Contraint par sa famille
d’embrasser une carrière religieuse, le jeune abbé de T… s’est depuis peu
installé chez son oncle, le très libertin Evêque de N… Ce dernier
possède une maison de campagne où il se rend en grande compagnie pour prendre les
eaux.
C’est là que le jeune abbé fait connaissance avec la Marquise de B…, qu'il a surprise prenant son bain, et dont il est tombé amoureux.
Elle rentra au Château peu de temps après moi, et il se
passa encore deux jours sans que je reçusse d’elle rien de particulier ;
il est vrai que quand ses yeux se tournaient sur moi, ils étaient toujours
chargés d’amour et de volupté : mais il me fallait plus de réalité, l’aventure
du bain n’avait fait qu’irriter mes désirs sur bien des choses pour lesquelles
je me sentais de furieuses dispositions, enfin j’enrageais de bon cœur de ne
plus entendre parler de rien, lorsque Monseigneur reçut une invitation de se
trouver à la réception d’une Abbesse nouvelle dans une Abbaye où il avait
beaucoup de liaisons, il n’osa refuser, et l’indisposition de commande de la
Marquise, ayant encore servi à éluder l’offre qu’il lui fit de la mener,
certain coup d’œil qu’elle appuya sur moi acheva de m’éclairer ; je sentis
le coup de maître, et je résolus bien, pour cette fois, de m’y prendre de façon
à me garantir de tout survenant incommode. Le lendemain sa Grandeur partit
après s’être lesté d’un déjeuner, qui n’était sûrement pas copié d’après les
Apôtres ; on le mit dans sa Berline, en lui recommandant de bien se
garantir des vents coulis, de ne pas trop manger le soir, de tremper son vin,
de fuir les Novices, et les jeunes Professes, enfin d’éviter mille inconvénients
fâcheux qui nous privent tous les jours des Prélats les plus distingués, et en
rentrant on prit un moment favorable pour m’indiquer un rendez-vous à la fin du
jour dans l’appartement même de sa Grandeur, où on irait faire deux heures de
retraite, à l’aide de cette éternelle indisposition, bouclier terrible, que tout
le monde de la maison respectait, sans que personne osât le pénétrer.
Je me rendis le soir au lieu de l’assignation, et je fus
introduit par la petite soubrette en question, qui pour le dire en passant avait
un petit minois fort friand. Je trouvai la Marquise enfoncée dans une duchesse,
parée du déshabillé le plus galant, son attitude était touchante et voluptueuse ;
une de ses jambes portait entièrement sur la duchesse, et l’autre portait à
faux sur le parquet ; son jupon presqu’entièrement relevé par cet écart,
me laissait voir jusqu’aux genoux deux jambes parfaites pour la tournure et
pour la proportion ; sa gorge, cette gorge adorable que j’idolâtrais
s’offrait presque toute à ma vue, une respiration précipitée la faisait
soulever, et m’en découvrait entièrement la beauté ; ses yeux divins étaient
remplis d’un feu, d’une volupté, qui me mit moi-même dans un état
indéfinissable : je m’approchai avec transport, et me jetant sur une de
ses mains que je couvris de baisers enflammés, à peine pus-je
trouver des termes pour lui exprimer ce qu’elle m’inspirait dans ce délicieux
instant. La Marquise n’était pas moins émue que moi, c’est donc vous, me
dit-elle, d’un ton de voix qui alla jusques à mon cœur, que je vous sais bon
gré de votre exactitude ! je commençais à craindre quelque refroidissement
de votre part. Ah ! pouviez-vous le croire, lui répondis-je en la serrant
tendrement dans mes bras, et lorsque toutes mes pensées, toutes mes actions se
rapportent uniquement à vous, pouviez-vous me faire une si cruelle
injustice : que ne pouvez-vous lire dans mon cœur ! que de
transports ! que d’amour n’y découvririez-vous pas ! ah, mon cher
Abbé, reprit-elle, puis-je compter sur vos serments, et ne me repentirai-je
point un jour de la constance que j’ai en vous ? Elle m’accablait de
caresses en disant ces paroles ; elle serrait ma tête contre son sein, j’y
collais ma bouche, je passais avec transport de l’un à l’autre de deux globes
d’ivoire d’une blancheur, d’une fermeté, d’un embonpoint admirable ; je
m’enivrais, j’étais anéanti, perdu d’amour et de désirs ; cependant j’étais
bien éloigné d’être satisfait, l’occasion était trop belle pour en demeurer-là.
Qu’aurait pensé ma belle maîtresse elle-même de se voir négliger, elle qui me
sacrifiait tout, qui quittait un Prélat, un homme considérable et décidé, pour
qui ? pour un chétif Etudiant.
