, on pourrait croire que les
problèmes de disette et de famine (mais aussi celui des accapareurs qui stockaient clandestinement le grain) sont apparus
suite à l'expérience libérale des années 1763-1770.
On passera très rapidement sur la question des famines,
tant celle des années 1709-1710, et à un degré moindre la "crise de subsistance" des années 1723-1724, ont
marqué les esprits du XVIIIè siècle. On notera d'ailleurs que pendant ces mêmes
périodes, les grains ont circulé entre provinces (exemptés de droits d'octroi
et de péage...), l'autorité royale allant jusqu'à en importer de l'étranger
pour parer au plus pressé.
En réalité, si les physiocrates ont obtenu l'oreille du roi
(après 1763), c'est qu'ils proposaient une réponse aux problèmes qui minaient
depuis toujours l'agriculture du royaume :
- une fiscalité indirecte inextricable et décourageante qui
constituait un frein à l'activité
- une circulation des grains quasi inexistante entre
provinces, notamment en période de disette dans telle ou telle région
- la question des accapareurs, mentionnée tout au long du
siècle dans les journaux et gazettes.
Ainsi, l'édit royal du 19 avril 1723 faisait déjà
"défense à
toute personne de faire aucun amas de grains", ordonnant de les porter "chaque semaine aux plus
prochains marchés", interdisant aux marchands de "les amasser et de les garder au-delà de ce qui leur est
nécessaire pour leur subsistance". A la même époque, dans son Traité de la police, le commissaire de La Mare évoquait lui aussi le "gain criminel" obtenu par ces mêmes accapareurs.
Ces tentatives de spéculation étaient donc monnaie courante (ce que Marion Sigaut se garde bien de souligner), même lorsque les récoltes se révélaient satisfaisantes.
Ainsi, en 1755, le Journal Oeconomique note que "la grande abondance a toujours été suivie de disette" car "faisant tomber" les cours "à vil prix", elle "dégoûte les uns de vendre et excite les autres à faire des amas". La raison d'un tel comportement est aisée à comprendre: "la disette a pour racine les amas de blé que font les particuliers, les uns par trop de précipitation, les autres par un esprit d'avarice et d'usure". Le ministre d'Aguesseau expliquait pour sa part (dès 1748 !) que la surveillance excessive des marchands nuisait à l'approvisionnement des villes et que la liberté de circulation devenait le seul moyen de résoudre ce problème.
Ces tentatives de spéculation étaient donc monnaie courante (ce que Marion Sigaut se garde bien de souligner), même lorsque les récoltes se révélaient satisfaisantes.
Ainsi, en 1755, le Journal Oeconomique note que "la grande abondance a toujours été suivie de disette" car "faisant tomber" les cours "à vil prix", elle "dégoûte les uns de vendre et excite les autres à faire des amas". La raison d'un tel comportement est aisée à comprendre: "la disette a pour racine les amas de blé que font les particuliers, les uns par trop de précipitation, les autres par un esprit d'avarice et d'usure". Le ministre d'Aguesseau expliquait pour sa part (dès 1748 !) que la surveillance excessive des marchands nuisait à l'approvisionnement des villes et que la liberté de circulation devenait le seul moyen de résoudre ce problème.
In fine, sous l'influence des
physiocrates, Louis XV tentera par la déclaration du 25 mai 1763 de revivifier cette agriculture somnolente et de trouver un remède contre les fléaux réunis du monopole et de l'accaparement. Revoyons le détail de cette déclaration : "persuadés que rien n'est plus propre à arrêter les inconvénients du monopole qu'une concurrence libre et entière dans le commerce des denrées nous avons cru devoir restreindre la rigueur des règlements précédemment rendus pour encourager les cultivateurs dans leurs travaux". Et de prendre les mesures qui suivent : "permettons à tous nos sujets... de faire ainsi que bon leur semblera, dans l'intérieur du royaume, le commerce des grains" (Article 1)"défendons... à tous nos sujets
qui jouissent des droits de péage, passages, pontonages... d'exiger un desdits
droits sur les grains, famines ou légumes qui circulent"; "permettons.... à tous nos sujets
de transporter librement d'une province du royaume dans une autre toutes
espèces de grains et denrées"(Article 3).
