dimanche 25 mars 2018

Les lauriers ecclésiastiques ou campagnes de l'abbé de T*** (3)


Contraint par sa famille d’embrasser une carrière religieuse, le jeune abbé de T… s’est depuis peu installé chez son oncle, le très libertin Evêque de N… Ce dernier possède une maison de campagne où il se rend en grande compagnie pour prendre les eaux. 
C’est là que le jeune abbé fait connaissance avec la Marquise de B…, qu'il a surprise prenant son bain, et dont il est tombé amoureux.
 
 
 
 
 
 
Elle rentra au Château peu de temps après moi, et il se passa encore deux jours sans que je reçusse d’elle rien de particulier ; il est vrai que quand ses yeux se tournaient sur moi, ils étaient toujours chargés d’amour et de volupté : mais il me fallait plus de réalité, l’aventure du bain n’avait fait qu’irriter mes désirs sur bien des choses pour lesquelles je me sentais de furieuses dispositions, enfin j’enrageais de bon cœur de ne plus entendre parler de rien, lorsque Monseigneur reçut une invitation de se trouver à la réception d’une Abbesse nouvelle dans une Abbaye où il avait beaucoup de liaisons, il n’osa refuser, et l’indisposition de commande de la Marquise, ayant encore servi à éluder l’offre qu’il lui fit de la mener, certain coup d’œil qu’elle appuya sur moi acheva de m’éclairer ; je sentis le coup de maître, et je résolus bien, pour cette fois, de m’y prendre de façon à me garantir de tout survenant incommode. Le lendemain sa Grandeur partit après s’être lesté d’un déjeuner, qui n’était sûrement pas copié d’après les Apôtres ; on le mit dans sa Berline, en lui recommandant de bien se garantir des vents coulis, de ne pas trop manger le soir, de tremper son vin, de fuir les Novices, et les jeunes Professes, enfin d’éviter mille inconvénients fâcheux qui nous privent tous les jours des Prélats les plus distingués, et en rentrant on prit un moment favorable pour m’indiquer un rendez-vous à la fin du jour dans l’appartement même de sa Grandeur, où on irait faire deux heures de retraite, à l’aide de cette éternelle indisposition, bouclier terrible, que tout le monde de la maison respectait, sans que personne osât le pénétrer.
Je me rendis le soir au lieu de l’assignation, et je fus introduit par la petite soubrette en question, qui pour le dire en passant avait un petit minois fort friand. Je trouvai la Marquise enfoncée dans une duchesse, parée du déshabillé le plus galant, son attitude était touchante et voluptueuse ; une de ses jambes portait entièrement sur la duchesse, et l’autre portait à faux sur le parquet ; son jupon presqu’entièrement relevé par cet écart, me laissait voir jusqu’aux genoux deux jambes parfaites pour la tournure et pour la proportion ; sa gorge, cette gorge adorable que j’idolâtrais s’offrait presque toute à ma vue, une respiration précipitée la faisait soulever, et m’en découvrait entièrement la beauté ; ses yeux divins étaient remplis d’un feu, d’une volupté, qui me mit moi-même dans un état indéfinissable : je m’approchai avec transport, et me jetant sur une de ses mains que je couvris de baisers enflammés, à peine pus-je trouver des termes pour lui exprimer ce qu’elle m’inspirait dans ce délicieux instant. La Marquise n’était pas moins émue que moi, c’est donc vous, me dit-elle, d’un ton de voix qui alla jusques à mon cœur, que je vous sais bon gré de votre exactitude ! je commençais à craindre quelque refroidissement de votre part. Ah ! pouviez-vous le croire, lui répondis-je en la serrant tendrement dans mes bras, et lorsque toutes mes pensées, toutes mes actions se rapportent uniquement à vous, pouviez-vous me faire une si cruelle injustice : que ne pouvez-vous lire dans mon cœur ! que de transports ! que d’amour n’y découvririez-vous pas ! ah, mon cher Abbé, reprit-elle, puis-je compter sur vos serments, et ne me repentirai-je point un jour de la constance que j’ai en vous ? Elle m’accablait de caresses en disant ces paroles ; elle serrait ma tête contre son sein, j’y collais ma bouche, je passais avec transport de l’un à l’autre de deux globes d’ivoire d’une blancheur, d’une fermeté, d’un embonpoint admirable ; je m’enivrais, j’étais anéanti, perdu d’amour et de désirs ; cependant j’étais bien éloigné d’être satisfait, l’occasion était trop belle pour en demeurer-là. Qu’aurait pensé ma belle maîtresse elle-même de se voir négliger, elle qui me sacrifiait tout, qui quittait un Prélat, un homme considérable et décidé, pour qui ? pour un chétif Etudiant.