Je sentais parfaitement combien je lui devais de reconnaissance
pour un si grand sacrifice, et j’étais bien disposé à ne pas demeurer
ingrat ; dans l’agitation de nos caresses, et de nos divers mouvements,
mes mains n’étaient pas demeurées oisives, j’en avais d’abord mis une comme
indifféremment sur ses genoux, la position de ce jupon dont j’ai parlé me
favorisa, je la glissai jusques sur des cuisses d’une blancheur, d’une forme…
Enfin je parvins au théâtre de la volupté, à la source de toutes les
délices : qu’on n’exige pas que j’en donne ici une image, je ne suis point
encore aujourd’hui à l’abri de certaines descriptions, d’ailleurs tous les transports
indicibles que je ressentais me conduisirent bien plutôt à la réalité des
plaisirs qu’à un frivole examen ; ces attouchements voluptueux m’avaient
mis dans un état auquel je ne pouvais résister, la Marquise était dans une
situation à peu près semblable, pouvais-je m’arrêter en une occasion si
favorable, n’aurais-je pas mérité d’être désavoué du corps vénérable, auquel
j’étais agrégé ; je me précipitai donc sur elle avec une ardeur
inexprimable, elle était renversée sur sa duchesse, j’avais relevé ses jupes, sa
gorge était découverte, je baisais, je suçais tout avec fureur ; enfin je
lui donnai avec impétuosité les dernières marques d’un amour parvenu à l’excès.
Ah ! s’écria-t-elle, lorsqu’elle sentir que nos cœurs et nos âmes se
confondaient et que j’avais poussé mon entreprise à bout ; ah ! mon
ami… tu me perds… finis, je t’en conjure… non… Je
t’adore… ah ! mon cher Abbé… ah ! je me meurs… Dieux que de plaisirs !…
Ces mots entrecoupés étaient accompagnés de quelques petits mouvements qu’elle
faisait en feignant de vouloir se dérober de mes bras, et qui mirent le dernier
comble à ma volupté ; elle me fixait tendrement : ses regards,
interprètes fidèles de l’état de son âme, étaient
mêlés d’amour, de désirs et de plaisirs ; une petite écume semblable à la
neige, bordait ses lèvres charmantes, sa gorge se haussait et se baissait avec
précipitation, enfin nous terminâmes ce moment délicieux par cet éclair de
volupté qui saisit, qui anéantit tous les sens, qui porte des secousses, et des
tressaillements jusques dans les extrémités de notre corps, qui dans une image
de la divinité, ou de ce qu’on conçoit de parfait en plaisir, mais qui finit et
disparaît, qui enfin est l’ouvrage d’un moment, et dont le passage aussi prompt
que la pensée ne nous laisse qu’une preuve triste, cruelle et convaincante de
notre imperfection, et de la malheureuse faiblesse de notre être.
Revenus à nous, et trop passionnés pour faire dans de
pareils moments de si affligeantes réflexions, que de choses charmantes ne nous
dîmes-nous pas ! toute contrainte était désormais bannie entre nous, et je
ne sais rien de si aimable, de si séducteur, que la conversation qui suit les
premières caresses de deux Amants jeunes et emportés ; cette belle me
laissa voir toute sa tendresse pour moi, et elle en avait un fond inépuisable ;
j’y répondais avec toute l’apparence de passion qui suffisait pour la
satisfaire, car je vois bien aujourd’hui par l’épreuve que j’ai faite de ce
qu’excite en nous un véritable amour, que ce que je sentais alors pour la
Marquise, était uniquement une nécessité d’aimer (je ne sais si je m’explique)
enfin j’y étais trompé : à mon âge cela n’était pas étonnant, il ne doit
pas même paraître extraordinaire qu’elle le fût elle-même ; je la trompais
si bien !
Mes désirs et ma jeunesse à part, je devais trop d’égards à
mon état pour m’arrêter en si beau chemin, et pour ne pas soutenir une réputation
acquise à tout le Corps, et que je commençais à partager : mes preuves
furent si réitérées et si soutenues, que j’aurais affronté l’examen le plus
sévère : les caresses les plus passionnées, les propos les plus tendres,
se succédèrent avec une rapidité qui nous firent passer les heures comme des
moments, la nuit était déjà assez avancée quand je quittai ma voluptueuse
Marquise, et ce qui m’occupait le plus en ce moment, était le désir de la
revoir : personne ne s’aperçut, ou ne feignit de s’apercevoir de notre
absence, et nous nous armâmes devant la compagnie d’un sérieux et d’une gravité
qui pouvaient seuls cacher notre intelligence mutuelle.
(à suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...