Il ne s'agissait donc en aucun cas d'"élucubrations", comme le laisse entendre
Marion Sigaut, mais plutôt d'une tentative quasi unanimement saluée (même par
le journaliste Fréron, qui n'était jamais tendre avec les proches des Encyclopédistes !!!) d'apporter de l'huile
dans les rouages d'un mécanisme grippé. Il va de soi qu'en dénonçant le système
fiscal colbertien ainsi que certains privilèges, en proposant l'impôt unique
(pour tous !) fondé désormais sur le produit de l'agriculture et non plus sur
une estimation, les physiocrates puis Turgot (après 1774) se sont attiré les
foudres des privilégiés qui ponctionnaient la classe paysanne. L'historienne
n'en dit mot, mais les bénéficiaires de l'impôt avaient tout intérêt à ce que
la réforme échoue... Pour être tout à fait complet et tenter d'expliquer
l'échec de cette première aventure libérale, on aurait pu également évoquer les
mauvaises récoltes (et à nouveau les accapareurs
à partir de 1766 !) ainsi que la crise du commerce international après la
guerre de 7 ans.
Quelques années plus tard, en remettant en cause certains
privilèges ecclésiastiques et nobiliaires, Turgot se heurtera d'ailleurs aux
mêmes réticences.
Avant de connaître lui aussi l'échec...
Avant de connaître lui aussi l'échec...
***
Adoubée par Alain Soral, Marion Sigaut bénéficie du réseau
de l'association Egalité et
Réconciliation pour diffuser un discours d'autant plus précieux qu'il
s'oppose au consensus quasi généralisé (et mou...) autour de l'histoire du
XVIIIè siècle. Ses propos sur l'avènement du libéralisme, sur la mutation d'une
société d'ordres vers un société de classes, sur le grand Voltaire et ses infamies... ont largement été relayés sur ce
blog.
Je les ai applaudis, commentés, nuancés voire
contestés...
Car pour séduisante qu'elle paraisse, l'analyse avancée par
Marion Sigaut se révèle souvent caricaturale et manichéenne dès lors qu'on
prend en compte la complexité des faits. Munie de sa grille de lecture, l'historienne passe la réalité historique au tamis et n'en conserve que les éléments
blancs ou noirs destinés à étayer sa thèse. Tous les grumeaux (allant du gris clair au gris
foncé) retenus par ce crible sont malheureusement oubliés ou niés.
De fait, les
principaux acteurs du siècle dit des Lumières trouvent naturellement leur place
dans ce schéma binaire établi par l’historienne. Quant à sa thèse, elle aussi
très alléchante, on pourrait la formuler comme suit :
Incarné par un pouvoir temporel attaché au bien commun (le roi, l'aristocratie) et un pouvoir spirituel tout aussi bienveillant (l'Eglise et son principal fer de lance, l'ordre des Jésuites), l'ancien régime aurait été victime d'un vaste complot ourdi par les forces maléfiques des parlementaires jansénistes alliés aux Encyclopédistes athées, eux-mêmes soutenus par des puissances occultes (entendez : les francs-maçons ainsi que le monde de la finance) pour hâter l'avènement du libéralisme le plus sauvage.
Incarné par un pouvoir temporel attaché au bien commun (le roi, l'aristocratie) et un pouvoir spirituel tout aussi bienveillant (l'Eglise et son principal fer de lance, l'ordre des Jésuites), l'ancien régime aurait été victime d'un vaste complot ourdi par les forces maléfiques des parlementaires jansénistes alliés aux Encyclopédistes athées, eux-mêmes soutenus par des puissances occultes (entendez : les francs-maçons ainsi que le monde de la finance) pour hâter l'avènement du libéralisme le plus sauvage.
Les plus
observateurs parmi vous me rétorqueront qu'il n'y a là rien de bien nouveau et
qu'en son temps, Barruel se livrait déjà à de semblables spéculations.
C’est exact.
Sauf qu’aujourd’hui, alors que la doxa républicaine se voit soumise à un véritable tir de barrage,
une part importante du public trouve là matière à cultiver son ressentiment
vis-à-vis d'un système perçu comme oppressif.
***
Au cours de cette conférence donnée à Nantes en 2012, Marion Sigaut nie la réalité du combat mené par les hommes des Lumières contre ce qu'elle nomme "la barbarie judiciaire de l'Ancien Régime".
