dimanche 25 juin 2017

L'armée sous Louis XV (1)

Lucien Mouillard, né en 1842 et mort en 1912, est un historien français, spécialisé notamment dans l'histoire militaire.
Je reproduis ci-dessous quelques extraits de son excellent ouvrage "Régiments sous Louis XV".
Vous l'aurez compris, on travaille déjà sur la documentation du prochain roman... 




Un militaire est un homme légalement armé pour combattre à la guerre.

Il y a deux sortes de militaires : ceux qui reçoivent une solde  ceux qui n’en reçoivent pas.

Les militaires non soldés sont de deux sortes : 1° le vassal, homme qui doit un service militaire pendant un temps déterminé, tant qu’il est usufruitier d’un fief ; 2° le volontaire proprement dit, qui, n’étant astreint à aucun service militaire, sert sans solde (Encyclopédie).

Les militaires soldés se divisent en trois catégorie :

1° Les soldats miliciens, astreints au service par la législation ;

2° Les soldats mercenaires, qui, n’étant pas astreints au service, s’engagent pour un temps déterminé, moyennant une prime d’argent.

3° Les soldats volontaires, appelés aussi soldats gentilshommes, gendarmes, sont ceux qui, sans y être obligés par la loi, s’engagent volontairement sans recevoir de prime d’engagement (Encyclopédie).

Ces cinq classes de militaires existaient légalement au XVIIIe siècle,  quoique les militaires non soldés ne fussent plus employés comme dans les siècles précédents.



Pour la dernière fois, les vassaux furent réunis en 1675. (…)



Les trois sortes de soldats ci-dessus désignés servaient dans des corps de troupe distincts, savoir :

-Dans la gendarmerie de France et les compagnies à cheval de la maison du roi, les soldats volontaires (gens d'armes) ;

-Dans les compagnies d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, les soldats mercenaires ;

-Dans les bataillons de milice, les sujets tombés au sort. (…)

Seul dans toute la hiérarchie militaire, le capitaine de troupes réglées était pécuniairement responsable puisque seul il était chargé de fournir au roi recrues, vêtements, armes, chevaux et matériel. Du traitement que le roi lui accorde dépendront son sort et celui du soldat. Quelles sont donc ses obligations ?

1° Recruter sa troupe. A chaque congé qu'il obtient, il doit personnellement ramener deux soldats ; son lieutenant, ses sergents sont soumis à la même obligation. Le recrutement est le principal souci. Les ordonnances cependant interdisent de payer une recrue d'infanterie plus de 20 livres, et personne ne veut plus s’engager pour 6 ans pour une somme aussi faible, convenable peut-être en 1700, lorsque le salaire journalier d'un manœuvre était de 5 sols, insuffisante lorsque ce salaire, en 1750, est de 20 sols.

2° Le capitaine doit habiller les recrues, fournissant un trousseau, chemises, caleçons, bas, souliers, etc. ; le roi ne fournit que l'étoffe pour l'habit.

3° Le capitaine fournit l'équipement, le fourniment, l'épée ; le roi donne il est vrai le fusil et la baïonnette, mais la réparation et le remplacement en temps de paix sont à la charge du capitaine.

4° Dans la cavalerie, le capitaine doit fournir les chevaux tout harnachés ; pour chaque cheval ainsi équipé, le roi ne donne que 200 livres. En 1743, vu l'impossibilité absolue, le roi donna gratuitement les chevaux nus.

5° Le capitaine doit posséder un matériel de campement, un manteau d'armes, une tente pour 8 hommes, des marmites, etc. , 10 outils propres à remuer la terre, il doit posséder deux chevaux pour lui-même et entretenir un valet qui ne peut compter comme soldat dans la compagnie. 
porte-drapeau du régiment de Montmorin
régiment de Bourbon


Que reçoit-il en échange de ces fournitures ?

1° Une solde personnelle de 3 livres par jour ;

2° 150 livres d'indemnité annuelle pour frais de recrues.

3° 65 livres par tête de soldat admis lors de la revue du commissaire des guerres, l'engagement dure 6 ans. La compagnie ayant 40 hommes, c'est donc 6 recrues par an qu'il faut faire.

4° L’ustensile, somme de 750 livres en temps de paix, qui double en temps de guerre, lui est accordée pour entretenir les habits les armes, le matériel de 40 hommes pendant 1 an ; à laquelle somme il faut ajouter 2 sols par jour retenus sur la solde du soldat pour le trousseau de linge et chaussure, soit un total de 2100 livres annuelles pour entretenir 40 hommes, 2 chevaux et 1 domestique, somme dérisoire, même pour l’époque. 
(à suivre)

mardi 20 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (10)


Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici la conclusion.




