mercredi 14 mars 2018

Les lauriers ecclésiastiques ou campagnes de l'abbé de T*** (2)

-->
Contraint par sa famille d’embrasser une carrière religieuse, le jeune abbé de T… s’est depuis peu installé chez son oncle, le très libertin Evêque de N… Ce dernier possède une maison de campagne où il se rend en grande compagnie pour prendre les eaux. 
C’est là que le jeune abbé fait connaissance avec la Marquise de B…
(lire ce qui précède ici)





Qu’on se figure un jeune homme de dix-neuf ans, ardent, dévoré de désirs, tenant dans ses bras une femme qu’il idolâtrait, à demie nue, dans un endroit solitaire et se croyant payé de retour : le Philosophe le plus froid n’aurait pu résister a un pareil spectacle, à plus forte raison quelqu’un qui se piquait de ne point l’être, et de plus un Abbé, un Serviteur de l’Église, un Docteur de Sorbonne, un prétendant Evêque, en vérité c’était trop de moitié ; je serrais ma chère Marquise dans mes bras, rassurez-vous, lui disais-je, en collant des baisers brûlants sur sa bouche, rassurez-vous, tous les serpents, tous les insectes, toutes les bêtes de l’Apocalypse ne pourraient vous nuire dans les bras d’un Amant qui vous adore, (car le sacré était toujours mêlé avec le profane, et mes expressions amoureuses se ressentaient encore de la contagion du métier) ouvrez ces beaux yeux, continuai-je, et daignez me confirmer le bonheur indicible que le hasard me procure ; Ah ! mon cher Abbé, dit-elle enfin, avec un soupir que je me hâtai de recueillir sur sa bouche, quoi vous m’aimiez, et vous me le cachiez ? ah ! cruel, laissez-moi, je ne veux plus vous voir. Vous jugez bien comme je lui obéissais ; la vertu du petit collet agissait trop furieusement sur moi ; je ne me rappelle pas l’avoir jamais ressentie avec plus de force ; elle m’ôtait jusques à l’usage de la parole ; il ne m’était plus possible de faire autre chose que de la baiser et de la serrer avec fureur, je promenais mes mains ardentes sur une gorge d’une blancheur, d’un embonpoint et d’une élasticité parfaite, j’y imprimais des baisers dévorants, mon âme prête à s’envoler semblait vouloir se joindre à la sienne. Mes mains… mains fortunées ! que ne touchâtes vous point ! rien ne vous fut refusé. Dieux, quelle ivresse ! quelle volupté ! j’étais maître de tout ; ma chère maîtresse pâmée et anéantie par le plaisir ne me refusait rien ; je n’entendais plus que quelques soupirs et quelques mots entrecoupés, laisse-moi… disait-elle d’une voix étouffée, je n’en puis plus… je brûle… mon cher enfant… ah ! n’abuse pas du tendre amour que j’ai pour toi : trop occupé pour lui répondre, je connaissais le prix du temps, tout m’invitait à achever mon bonheur, en me répondant du succès : je vis, je touchai des charmes dignes des Dieux mêmes, car rien ne s’opposait à mes regards et à mes tendres caresses : un ventre d’une forme ! d’un rond ! d’une blancheur ! des cuisses d’une proportion !… des reins ! des hanches taillées par les Grâces même, des fesses !… ah ! je m’égare, imitons tous ce fameux Peintre de la Grèce, qui aima mieux tirer le rideau, que de peindre des choses impossibles à exprimer : à peine suis-je maitre du feu que m’inspire la faible image que je retrace ; et dans l’instant où j’écris, je sens que je suis plus Abbé que jamais.

Je l’étais pourtant furieusement alors : tant de charmes adorables livrés à mon amoureuse fureur, m’inspiraient des désirs qui m’auraient rendu digne d’être Primat des Gaules, si cette dignité seule eût été accordée au mérite brillant ; je ne fus plus maître du feu qui me consumait et je cédai à résister au feu de ma vocation. Il n’y avait dans ce cabinet nul endroit commode pour la communiquer à la Marquise ; désespéré de perdre un si bel instant de ferveur, déjà je me disposais à faire du balustre un usage peut-être inconnu aux Evêques et aux Prélats ; on se prêtait à mes raisons, j’allais en faire goûter l’énergie, et, malgré l’incommodité du poste, j’avais mis en avant l’ARGUMENT DEFINITIF ; elle n’était pas sans défiance du succès, mais j’allais détruire son incrédulité. Déjà nous étions unis au point de ne faire plus qu’un, déjà m’insinuant adroitement dans son… cœur je l’avais à moitié… persuadée, lorsque la maudite femme de chambre que nous n’attendions sûrement pas, entra brusquement et nous surprit, la Marquise dans une situation un peu équivoque, et moi dans un état brillant, resplendissant de gloire, tel en un mot que de tous mes honnêtes lecteurs et critiques, j’aurai les trois quarts plus d’envieux que d’imitateurs.


La soubrette qui avait de l’éducation, et qui n’était pas des moins fines de ce monde, poussa un petit soupir d’envie, se mordit les lèvres, détourna la tête, et s’empressa d’habiller sa maîtresse, comme si elle n’eût rien vu ; pour moi je me rajustai du mieux qu’il me fut possible, et je pris congé de la Marquise, qui me remercia sans embarras, et avec une effronterie supérieure, du service que je lui avais rendu, ajoutant avec un coup d’œil expressif, qu’elle épargnerait à ma modestie d’en faire le récit devant le monde, mais que sa reconnaissance pour être particulière n’en était pas moins vive et moins réelle. J’entendis parfaitement le sens de ses paroles ; cette dernière occasion m’avait valu deux thèses de Sorbonne, et m’avait beaucoup plus éclairé.

(à suivre ici)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...