Pour étayer sa thèse, elle rappelle que jamais ils
n'ont daigné dénoncer le sort inhumain réservé à Damiens après sa tentative de
régicide. Sur ce point, évidemment, on ne peut que lui donner raison. Après
l'exécution, on ne trouve ni chez Diderot, ni chez Voltaire, la moindre trace
de compassion à l'égard du supplicié.
Et pour cause...
Bien des années plus tard, le patriarche de Ferney précisera sa position : "il est vrai que les assassinats prémédités, les parricides, les incendiaires, méritent une mort dont l'appareil soit effroyable. J'aurais condamné sans regrets Ravaillac à être écartelé" (lettre à Philippon, 1770).
Et pour cause...
Bien des années plus tard, le patriarche de Ferney précisera sa position : "il est vrai que les assassinats prémédités, les parricides, les incendiaires, méritent une mort dont l'appareil soit effroyable. J'aurais condamné sans regrets Ravaillac à être écartelé" (lettre à Philippon, 1770).
Pour sa part, loin d'abonder dans le sens de Beccaria
(favorable quant à lui à la suppression de la peine de mort), Diderot avancera
qu'"on ne saurait rendre l'appareil des supplices trop effrayant. Un cadavre
que l'on déchire fait plus d'impression que l'homme vivant à qui l'on coupe la
tête." , même
s'il concède dans le même temps qu' "un dur et cruel esclavage est donc une peine préférable à
la peine de mort, uniquement parce que la peine en est plus efficace."(Notes au Traité des délits et des
peines, 1771).
Afin de prouver "l'anti-humanisme" de ces philosophes, Marion Sigaut pointe du doigt leur absence de protestation (48è min) face à l'horreur du supplice. Et d'en déduire que leur réflexion sur les délits et les peines n'est elle aussi qu'un mythe fondé de toutes pièces par la doxa républicaine....
Admirable sophisme qui a dû laisser l'assistance stupéfaite !
Tentons donc de comprendre quel a été le véritable enjeu du combat des Lumières contre l'institution judiciaire du XVIIIè siècle.
Rappelons pour commencer que la procédure pénale était alors largement réglementée par une ordonnance datant d'août 1670 et dont vous trouverez le texte ici. Comme l'explique fort bien D. Jousse dans son Traité de justice criminelle (1771), on peut à cette époque différencier trois types de "crimes", selon l'"objet" auquel ils portent atteinte : les crimes de lèse-majesté (divine ou humaine) et ceux qui s'en prennent aux particuliers : la première catégorie comprend les blasphèmes, les impiétés, l'athéisme (...) ; la seconde comprend les attentats contre la personne du roi et son gouvernement ; la dernière catégorie est celle qui fait offense aux personnes (à leur corps, leur honneur, leurs biens...).
Ce préalable posé, expliquons quel fut le véritable objectif des Lumières (de Voltaire en particulier), à savoir laïciser la justice et la dépouiller de fondements théologiques qui confondent crime et péché.
Cette revendication imposait en parallèle une réflexion sur la proportionnalité des délits et des peines.
Plus tôt dans le siècle (dans l'Esprit des lois, en 1748), Montesquieu avançait déjà les mêmes propositions, à savoir que le blasphème et l'impiété ne devaient pas relever des hommes, mais uniquement de Dieu. Pour lui comme pour Voltaire, aucun principe religieux n'avait à interférer dans la pratique judiciaire. Le patriarche de Ferney dira avec la malice qui le caractérise : "il est absurde qu'un insecte croie venger l'être suprême. Ni un juge de village, ni un juge de ville, ne sont des Moïse et des Josué" (Commentaire sur le livre Des délits et des peines, 1766). Précisons avec Benoît Garnon (il enseigne à l'université de Bourgogne) que ledit Voltaire ne s'est véritablement intéressé à la question judiciaire (l'affaire Calas, notamment) que lorsqu'il était certain de pouvoir nuire à l'Eglise.
Il ne m'appartient pas de condamner le fonctionnement de la justice pénale du XVIIIè siècle. Pour donner sens au combat mené par les intellectuels des Lumières, je me contenterai donc de rappeler quelques cas de condamnation (j'ai volontairement souligné la nature du crime commis) :
- Arrêt du 4 décembre 1719 par lequel le nommé Claude Detence de Ville-aux-bois, pour blasphèmes, a été condamné à faire amende honorable in figuris, à avoir la langue percée, et aux galères à perpétuité.