De là, quand Saint-Lambert, absent, fut averti, à l'armée, par une  lettre anonyme, des tentatives usurpatrices de son ami, le soupçon injuste et injurieux qui fit attribuer cette dénonciation déloyale à Mme d'Epinay, quand il eût peut-être mieux fait d'en accuser Thérèse, ou plutôt de n'en accuser personne que lui-même, que les témérités et les indiscrétions de ces quatre mois de vie à deux, menés entre Mme d'Houdetot et lui en plein soleil, à la vue de tous, jusque sous les fenêtres du château, avec une naïveté innocente qui parut facilement une effronterie coupable. (ndlr : difficile d'exonérer Louise, qui était la seule à savoir tout ce qui se passait dans la vallée de Montmorency cet été-là. Thérèse, ne l'oublions pas, était bien incapable d'écrire à Saint-Lambert)
Louise d'Epinay
De même, quand Rousseau se persuada non sans raison peut-être, que Mme d'Epinay vouIait le forcer à l'accompagner à Genève pour se recommander de sa présence, et triompher de ses bienfaits d'une façon qui, dans son pays natal, en pleine république bourgeoise et puritaine, n'eût pas été sans inconvénients et sans humiliation pour Rousseau, celui-ci fit bien de se dérober à une prétention vraiment abusive; mais il eut le malheur de le faire brusquement, maladroitement. De sorte qu'ayant raison au fond dans ces deux affaires, au moins autant que Mme d'Epinay, il mit les torts de son côté par les formes.
Mme d'Epinay fut punie d'ailleurs par où elle avait péché. A partir de 1759 ses Mémoires s'arrêtent. Rousseau parti, elle n'a plus rien à dire à la postérité (Précisons qu'elle ne s'adressait pas à la postérité, mais à son amant Grimm parti aux armées). Grimm l'a peu à peu environnée, enveloppée, subjuguée. De concert avec Diderot, il l'a attelée, non à la tâche de l'Encyclopédie, trop forte pour elle, mais à celle de la Correspondance, son caquetage de caillette spirituelle. Elle a dégagé le peu de philosophie dont elle s'est imbue au commerce de ce dernier amant et de ce dernier ami, dans deux opuscules imprimés à Genève sur les presses d'amateur de son ami Gauffecourt : Mes moments heureux et Lettre à mon fils, petit chosier littéraire et moral dont la rareté faisait le principal mérite avant la nouvelle et récente édition dont on lui a fait l'honneur, en 1869, avec une piquante et maligne introduction due à la plume de M. Challemel-Lacour. (Ecrit au XIXè, ce jugement sur un ouvrage féminin n'a rien de surprenant...)
Fut-elle, depuis lors, bien heureuse ?
C'est ça qu'on ne sait pas. Toujours est-il qu'elle eut le bonheur qu'elle avait mérité, et que ce bonheur n'eut pas d'histoire. Elle eût peut-être préféré être malheureuse et qu'on en parlât. On n'a pas en vain sacrifié sa pudeur à la publicité. Mais la douce et discrète tyrannie de Grimm n'était pas de celles qui comportent d'incidents tragiques ou de dénouement scandaleux. Elles ne finissent qu'avec la vie du tyran ou de la sujette.
En 1783, la lampe près de s'éteindre jette un suprême éclat. Mme d'Epinay, comme nous l'avons dit, l'emporta, au premier concours académique d'utilité morale sur Mme de Genlis, autre célèbre gouvernante, et sur Berquin, pour ses Conversations d’Emilie. Elle n’était plus riche ; son mari, en 1762, avait été rayé, avec M. de la Popelinière, de la liste des fermiers généraux, à cause du scandale de ses prodigalités. Il avait à peu près dévoré les deux millions de sa fortune et les quinze mille livres de rente dont jouissait sa femme avaient été fort écornées. Elle avait dû marier sa fille, en 1764, à M. de Belsunce. Elle avait du laisser la Chevrette à son gendre qui, avant d'émigrer, fit jeter bas ce petit château, avec le projet sans doute, qu'il n'eut pas le temps de réaliser, de le reconstruire. Elle avait dû quitter le vieil hôtel de famille, rue Saint-Honoré, pour habiter successivement la rue Sainte-Anne, puis le Palais-Royal, la rue Graillon et la rue Saint-Nicaise, enfin, rue de la Chaussée-d'Antin, la maison que Necker occupa en 1789.

le "petit château" en question
 
C'est là qu'elle mourut le 15 avril 1783, à l'âge de cinquante-sept ans, suivant à un an près dans la tombe son mari, décédé à cinquante-huit ans, le 16 février 1788, au milieu des restes d'une société éclaircie, des débris de sa fortune, utilement augmentés des secours de l'impératrice Catherine II, au milieu des cendres de cet amour éteint, devenu une tiède et décente amitié. Grimm qui avait demeuré auprès d'elle jusqu'à ce moment, la pleura décemment, et fit l'éloge de ses ouvrages, n'indiquant que sous ce titre dédaigneux « d'ébauche d'un long roman » ces Mémoires si curieux, si précieux pour l'histoire de la société et de la femme au dix-huitième siècle, et l'Histoire d'une partie de la vie de Rousseau. C'est à ces Mémoires, qui ne sont pas un chef-d'oeuvre, mais où il y a des pages exquises, des révélations piquantes, et la plus sincère concession, à travers bien des réticences,qui soit échappée à une personne de son sexe, que Mme d'Epinay doit une place dans notre littérature. Elle l'y occupe en dépit de Grimm, son dernier amant, qui ne se souciait pas qu'elle devînt célèbre à ses dépens. Elle l'y occupe, surtout grâce à cette liaison avec Rousseau et aux nombreuses pages qui la concernent dans le chef-d'œuvre de ce grand homme, malheureux qu'elle eut le tort, regretté sans doute par elle plus d'une fois, de sacrifier à Grimm et de chasser de l’Hermitage.

