Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 4è extrait.
La liaison avec M. de Francueil
ne tomba point tout d'un coup. Mme d'Epinay n'avait pas dans le caractère l'âpre
résolution de sa belle-sœur, cette Madame de Jully qui, comme si elle eût
pressenti sa fin précoce et eût voulu vivre double mettait si peu de façons à
satisfaire ses caprices, et prenait et congédiait le chanteur Jélyotte avec un
égal sang froid.
Bien que progressivement
attiédie, la passion de Mme d' Epinay pour Francueil devait longtemps encore
couver sous la cendre et quand Mme d'Epinay se fut aperçue que son amant la
négligeait, s'enivrait volontiers, poussait la distraction jusqu'à laisser
tomber aux pieds de son mari, en tirant sa bourse, des billets qu'elle lui
adressait, enfin jusqu'à porter à Mme de Versel et à Mlle Rosé, la cadette,
plus indigne rivale, des hommages qui n'étaient dus qu'à elle, elle condamna
l'infidèle à n'être plus que son ami; celui-ci se crut obligé d'affecter une
jalousie de convenance, de disputer, la place à son successeur, enfin de porter
pendant un certain temps, dans l'amitié, le deuil de l'amour perdu.
L'amitié, c'était alors la
fin quand ce n'était pas le commencement de toute passion ; c'en était
l'automne, quand ce n'en était pas le printemps. L'amant nouveau, qui supplanta
Francueil, s'avança jusqu'au cœur de Mme d'Epinay, attristée, isolée,calomniée,
par ce chemin couvert de l'amitié. Il avait trouvé moyen de donner de la sienne à Mme d'Epinay un de
ces témoignages publics qui ne souffrent pas l'ingratitude. Il s'était battu
pour Mme d'Epinay, ou du moins à son occasion, ce qui était beaucoup plus
habile, de façon à avoir tout le monde pour lui, même le mari.
(ndlr : rapporté par Louise dans son ouvrage autobiographique, ce épisode me semble néanmoins douteux) M. d'Epinay
n'avait pas de fausse susceptibilité et se trouva très flatté que la cause de
sa femme eût paru valoir à un homme répandu dans le monde le risque d'un coup
d'épée. Ce coup d'épée, que M. Grimm porta modestement en écharpe, ne pouvait
pas manquer d'une plus douée récompense. Il l'eut. Mais les circonstances qui
donnèrent lieu à cet éclat valent la peine d'être racontées; car malgré leur apparence
tragique, elle composent une des jolies comédies de ce temps et de tous les
temps.
Du temps de Francueil, Mme
d'Epinay ne songeait qu'à traduire ses sensations en lettres d'une inspiration
un peu factice et déclamatoire. C'est sous l'influence de Grimm qu'elle cédera
tour à tour au besoin d'écrire, en
l'idéalisant, l'histoire de
sa vie et de sa société, et à celui que ne Justifie pas assez la qualité de
mère de famille, quand on n'est pas, au point de vue domestique, irréprochable,
de rédiger, à l'intention de ses enfants, des traités d'éducation familière et
de philosophie élémentaire. Cette veine pédagogique de Mme d'Epinay est un
trait de son caractère et de la physionomie morale du temps. Nous la
retrouverons chez Mme de Genlis, et avec plus d'autorité, chez Mme Necker.
Une autre conséquence de l'influence
de Grimm sur Mme d'Epinay, c'est que, suivant en cela la loi de son caractère
tyrannique et jaloux, servi d'ailleurs par la complaisance d'une femme qui
n'avait d'indépendance que dans les idées, il la brouilla successivement et
machiavéliquement avec tous ceux de ses amis dont il redoutait la rivalité ou
plutôt, la perspicacité, notamment avec Duclos et avec Rousseau. C'est ce qu'il
appelait « la rendre à elle-même. » Il la rendit si bien à elle-même qu'il
la prit toute pour lui, la confisqua, la façonna, l'absorba si bien que l'œuvre
de Mme d'Epinay nous apparaît volontiers avec ses qualités et ses défauts, comme celle d'un
Grimm-femelle (l'auteur de l'article ignorait que l'ouvrage autobiographique de Louise avait été retouché par Grimm). Elle fut la femme-Grimm, comme Mme du
Deffand fut la femme-Voltaire, comme Mme de Staël devait être la femme-Rousseau.
(à suivre ici)
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