- Autre arrêt de la Cour du 29 juillet 1748... par lequel Nicolas Dufour, pour avoir proféré plusieurs horribles et exécrables blasphèmes contre le Saint nom de Dieu, la Sainte Eucharistie et la Sainte Vierge, a été condamné à faire amende honorable nu en chemise et la corde au col, ayant écriteaux devant et derrière, portant ces mots, blasphémateur du Saint Nom de Dieu..., et ensuite à avoir la langue coupée et à être pendu, et son corps brûlé et réduit en cendres.
- Autre arrêt du 13 mars 1724... par lequel Charles Lherbé, nourricier de bestiaux, pour blasphèmes et impiétés exécrables a été condamné... à avoir la langue coupée et à être brûlé vif.
Vous trouverez ces cas mentionnés dans le Traité de justice criminelle (1771) (à partir de la page 266, ici)
Admirable sophisme qui a dû laisser l'assistance stupéfaite !
Tentons donc de comprendre quel a été le véritable enjeu du combat des Lumières contre l'institution judiciaire du XVIIIè siècle.
Rappelons pour commencer que la procédure pénale était alors largement réglementée par une ordonnance datant d'août 1670 et dont vous trouverez le texte ici. Comme l'explique fort bien D. Jousse dans son Traité de justice criminelle (1771), on peut à cette époque différencier trois types de "crimes", selon l'"objet" auquel ils portent atteinte : les crimes de lèse-majesté (divine ou humaine) et ceux qui s'en prennent aux particuliers : la première catégorie comprend les blasphèmes, les impiétés, l'athéisme (...) ; la seconde comprend les attentats contre la personne du roi et son gouvernement ; la dernière catégorie est celle qui fait offense aux personnes (à leur corps, leur honneur, leurs biens...).
Ce préalable posé, expliquons quel fut le véritable objectif des Lumières (de Voltaire en particulier), à savoir laïciser la justice et la dépouiller de fondements théologiques qui confondent crime et péché.
Cette revendication imposait en parallèle une réflexion sur la proportionnalité des délits et des peines.
Plus tôt dans le siècle (dans l'Esprit des lois, en 1748), Montesquieu avançait déjà les mêmes propositions, à savoir que le blasphème et l'impiété ne devaient pas relever des hommes, mais uniquement de Dieu. Pour lui comme pour Voltaire, aucun principe religieux n'avait à interférer dans la pratique judiciaire. Le patriarche de Ferney dira avec la malice qui le caractérise : "il est absurde qu'un insecte croie venger l'être suprême. Ni un juge de village, ni un juge de ville, ne sont des Moïse et des Josué" (Commentaire sur le livre Des délits et des peines, 1766). Précisons avec Benoît Garnon (il enseigne à l'université de Bourgogne) que ledit Voltaire ne s'est véritablement intéressé à la question judiciaire (l'affaire Calas, notamment) que lorsqu'il était certain de pouvoir nuire à l'Eglise.
Il ne m'appartient pas de condamner le fonctionnement de la justice pénale du XVIIIè siècle. Pour donner sens au combat mené par les intellectuels des Lumières, je me contenterai donc de rappeler quelques cas de condamnation (j'ai volontairement souligné la nature du crime commis) :
- Arrêt du 4 décembre 1719 par lequel le nommé Claude Detence de Ville-aux-bois, pour blasphèmes, a été condamné à faire amende honorable in figuris, à avoir la langue percée, et aux galères à perpétuité.
- Autre arrêt de la Cour du 29 juillet 1748... par lequel Nicolas Dufour, pour avoir proféré plusieurs horribles et exécrables blasphèmes contre le Saint nom de Dieu, la Sainte Eucharistie et la Sainte Vierge, a été condamné à faire amende honorable nu en chemise et la corde au col, ayant écriteaux devant et derrière, portant ces mots, blasphémateur du Saint Nom de Dieu..., et ensuite à avoir la langue coupée et à être pendu, et son corps brûlé et réduit en cendres.
- Autre arrêt du 13 mars 1724... par lequel Charles Lherbé, nourricier de bestiaux, pour blasphèmes et impiétés exécrables a été condamné... à avoir la langue coupée et à être brûlé vif.
Vous trouverez ces cas mentionnés dans le Traité de justice criminelle (1771) (à partir de la page 266, ici)
(à suivre ?)
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