Fin

samedi 17 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (9)

Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.

En voici un 6è extrait.




La chose ne fut pas faite tout d'un coup. Rousseau, effarouché, se disputa, se rebella même un moment. Il avait le pressentiment de mainte déception, il comprenait que la servitude du bienfait, la plus douce de toutes, n'en est pas moins une servitude. Il savait que la protection des grands comme la fortune nous vend souvent fort cher ce qu'on croit qu'elle donne.

Mais comment résister à une aimable et charmante femme qui vous ouvre la porte d'une maison qu'elle dit vôtre en plein enivrement du printemps. Rousseau céda, entra, fut séduit, conquis.

Le 9 avril 1756, il venait s'établir à l'Hermitage. Mme d'Epinay a joliment et finement croqué ce pittoresque déménagement. Elle-même voulut procéder à l'installation. Le matin, elle avait envoyé à la porte de Rousseau, rue de Grenelle, en face de la rue des Deux-Ecus, à l'hôtel du Languedoc, tenu par la veuve Sabi, et où il logeait depuis sept ans, une charrette, accompagnée d'un de ses gens. M. Luisant, précepteur de son fils, monta à cheval de bonne heure pour faire tout ranger à l’Hermitage et la ramener au château de la  Chevrette. A dix heures, elle alla prendre Rousseau dans son carrosse, lui et ses deux gouvernantes, c'est-à-dire Thérèse Le Vasseur et sa mère. Celle-ci était une femme de soixante-dix ans, lourde, épaisse et presque impotente. Le chemin, des l'entrée de la forêt, était impraticable pour une berline; II fallut donc faire clouer de forts bâtons à un fauteuil, et porter à bras la mère Levasseur jusqu'à l’Hermitage. (…)

le château de la Chevrette, à l'époque des faits


Le 15 décembre 1757, vingt mois après cette installation a l'Hermitage, dont il a décrit si poétiquement la lune de miel, dont il a raconté si pathétiquement les chagrins et les déceptions, Rousseau quittait ce séjour charmant et funeste, brouillé .avec Mme d'Epinay, avec Grimm, avec Diderot, avec Saint-Lambert, ne gardant d'amis que Duclos, destiné à ne revoir que deux fois Mme d'Houdetot, la châtelaine d'Eaubonne, et à ne revoir jamais la châtelaine, de la Chevrette, et accusé par tout le monde d'ingratitude et d'insociabilité.

Le procès s'est continué devant la postérité et s'y plaide encore. Si quelques-uns ont volontiers condamné Rousseau, qu'il est de mode aujourd'hui de dénigrer, il en est d'autres, et nous sommes du nombre, qui trouvent sévère jusqu'à l'injustice le réquisitoire implacable de M. Saint-Marc Girardin, et qui sont tentés, après avoir lu les deux dossiers : les Confessions et les Mémoires de Mme d’Epinay, de plaindre Jean-Jacques plus que de le blâmer et de trouver qu'il n'y eut pas moins de torts du côté opposé que du sien.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que si Mme d'Epinay était bonne, elle avait aussi ses moments d'humeur et d'exigence que si elle était vraie, elle n'était pas franche ; que Rousseau ne tarda pas à reconnaître qu'on comptait de sa part pour prix du service d'une hospitalité qu'il n'avait acceptée qu'à la condition d'être indépendant, des complaisances peu conciliables avec son caractère aigri par un travail souvent ingrat,par les, misères et les disgrâces de son intérieur, par les maux de foie et de vessie, qui rendent si,facilement atrabilaire.
(ndlr : partisan de Rousseau, l'auteur s'appuie ici sur le commentaire apporté par le Genevois dans les Confessions, qu'il prend au pied de la lettre)

II faut considérer enfin et surtout que, tout en étant un philosophe, Rousseau ne l'était point de la façon athée, matérialiste,cynique, courtisane et mondaine dont l'entendait  la coterie holbachique son déisme éloquent et sa morale républicaine offusquaient des sceptiques spéculatifs qui n'allaient pas au delà d'un certain idéal tranquille de rénovation, et que faisait frémir le mot de démocratie (…)
(Sur cette question, on peut préférer l'interprétation de Benoît Mély - voir ici)

Rousseau, pour ce monde-là, le monde où régnait Grimm, où Diderot tonnait ses oracles,était à la fois trop susceptible et trop honnête. Là fut son malheur et son honneur.

Voila pourquoi il quitta toujours pauvre, toujours lier, toujours mécontent, et condamné par une cruelle expérience à de croissants ombrages, l'Hermitage pour aller à Montmorency, et, pour le commerce des vrais grands seigneurs, les Luxembourget les Boufflers, où il  ne trouva que protection, celui des encyclopédistes, où il n'avait trouvé que persécution.