Je sentais parfaitement combien je lui devais de reconnaissance pour un si grand sacrifice, et j’étais bien disposé à ne pas demeurer ingrat ; dans l’agitation de nos caresses, et de nos divers mouvements, mes mains n’étaient pas demeurées oisives, j’en avais d’abord mis une comme indifféremment sur ses genoux, la position de ce jupon dont j’ai parlé me favorisa, je la glissai jusques sur des cuisses d’une blancheur, d’une forme… Enfin je parvins au théâtre de la volupté, à la source de toutes les délices : qu’on n’exige pas que j’en donne ici une image, je ne suis point encore aujourd’hui à l’abri de certaines descriptions, d’ailleurs tous les transports indicibles que je ressentais me conduisirent bien plutôt à la réalité des plaisirs qu’à un frivole examen ; ces attouchements voluptueux m’avaient mis dans un état auquel je ne pouvais résister, la Marquise était dans une situation à peu près semblable, pouvais-je m’arrêter en une occasion si favorable, n’aurais-je pas mérité d’être désavoué du corps vénérable, auquel j’étais agrégé ; je me précipitai donc sur elle avec une ardeur inexprimable, elle était renversée sur sa duchesse, j’avais relevé ses jupes, sa gorge était découverte, je baisais, je suçais tout avec fureur ; enfin je lui donnai avec impétuosité les dernières marques d’un amour parvenu à l’excès. Ah ! s’écria-t-elle, lorsqu’elle sentir que nos cœurs et nos âmes se confondaient et que j’avais poussé mon entreprise à bout ; ah ! mon ami… tu me perds… finis, je t’en conjure… non… Je t’adore… ah ! mon cher Abbé… ah ! je me meurs… Dieux que de plaisirs !… Ces mots entrecoupés étaient accompagnés de quelques petits mouvements qu’elle faisait en feignant de vouloir se dérober de mes bras, et qui mirent le dernier comble à ma volupté ; elle me fixait tendrement : ses regards, interprètes fidèles de l’état de son âme, étaient mêlés d’amour, de désirs et de plaisirs ; une petite écume semblable à la neige, bordait ses lèvres charmantes, sa gorge se haussait et se baissait avec précipitation, enfin nous terminâmes ce moment délicieux par cet éclair de volupté qui saisit, qui anéantit tous les sens, qui porte des secousses, et des tressaillements jusques dans les extrémités de notre corps, qui dans une image de la divinité, ou de ce qu’on conçoit de parfait en plaisir, mais qui finit et disparaît, qui enfin est l’ouvrage d’un moment, et dont le passage aussi prompt que la pensée ne nous laisse qu’une preuve triste, cruelle et convaincante de notre imperfection, et de la malheureuse faiblesse de notre être.
Revenus à nous, et trop passionnés pour faire dans de pareils moments de si affligeantes réflexions, que de choses charmantes ne nous dîmes-nous pas ! toute contrainte était désormais bannie entre nous, et je ne sais rien de si aimable, de si séducteur, que la conversation qui suit les premières caresses de deux Amants jeunes et emportés ; cette belle me laissa voir toute sa tendresse pour moi, et elle en avait un fond inépuisable ; j’y répondais avec toute l’apparence de passion qui suffisait pour la satisfaire, car je vois bien aujourd’hui par l’épreuve que j’ai faite de ce qu’excite en nous un véritable amour, que ce que je sentais alors pour la Marquise, était uniquement une nécessité d’aimer (je ne sais si je m’explique) enfin j’y étais trompé : à mon âge cela n’était pas étonnant, il ne doit pas même paraître extraordinaire qu’elle le fût elle-même ; je la trompais si bien !
Mes désirs et ma jeunesse à part, je devais trop d’égards à mon état pour m’arrêter en si beau chemin, et pour ne pas soutenir une réputation acquise à tout le Corps, et que je commençais à partager : mes preuves furent si réitérées et si soutenues, que j’aurais affronté l’examen le plus sévère : les caresses les plus passionnées, les propos les plus tendres, se succédèrent avec une rapidité qui nous firent passer les heures comme des moments, la nuit était déjà assez avancée quand je quittai ma voluptueuse Marquise, et ce qui m’occupait le plus en ce moment, était le désir de la revoir : personne ne s’aperçut, ou ne feignit de s’apercevoir de notre absence, et nous nous armâmes devant la compagnie d’un sérieux et d’une gravité qui pouvaient seuls cacher notre intelligence mutuelle.

(à suivre)

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