dimanche 11 mars 2018

Les lauriers ecclésiastiques ou campagnes de l'abbé de T*** (1)

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Contraint par sa famille d’embrasser une carrière religieuse, le jeune abbé de T… s’est depuis peu installé chez son oncle, le très libertin Evêque de N… Ce dernier possède une maison de campagne où il se rend en grande compagnie pour prendre les eaux. 
C’est là que le jeune abbé fait connaissance avec la Marquise de B…








J’attendais avec impatience le jour fixé pour le commencement du régime prescrit à ma belle Déesse, il ne tarda pas à arriver, et comme je n’avais en garde de discontinuer mes promenades du matin, que je pressentais devoir m’être si favorables, j’eus la satisfaction de lui voir prendre le chemin du cabinet des bains le matin à la fraîcheur : je m’étais embusqué derrière une charmille, d’où il me fut aisé de l’examiner à mon aise, et sans crainte d’être découvert ; Dieux, que de charmes ! non, mon cher Marquis, je ne connais point d’expression qui puisse rendre la sensation que cette vue excita en moi ; elle marchait d’un pas négligé et languissant, un déshabillé complet de la plus belle Perse, me laissait découvrir toute la beauté de sa taille, un pied d’une délicatesse achevée, et le bas d’une jambe tournée à ravir : un mantelet de mousseline attaché négligemment, me dérobant une partie d’une gorge admirable, et m’en offrant suffisamment, pour m’enflammer de désirs ; elle passa assez près de moi, pour que je pusse remarquer que ses yeux, que j’idôlatrais étaient humides, indice certain d’une mélancolie secrète dont je brûlais de découvrir le motif ; cependant ma timidité me maîtrisant au même point, je me contentai de la suivre et de la dévorer des yeux, lorsque je lui vis prendre la route qui conduisait aux bains : je fis mille fois le tour du cabinet, sans jamais avoir la hardiesse de m’y introduire, ni même de me laisser apercevoir : enfin elle en sortit après le temps prescrit, et reprit le chemin du Château ; je la vis passer, elle avait une physionomie encore beaucoup plus triste que le matin. Je rentrai peu de temps après, je me présentai à sa porte qui me fut refusée ; et lorsque l’heure où toute la Compagnie se rassemblait fut arrivée, jamais elle ne daigna jeter les yeux sur moi ; et si elle m’adressa la parole, ce ne fut que pour me lancer quelques épigrammes détournées dont il ne m’était pas absolument impossible de comprendre le sens.

Quels reproches ne me fis-je pas alors de mon impertinente timidité, que de fermes propos de mieux me comporter à l’avenir : mais il était écrit que je devais commencer par être un sot, et il était réservé aux femmes même de me guérir d’une maladie aussi absurde : elles ont opéré cette cure avec un succès auquel je suis obligé de rendre un témoignage authentique ; et la Marquise même travailla à me guérir de façon, que si dans le commencement de mes autres affaires j’ai eu des rechutes de respect, elles ont été si légères et sitôt réparées, qu’elles n’ont point porté coup à mon état, ni à ma réputation dans le monde.

Je laissai prendre encore quelques bains à la Marquise avant d’exécuter mes courageuses résolutions : j’apercevais aisément que son froid augmentait tous les jours, je craignis enfin de me perdre entièrement, et je tirai plus de force de cette idée, que de tous les projets que j’avais faits jusques alors : d’ailleurs toujours occupé du désir de remplacer sa Grandeur, perspective chatouilleuse et tentative pour un Prosélyte qui avait une réputation à se faire, et qui était encore alors bien éloigné de celle qu’il s’est faite depuis : enfin je m’embusquai un jour à mon ordinaire, cependant avec moins de précaution, je vis arriver la Marquise à son heure accoutumée, je ne sais si elle m’aperçut, cela ne me parut pas impossible, mais il n’y eut de sa part aucune marque extérieure, qui prouvât qu’elle m’eut remarqué ; je m’écartai pour lui laisser la liberté de continuer, elle était accompagnée d’une femme qui portait les linges nécessaires en pareille occasion, ce tiers me déconcertait, je ne sais pourquoi je sentais qu’il était de trop : je fis mille fois le tour du Salon sans que mon esprit me suggérât aucun moyen spécieux pour m’introduire ; je ne savais enfin à quel parti m’arrêter, lorsque je vis sa femme de chambre sortir et reprendre la route du Château : nous en étions à une distance assez considérable. Qu’on juge de la satisfaction que je ressentis de ce que j’attribuais à un effet du hasard : je pris mon parti tout à coup, et je n’attendais plus que l’instant où la femme de chambre aurait tourné une allée qui la dérobât à mes yeux, lorsque j’entendis des cris perçants sortir du cabinet, et que je reconnus distinctement que c’était la voix de la Marquise : j’accourus avec précipitation, et ayant ouvert la porte, le premier objet qui frappa mes regards fut la Reine de mon cœur, qui presque nue, vint se jeter dans mes bras avec toutes les marques de la frayeur la plus terrible.



Or, il est bon de dire pour l’intelligence de cette histoire, que le Salon en question était situé au bord d’un grand canal qui coupait le Parc, une balustrade régnait au dedans de ce lieu charmant, des sièges disposés avec art offraient un bain facile dans l’eau même du canal : et pour revenir à moi dans l’instant, car je ne doute pas que tout Lecteur qui aura le cœur bon, ne souffre beaucoup de l’état où j’étais alors, tout ce que je pus tirer de la Marquise dans ces premiers moments de frayeur, fut qu’elle avait une aversion et une crainte mortelle des anguilles, à cause de leur ressemblance avec les serpents, qu’en ayant aperçu une dans le canal, elle avait frémi d’horreur sans avoir pu retenir les cris que j’avais entendus. Je ne connaissais aucun antidote qui guérit de la morsure de ces sortes de bêtes, encore moins de la peur : mais le premier pas fait, avait en quelque façon dissipé les nuages qui obscurcissaient ma raison ; je me sentais rendu à moi-même, honteux du temps que j’avais perdu, et très disposé à le réparer ; j’entrevoyais des spécifiques capables de faire tout disparaître, au moins pour le moment, avec quelle ardeur ne les employai-je pas ! et en quelle occasion pouvais-je mieux mettre en usage les heureux talents dont la nature m’a doué. 

(à suivre ici)

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