Ajoutons qu'il faut aussi, dans ce brusque départ, cet exil volontaire,  faire, pour être tout à fait juste et vrai, la part du dépit ,que l'amour passionné de Rousseau pour Mme d'Houdetot avait causé à Mme d'Epinay, et du dépit qu'il ressentit lui-même de l'échec de cette passion si féconde pour son esprit, si stérile pour son cœur, si funeste pour son repos.

(à suivre ici)

mercredi 14 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (8)

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 Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 5è extrait.




Mais avant d'arriver, à la curieuse et intéressante histoire de la rupture de Jean-Jacques avec Mme d'Epinay, il n'est pas sans quelque intérêt de savoir, si cette femme, si bien douée du côté de l’intelligence et de l'esprit, l'était aussi bien du côté de la figure, et, comme dit le vulgaire « des avantages physiques.»

Oui et non. Mme d'Epinay en convient elle-même, et cet aveu suffit, elle n'était point jolie. Rousseau, qui était plus observateur qu'il ne le paraissait, et qui a tracé tant de portraits vivants de ce trait caractéristique que trouvent seuls les maîtres, nous montre Mme d'Epinay petite, maigre, blanche «sans plus de gorge que sur la main », d'un attrait, en somme, beaucoup plus intellectuel que matériel, et conventionnel que réel.  (…)

Elle devait être singulièrement séduisante, puisqu'elle séduisit tous ceux qu'elle voulut. Francueil lui-même, un des plus spirituels et des plus beaux roués du temps, trouva prise sur le glissant Grimm, dompta jusqu'à son mari, ensorcela Diderot, qui longtemps s'était en vain disputé, enchanta Voltaire, et reçut de Rousseau des hommages qu'il dit tout platoniques, mais plus qu'il ne le désirait peut-être;  (…) Tout cela n'est, certes, pas d'une femme ordinaire, qui joignit, a tant de mérites, celui d'avoir osé, la première, aimer la nature en face, habiter résolument la campagne, et mêler aux faiblesses d'un tempérament ardent, selon Rousseau, et d'un temps corrompu, une certaine décence de sentiment, une certaine parure d'aspirations morales qui élèvent au moins le niveau de la faute.

Si sa liaison, avec Francueil, n'avait pas été sans quelques éclats fâcheux, sa liaison avec Grimm fut exempte de tout incident. Grimm avait trop l'art des convenances pour braver l'opinion. Il l'amadoua si bien qu'elle lui fit les yeux les plus indulgents. II enjôla jusqu'au mari, qui avait pesté contre Francueil, mais qui ne se fâcha jamais contre un rival discret et plein d'égards qui le remplaçait sans l'humilier, dont le sigisbéisme le flattait presque. M. d'Epinay demeura neutre dans la querelle avec Rousseau, où plutôt ne fut pas éloigné de donner tort à un homme coupable d'offusquer un usurpateur par lequel, il ne se sentait pas lui-même offusqué..

Mais il est temps d'en venir à cette rupture de Mme d'Epinay avec Rousseau, triomphe de Grimm aux yeux des contemporains, mais non pas aux yeux de la postérité.

C'était au printemps de 1756, quelque temps avant les fêtes de Pâques qui tombait, cette année-là, Ie 18 avril. Rousseau, résolu de quitter Paris, où son séjour était au-dessus de ses forces, où il étouffait d'ailleurs dans les exiguïtés d'un logement d'artisan, se demandait où il allait porter la tente de sa vie vagabonde, et précaire.

L'air natal le tentait à Genève; mais que de difficultés pour y installer son ménage irrégulier, en pleine intolérance religieuse et inflexible puritanisme. D'un autre côté, il.se sentait plus que jamais épris de nature, affamé de liberté champêtre, de solitude agreste, malade de la nostalgie du plein ciel, des larges horizons, de rôdeur des prés, du murmure des bois.

C'est à ce moment d'incertitude et de perplexité que survient, charmante tentatrice, Mme d'Epinay, dont la bonté naturelle trouvait dans la réputation de son obligé, dans le relief que la sienne retirerait d'un tel service que celui quelle lui offrait, un double appât, qui, sans le détruire, diminue pourtant un peu le mérite d'une hospitalité non absolument désintéressée.

Qui n'eût fait des sacrifices afin d'avoir un Rousseau pour ami, pour hôte, pour commensal, même pour compagnon de conversation et de promenade, pour confident des peines domestiques, pour consolateur des chagrins intimes, pour conseiller dans l'éducation des enfants, pour guide dans les premiers essais littéraires encore inavoués?
l'ermitage, dépendance de la Chevrette


