A parcourir certains titres de chapitres du Malleus Maleficarum, on
devine la nature des frustrations dont souffraient ses auteurs, et plus encore la
volonté d’une Eglise en crise d’étendre son influence sur des terres qui lui
résistaient.
En effet, l’historien Patrick Marchand nous explique que l’Eglise est en
ce temps-là « décidée à en finir
avec les croyances païennes. Pour cela, elle relie celles-ci à des pratiques
supposées démoniaques et les englobe dans l'appellation de sorcellerie.
Dorénavant, le diable est l'incarnation de la bête malfaisante par excellence.
Cette reprise en main va ostraciser celui qui vient d'ailleurs, qui est
différent. Les personnes affligées d'un handicap physique (boiteux, bègue...),
par exemple, sont soupçonnées de sorcellerie, tout comme les femmes seules,
vivant au ban de la société. »
« 80 % des procès en sorcellerie ont mis en cause des femmes.
Cette cible privilégiée des juges, qui - rappelons-le - sont tous des hommes,
prend son origine dans le mythe. Depuis qu'Ève a convaincu Adam de croquer dans
la pomme, la femme a été diabolisée. »
« Un seul témoignage suffisait à envoyer quelqu'un au tribunal.
Les médecins étaient alors convoqués pour rechercher les preuves, par exemple
les marques de Satan sur le corps de l'accusée. L'idée était que la piqûre pour
une sorcière était indolore et ne provoquait aucun saignement. On suppose
aujourd'hui que les médecins piquaient sur une cicatrice, endroit justement
insensible. Il y avait également l'épreuve de la pesée : si la sorcière
affichait un poids plus léger que son apparence le laissait supposer, cela
signifiait qu'elle pouvait voler. Et aussi l'épreuve de l'eau : on la jetait
pieds et poings liés dans une rivière. Si elle coulait, c'est qu'elle était
innocente. Innocente mais morte ! Mais cela ne suffisait pas pour envoyer
quelqu'un au bûcher. Il fallait obtenir ses aveux, au besoin sous la torture.
Et dans les cas de possession, on se livrait à des séances publiques
d'exorcisme, qui attiraient la foule. »
En somme, les prétendues
« sorcières » constituaient les parfaits boucs émissaires de cette
nouvelle mission évangélisatrice. Et tous les motifs, même les plus absurdes,
étaient bons pour jeter ces femmes (80% des victimes) au bûcher.
Reprenons en main le Malleus et jugez-en par vous-même :
I, question 7 : les sorcières
peuvent-elles retourner les esprits des hommes pour l’amour et la haine ?
I, question 8 : les
sorcières peuvent-elles empêcher l’acte de la puissance génitale ?
I, question 9 : les
sorcières peuvent-elles illusionner jusqu’à faire croire que le membre viril
est enlevé ou séparé du corps ?
II, chap. 6 : comment les
sorcières savent frapper d’incapacité la puissance génitale.
II, chap 7 : comment les
sorcières savent enlever aux hommes le membre viril.
Entrons maintenant dans le détail.
Abordant la question des amours extra conjugales, l’inquisiteur pose la
question suivante : « comment discerner que pareil amour désordonné
procède non pas du diable mais seulement de la sorcière ? La réponse est
qu’il y a plusieurs moyens : d’abord est-ce que l’homme tenté a une femme
belle et honnête ? Deuxièmement est-ce que le jugement de la raison est si
captif que ni les coups, ni les paroles, ni les gestes ni la honte ne puissent
conduire au désistement ? Troisièmement surtout, est-ce qu’il est
incapable de se contenir, au point d’être parfois contraint de retrouver
l’autre, en dépit de la distance, de la difficulté de la route, soit de jour
soit de nuit ? Car comme dit Chrysostome à propos de Matthieu parlant de
l’ânesse sur laquelle monta le Christ : quand le démon possède la volonté
d’un homme dans le péché, il le traîne quasiment à sa guise là où il lui plaît. »
Un peu plus loin, on découvre avec stupeur que « les sorcières
savent frapper d’incapacité la puissance génitale » Voyons de quelle manière.
« De l’intérieur elles le
causent de deux manières : premièrement là où directement elles empêchent
l’érection du membre nécessaire à l’union féconde (…) deuxièmement quand elles
empêchent le flux des essences vitales vers les membres où réside une force
motrice, obturant quasiment les conduits séminaux afin que la semence ne
descende pas vers les organes générateurs et ne soit pas éjaculée ou soit éjaculée
à perte. De l’extérieur elles peuvent procurer l’empêchement tantôt par le
moyen d’images ou par la consommation d’herbes, tantôt par d’autres choses
extérieures comme des testicules de coq. »
(à suivre)
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