dimanche 11 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (7)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 4è extrait.




La liaison avec M. de Francueil ne tomba point tout d'un coup. Mme d'Epinay n'avait pas dans le caractère l'âpre résolution de sa belle-sœur, cette Madame de Jully qui, comme si elle eût pressenti sa fin précoce et eût voulu vivre double mettait si peu de façons à satisfaire ses caprices, et prenait et congédiait le chanteur Jélyotte avec un égal sang froid.

Bien que progressivement attiédie, la passion de Mme d' Epinay pour Francueil devait longtemps encore couver sous la cendre et quand Mme d'Epinay se fut aperçue que son amant la négligeait, s'enivrait volontiers, poussait la distraction jusqu'à laisser tomber aux pieds de son mari, en tirant sa bourse, des billets qu'elle lui adressait, enfin jusqu'à porter à Mme de Versel et à Mlle Rosé, la cadette, plus indigne rivale, des hommages qui n'étaient dus qu'à elle, elle condamna l'infidèle à n'être plus que son ami; celui-ci se crut obligé d'affecter une jalousie de convenance, de disputer, la place à son successeur, enfin de porter pendant un certain temps, dans l'amitié, le deuil de l'amour perdu.

 
Dupin de Francueil

L'amitié, c'était alors la fin quand ce n'était pas le commencement de toute passion ; c'en était l'automne, quand ce n'en était pas le printemps. L'amant nouveau, qui supplanta Francueil, s'avança jusqu'au cœur de Mme d'Epinay, attristée, isolée,calomniée, par ce chemin couvert de l'amitié. Il avait trouvé moyen de donner de la sienne à Mme d'Epinay un de ces témoignages publics qui ne souffrent pas l'ingratitude. Il s'était battu pour Mme d'Epinay, ou du moins à son occasion, ce qui était beaucoup plus habile, de façon à avoir tout le monde pour lui, même le mari.
(ndlr : rapporté par Louise dans son ouvrage autobiographique, ce épisode me semble néanmoins douteux) M. d'Epinay n'avait pas de fausse susceptibilité et se trouva très flatté que la cause de sa femme eût paru valoir à un homme répandu dans le monde le risque d'un coup d'épée. Ce coup d'épée, que M. Grimm porta modestement en écharpe, ne pouvait pas manquer d'une plus douée récompense. Il l'eut. Mais les circonstances qui donnèrent lieu à cet éclat valent la peine d'être racontées; car malgré leur apparence tragique, elle composent une des jolies comédies de ce temps et de tous les temps.
 
Louise , en compagnie, à la Chevrette

Du temps de Francueil, Mme d'Epinay ne songeait qu'à traduire ses sensations en lettres d'une inspiration un peu factice et déclamatoire. C'est sous l'influence de Grimm qu'elle cédera tour à tour au besoin d'écrire, en  l'idéalisant,  l'histoire de sa vie et de sa société, et à celui que ne Justifie pas assez la qualité de mère de famille, quand on n'est pas, au point de vue domestique, irréprochable, de rédiger, à l'intention de ses enfants, des traités d'éducation familière et de philosophie élémentaire. Cette veine pédagogique de Mme d'Epinay est un trait de son caractère et de la physionomie morale du temps. Nous la retrouverons chez Mme de Genlis, et avec plus d'autorité, chez Mme Necker.

Une autre conséquence de l'influence de Grimm sur Mme d'Epinay, c'est que, suivant en cela la loi de son caractère tyrannique et jaloux, servi d'ailleurs par la complaisance d'une femme qui n'avait d'indépendance que dans les idées, il la brouilla successivement et machiavéliquement avec tous ceux de ses amis dont il redoutait la rivalité ou plutôt, la perspicacité, notamment avec Duclos et avec Rousseau. C'est ce qu'il appelait « la rendre à elle-même. » Il la rendit si bien à elle-même qu'il la prit toute pour lui, la confisqua, la façonna, l'absorba si bien que l'œuvre de Mme d'Epinay nous apparaît volontiers avec ses qualités  et ses défauts, comme celle d'un Grimm-femelle (l'auteur de l'article ignorait que l'ouvrage autobiographique de Louise avait été retouché par Grimm). Elle fut la femme-Grimm, comme Mme du Deffand fut la femme-Voltaire, comme Mme de Staël devait être la femme-Rousseau.

(à suivre ici)

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