Avouons que, tout en acceptant de loger à l'Hermitage à la seule charge qu'il revendiqua, de surveiller le jardinet de payer le jardinier, Rousseau payait assez cher cette retraite, qu'il illustrait, et que c'est elle qui faisait la bonne affaire. Elle le sentait, la fine mouche, et il est impossible d'être plus câline, plus insinuante, plus enjôleuse que l'aimable et spirituelle femme, résolue a apprivoiser et à museler le roi des ours, et à le mener en laisse avec sa petite main tachée d'encre. Elle écrit dans son Journal: il y a, à quelque distance de la Chevrette, à l'entrée de la forêt, une petite maison qu'on appelle l'Hermitage. et qui appartient à M. d'Epinay. Je veux proposer à Rousseau de l'habiter. Je la lui ferai arranger de la manière la plus commode pour sa façon de vivre, et je me garderai bien de lui dire que cette dépense a été faite pour lui. Il n'y a jamais été; il croira que cette maison a toujours existé comme il la voit ! Je prierai M. d'Epinay de trouver bon que j'y mette des ouvriers.
(ndlr : l'auteur prend pour argent comptant un extrait du roman autobiographique de Louise, dans lequel elle s'adresse à "René" en lui proposant "les Roches" pour séjour)

Et elle écrivait à Jean-Jacques :

J'ai une petite maison qui est à vos ordres. Vous m'avez souvent ouï parler de l'Hermitage qui est à l'entrée, de la forêt de Montmorency : elle est située dans la plus .belle-vue. Il y a cinq chambres, une cuisine, une cave, un potager d'un arpent, une source d'eau vive, et la forêt pour jardin. Vous êtes le maitre, mon bon ami, de disposer de cette habitation, si vous vous déterminez à rester en France. (même remarque que ci-dessus)

(à suivre ici)

dimanche 11 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (7)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 4è extrait.




La liaison avec M. de Francueil ne tomba point tout d'un coup. Mme d'Epinay n'avait pas dans le caractère l'âpre résolution de sa belle-sœur, cette Madame de Jully qui, comme si elle eût pressenti sa fin précoce et eût voulu vivre double mettait si peu de façons à satisfaire ses caprices, et prenait et congédiait le chanteur Jélyotte avec un égal sang froid.

Bien que progressivement attiédie, la passion de Mme d' Epinay pour Francueil devait longtemps encore couver sous la cendre et quand Mme d'Epinay se fut aperçue que son amant la négligeait, s'enivrait volontiers, poussait la distraction jusqu'à laisser tomber aux pieds de son mari, en tirant sa bourse, des billets qu'elle lui adressait, enfin jusqu'à porter à Mme de Versel et à Mlle Rosé, la cadette, plus indigne rivale, des hommages qui n'étaient dus qu'à elle, elle condamna l'infidèle à n'être plus que son ami; celui-ci se crut obligé d'affecter une jalousie de convenance, de disputer, la place à son successeur, enfin de porter pendant un certain temps, dans l'amitié, le deuil de l'amour perdu.

 
Dupin de Francueil

L'amitié, c'était alors la fin quand ce n'était pas le commencement de toute passion ; c'en était l'automne, quand ce n'en était pas le printemps. L'amant nouveau, qui supplanta Francueil, s'avança jusqu'au cœur de Mme d'Epinay, attristée, isolée,calomniée, par ce chemin couvert de l'amitié. Il avait trouvé moyen de donner de la sienne à Mme d'Epinay un de ces témoignages publics qui ne souffrent pas l'ingratitude. Il s'était battu pour Mme d'Epinay, ou du moins à son occasion, ce qui était beaucoup plus habile, de façon à avoir tout le monde pour lui, même le mari.
(ndlr : rapporté par Louise dans son ouvrage autobiographique, ce épisode me semble néanmoins douteux) M. d'Epinay n'avait pas de fausse susceptibilité et se trouva très flatté que la cause de sa femme eût paru valoir à un homme répandu dans le monde le risque d'un coup d'épée. Ce coup d'épée, que M. Grimm porta modestement en écharpe, ne pouvait pas manquer d'une plus douée récompense. Il l'eut. Mais les circonstances qui donnèrent lieu à cet éclat valent la peine d'être racontées; car malgré leur apparence tragique, elle composent une des jolies comédies de ce temps et de tous les temps.
 
Louise , en compagnie, à la Chevrette

Du temps de Francueil, Mme d'Epinay ne songeait qu'à traduire ses sensations en lettres d'une inspiration un peu factice et déclamatoire. C'est sous l'influence de Grimm qu'elle cédera tour à tour au besoin d'écrire, en  l'idéalisant,  l'histoire de sa vie et de sa société, et à celui que ne Justifie pas assez la qualité de mère de famille, quand on n'est pas, au point de vue domestique, irréprochable, de rédiger, à l'intention de ses enfants, des traités d'éducation familière et de philosophie élémentaire. Cette veine pédagogique de Mme d'Epinay est un trait de son caractère et de la physionomie morale du temps. Nous la retrouverons chez Mme de Genlis, et avec plus d'autorité, chez Mme Necker.

Une autre conséquence de l'influence de Grimm sur Mme d'Epinay, c'est que, suivant en cela la loi de son caractère tyrannique et jaloux, servi d'ailleurs par la complaisance d'une femme qui n'avait d'indépendance que dans les idées, il la brouilla successivement et machiavéliquement avec tous ceux de ses amis dont il redoutait la rivalité ou plutôt, la perspicacité, notamment avec Duclos et avec Rousseau. C'est ce qu'il appelait « la rendre à elle-même. » Il la rendit si bien à elle-même qu'il la prit toute pour lui, la confisqua, la façonna, l'absorba si bien que l'œuvre de Mme d'Epinay nous apparaît volontiers avec ses qualités  et ses défauts, comme celle d'un Grimm-femelle (l'auteur de l'article ignorait que l'ouvrage autobiographique de Louise avait été retouché par Grimm). Elle fut la femme-Grimm, comme Mme du Deffand fut la femme-Voltaire, comme Mme de Staël devait être la femme-Rousseau.

(à suivre ici)

jeudi 8 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (6)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 3è extrait.




Elle lut des romans; pour se distraire de la réalité. De lire des romans à en avoir un, il n'y a qu'un pas, le premier. C'est le seul qui coûte, et le seul qui compte.

Mme d'Epinay avait rencontré Dupin de Francueil, receveur général, riche, galant, excellent musicien, comme elle et son mari. Mais, de plus que son mari, il avait l'air de l'aimer et surtout de la respecter, ce qui flatte encore davantage une femme que précisément le manque d'égards a poussée au dépit.



M. de La Live de Jully, son beau-frère, se trouva à point pour se faire l'intermédiaire de relations d'abord tout innocentes, toutes platoniques. Mais celles-là conduisirent à d'autres qui l’étaient moins. C'est ainsi que presque toutes les femmes s'égarent. Armées par la pudeur et par l'éducation contre toute attaque brutale, elles résisteraient si elles étaient brusquées mais qui chemine à couvert, qui s'insinue à la faveur de ce jargon du sentiment par lequel l'amour est présenté comme une sorte de vertu, les surprend et les trouve désarmées. Mme d'Epinay se livra en croyant se défendre; elle se laissa compromettre, et elle était déjà séduite qu'elle se croyait encore libre. Libre ! quand elle était allée au bal de l'Opéra sans son mari, avec deux autres femmes de ses amies passagèrement veuves comme elle! Le dangereux de la chose n'était pas là. Ces parties de femmes en rupture de ban conjugal, du consentement tacite ou exprès de l'époux, qui trouvait moyen de profiter de cette tolérance,étaient assez dans les mœurs du temps, et on n'y regardait pas de si près. Mais que faire au bal de l'Opéra, à moins qu'on n'y use et qu'on n'y abuse du masque, des facilités de l’incognito, des malins plaisirs de l'intrigue? Mme d'Epinay avait donc intrigué M. de Francueil qui ne demandait pas mieux que de l'être.
Dupin de Francueil

A quelques jours de là, on se retrouvait, comme par hasard, en partie liée, avec M. de Jully pour chaperon, chez Mme Darty, la maîtresse du prince de Conti. La musique se mit de la. fête. Ils sont bien dangereux aussi, ces duos au clavecin et ces intermèdes en quatuor, où les yeux s'accordent comme les voix, et où les instruments et les cœurs vibrent à l'unisson Bref, après quelques entrevues de ce genre, quelques conversations avec Mlle d'Ette, une amie sans préjugés, qui corrompait pour dominer, le dernier scrupule tombait. M. de Francueil avait vaincu. Ce brillant représentant de la jeunesse du temps, romanesque faute de pouvoir être héroïque, démasquait son jeu triomphalement.

Le masque tombé, l'ami s'évanouissait mais l’amant restait et recevait à son tour ce nom bizarre en matière si profane: «Mon ange! que par deux fois, dans sa correspondance de la lune de miel, Mme d'Epinay adresse au mari.

Et qu'en disait le monde? Le monde n'en disait rien. C'était reçu. « Mme d'Epinay et M. de Francueil se sont mis d'accord, telle était la formule discrète par laquelle il constatait une situation qui n'avait rienque d'ordinaire à une époque où il était extraordinaire d'aimer sa femme et ridicule de se fâcher d'un accroc, au contrat, pourvu qu'on ne s'affichât point.

Telle est, de 1746 à 1754 (ces liaisons-là duraient souvent longtemps et quelquefois toute la vie, comme entre Saint-Lambert et Mme d'Houdetot) l'histoire intime de Mme d'Epinay. M. de Francueil ne devait pas être son seul amant. Les fautes ne vont jamais seules. On disait sous Louis XIV à Mme delà Sablière : « Hé quoi! madame, toujours des amours et des amants! Les bêtes du moins n'ont qu'un temps. » Oui, répondit-elle, mais ce sont des bêtes . »

On faisait, sous Louis XV, un reproche analogue à Mme Breissard, la femme du fermier général, dont la liste était nombreuse. «Hélas! dit-elle, j'ai toujours cru, à chacun d'eux, que ce serait le dernier. »

Mme d'Epinay, elle aussi, crut que Francueil serait le premier et le dernier. Pourtant il y en eut encore d'autres, dont on connaît le nom, sans compter ceux qu'on ne connaît pas et auxquels il faut toujours laisser une part en ces histoires, la part de l'absent. Il y eut Grimm qui prit l'empire et le garda jusqu'à la vieillesse, car Mme d'Epinay n'était pas une effrontée

Elle avait, quoi qu'en ait dit Rousseau, plus de roman que de tempérament; elle déraisonnait raisonnablement, se trompait elle-même comme elle trompait son mari, de la meilleure foi du monde, et n'eût pas mieux demandé que de ne se tromper qu'une fois, Elle avait la décence dans la faute, la mesure dans l'excès et eût été volontiers fidèle dans l'infidélité.

Mais enfin il y eut Grimm, qui d'ami devint amant par dessus le marché. Il y eut Duclos, il y eut Rousseau, qui essayèrent de profiter, celui-ci de la jalousie, celui-là de l'admiration, et cherchèrent à escompter, le premier les bénéfices de la rupture avec Francueil, le second, les bénéfices de l'absence de Grimm. Pour ce dernier, toutefois, nous convenons qu'il y a mystère, matière à doute, et qu'il a toujours nié.
Grimm

Mais avant d'arriver à Jean-Jacques, et de nous arrêter à un épisode capital de la vie de Mme d'Epinay et de l'histoire littéraire du milieu du dix-huitième siècle, sa liaison et la brouillerie entre la châtelaine de la Chevrette et l’hôte de l'Ermitage, il importe de nous arrêter un instant devant l’agonie de cette passion, si chaude et si vivante un moment, dont Francueil fut pendant sep ans l'unique objet, et devant l'entrée en scène de rhomme habile, et plus heureux encore qu'habile, qui devait hériter sans partage, dans une intimité de trente ans avec Mme d'Epinay, des trésors de son esprit mûri par l'expérience et des restes de son cœur.

(à suivre ici)

lundi 5 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (5)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un extrait.




Le lendemain de son mariage, Mme d'Epinay se déclarait heureuse, très heureuse. C'était bien le moins qu'elle fût heureuse le lendemain d'un jour qu'elle devait bientôt regretter le reste de sa vie. Dès le matin, on s'était bien un peu disputé sur la question de savoir si elle mettrait ou ne mettrait pas du rouge. Mais ce léger conflit, où elle l'avait d'ailleurs emporté (le rouge va si bien aux nouvelles mariées !) n'avait été qu'un fugitif nuage dont l'éclat du ciel est avivé, loin d'en être obscurci.

Cela ne dura guère. Les nuages se multiplièrent bientôt, et ne passèrent plus. La jeune femme avait à peine l'espoir d'être mère, qu'il ne lui était plus permis de garder d'illusions sur son mari. Adieu les beaux projets de vie à deux, indépendante de tout autre souci que de celui de se complaire l'un à l'autre!



Ces projets sont étalés à la page 11 des Mémoires et dès la page 17 on en est aux premières brouilles, suivies, il est vrai, de raccommodements. M. d'Epinay n'est pas bien avec sa belle-mère. Passe encore; mais il aime trop les spectacles; mais il soupe très souvent en ville; et puis, il rentre si tard, qu'il n'ose se montrer dans l'appartement conjugal; alors il se retire dans sa petite chambre, parfois d'un pas un peu alourdi, et parfois aussi malade d'une indigestion. A la première, on le soigne avec sollicitude; reconnaisant de cette indulgence, il sourit; on profite de l'avantage pour le gronder doucement, et dans l'unique intérêt de sa santé ; il se pique, et se fâche. Lui faire des remontrances cela est du dernier mauvais goût, du dernier bourgeois; La scène est courte, mais bien caractéristique des mœurs conjugales du temps (…)

Et voila la guerre .allumée, guerre sourde encore, premier orage qui se résoudra en larmes, bientôt séchées.Mais le coup est porté. La bonne harmonie conjugale est comme ces fruits d'une peau si tendre que la moindre piqûre les flétrit. De ce jour l'accord est rompu. On se boude. Les officieux s'en mêlent. C'en est fait du raccommodement. Parmi ces médiateurs maladroits, ces consolateurs qui enveniment la plaie, le frère de M. d'Epinay est un bon type. 
Il m'a dit : « A quoi sert, ma pauvre sœur, l'état où vous vous mettez ? Eh bien ! prenons les choses au pis; quand il aurait une maîtresse, une passade, que cela signifierait-il? Vous en aimera-t-il moins dans le fond? – Que dites-vous, mon frère ? m'écriai-je; quoi ! il aurait… - Je n'en sais rien, je suppose ; je l'ai vu une fois ou deux. Non, non, mon frère , n'achevezpas. - Mais encore une fois, qu'est-ce que cela-prouve? –Non, mon frère, cela ne se peut.–Soit, » dit-il.

Il n'y avait pas trois mois que M. et Mme d'Epinay étaient mariés que cette dernière, depuis plus d'un mois, n'ignorait pas que son mari « recherchait une fille de la Comédie, à qui il avait fait des offres considérables. » C'était la danseuse Mademoiselle Rose, appelée a jouer dans le ménage un rôle de discorde. Tout cela, et bien d'autres griefs encore, permettaient à Mme d'Ëpinay de haïr son mari; mais il ne s'en contenta pas et lui donna le droit de le mépriser. Il la conduisit au bal. masqué et favorisa par son indulgence les galanteries du chevalier de Canaples vis-à-vis de sa femme. Il tenait évidemment à la déniaiser ou à la compromettre, afin qu'elle le laissât tranquille, le droit, de reproche n'appartenant plus à une personne qui cessait d'être irréprochable.

Mais il fit bien pis; et après cette odieuse scène où M. d'Epinay et son ami, tous deux à moitié ivres, forcent la porte de la chambre conjugale et où le mari fait cyniquement -dans un médianoche dont sa femme couchée est, malgré elle, témoin- à celui qui ne demanderait pas mieux que d'être l'amant, les honneurs du gynécée profane, on comprend très bien que c'en est fait désormais de tout raccommodement, de tout pardon. L'amour pardonne, jamais l’amour-propre.

M. d'Epinay s'est rendu plus coupable en traitant la femme comme une maîtresse qu’en en ayant une. Mme d'Epinay ainsi humiliée, ainsi déçue, destinée à recevoir bientôt une offense telle qu'il est difficile de l'exprimer décemment, devait tourner fatalement à la dévotion ou à la galanterie, se consoler ou se venger. Elle était, de son temps et prit ce dernier parti, qui lui convenait le mieux, parce-que la dévotion, en pareil cas, est une renonciation à la lutte, une sorte d'aveu d'impuissance. Or, une femme dont les droits sont méconnus, dont les charmes sont offensés, renonce difficilement à une revanche. Sans doute, on ne veut d'abord qu'essayer son pouvoir, ramener l'infidèle par d'innofensives représailles. Mais on est entraîné plus loin qu'on ne voulait, surtout quand on va sans trop savoir où..

Ce fut le cas de Mme d'Epinay et de bien d'autres. 

(à suivre ici)

jeudi 1 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (4)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un premier extrait.




" Les Mémoires de Mme d'Epinay, a dit Sainte-Beuve, ne sont pas un ouvrage, c'est une époque. "  C'est encore plus, car on n'y trouve pas seulement le tableau fidèle d'une société, la plus polie et la plus raffinée qui ait jamais été, a ce moment unique de sa transformation, quand tout s'y renouvelle à la fois, les idées et les passions, les lois et les mœurs mais on y trouve encore le portrait fort ressemblant, quoique tracé par elle-même, d'une personne, à beaucoup d'égards originale, singulièrement attrayante pour l'observateur, et dont l'étude, est une véritable bonne fortune pour le moraliste une de ces femmes qui sont plus femmes que les autres, et qui personnifient leur sexe, à l'une des périodes les plus curieuses de son histoire. (…) 



 Le 23 décembre 1745, à minuit était célébré dans l'église Saint-Roch, sans appareil et en présence de vingt-deux personnes appartenant toutes à la famille, le mariage de messire Denis-Joseph La Live d'Epinay, écuyer, âgé de vingt et un ans, fils de messire Louis-Denis La Live de Bellegarde, écuyer, seigneur d'Epinay et autres lieux, et de défunte dame Marie-Josèphe Prouveur, avec demoisle Louise-Florence-Pétronille deTardieu d'Esclavelles, âgée de vingt ans, fille de défunt messire Louis-Gabriel de Tardieu d'Esclavelles, chevalier, brigadier des armées du roi, commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, gouverneur de la citadelle de Valenciennnes, et de dame Florence-Angélique Prouveur.

La mariée, qui épousait son cousin germain, n'était autre que notre Mme d'Epinay. Appartenant à une famille de vieille noblesse hormande, remontant au quinzième siècle, riche d'honneur seulement, elle entrait dans une maison dont la fortune et l'illustration avaient été conquises dans la finance. La famille de La Live était depuis longtemps dans les affaires. Un de ses membres était receveur général dès 1705. En 1716, lors des opérations du visa, fermier-général, Christophe La Live avait été taxé à un million deux cent mille livres de restitution. M.  de Bellegarde devait être son fils. D'abord directeur-général, il fut nommé fermier-général en 1721 et continué dans les baux suivants. Denis de La Live d'Epinay, son fils ainé, avait été reçu en survivance de sa charge. (…)


II donna à son fils trois cent mille livres et environ pour douze mille livres de diamants à sa bru. Il laissa les frais de la noce à la charge de ses enfants, sous prétexte que c'est à ceux qui dansent à payer les violons. Mme d'Epinay avait reçu, tant du bien de son père que de celui de sa mère, trente mille livres d'argent, douze mille livres de trousseau et dix-huit mille livres de meubles et de linge. Son oncle et tuteur, André Prouveur, prêtre, docteur en théologie, prévôt de l'église collégiale de Condé, diocèse de Cambrai, lui avait assuré une terre qu'il possédait. Enfin, elle se mariait en communauté de biens, avec promesse d'un douaire de trois mille livres de rente.

Le jeune ménage, logé d'ailleurs à l'hôtel paternel, rue Saint-Honoré, avait, en somme, de quoi commencer. M. d'Epinay jouissait d'une portion des revenus de sa charge, et les espérances, nous parlons de celles qui s'escomptent, ne lui manquaient pas. Sa part dans la succession de son père devait, en effet, s'élever à dix-sept cent mille livres.

(à suivre ici)