lundi 5 juin 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (5)

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Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un extrait.




Le lendemain de son mariage, Mme d'Epinay se déclarait heureuse, très heureuse. C'était bien le moins qu'elle fût heureuse le lendemain d'un jour qu'elle devait bientôt regretter le reste de sa vie. Dès le matin, on s'était bien un peu disputé sur la question de savoir si elle mettrait ou ne mettrait pas du rouge. Mais ce léger conflit, où elle l'avait d'ailleurs emporté (le rouge va si bien aux nouvelles mariées !) n'avait été qu'un fugitif nuage dont l'éclat du ciel est avivé, loin d'en être obscurci.

Cela ne dura guère. Les nuages se multiplièrent bientôt, et ne passèrent plus. La jeune femme avait à peine l'espoir d'être mère, qu'il ne lui était plus permis de garder d'illusions sur son mari. Adieu les beaux projets de vie à deux, indépendante de tout autre souci que de celui de se complaire l'un à l'autre!



Ces projets sont étalés à la page 11 des Mémoires et dès la page 17 on en est aux premières brouilles, suivies, il est vrai, de raccommodements. M. d'Epinay n'est pas bien avec sa belle-mère. Passe encore; mais il aime trop les spectacles; mais il soupe très souvent en ville; et puis, il rentre si tard, qu'il n'ose se montrer dans l'appartement conjugal; alors il se retire dans sa petite chambre, parfois d'un pas un peu alourdi, et parfois aussi malade d'une indigestion. A la première, on le soigne avec sollicitude; reconnaisant de cette indulgence, il sourit; on profite de l'avantage pour le gronder doucement, et dans l'unique intérêt de sa santé ; il se pique, et se fâche. Lui faire des remontrances cela est du dernier mauvais goût, du dernier bourgeois; La scène est courte, mais bien caractéristique des mœurs conjugales du temps (…)

Et voila la guerre .allumée, guerre sourde encore, premier orage qui se résoudra en larmes, bientôt séchées.Mais le coup est porté. La bonne harmonie conjugale est comme ces fruits d'une peau si tendre que la moindre piqûre les flétrit. De ce jour l'accord est rompu. On se boude. Les officieux s'en mêlent. C'en est fait du raccommodement. Parmi ces médiateurs maladroits, ces consolateurs qui enveniment la plaie, le frère de M. d'Epinay est un bon type. 
Il m'a dit : « A quoi sert, ma pauvre sœur, l'état où vous vous mettez ? Eh bien ! prenons les choses au pis; quand il aurait une maîtresse, une passade, que cela signifierait-il? Vous en aimera-t-il moins dans le fond? – Que dites-vous, mon frère ? m'écriai-je; quoi ! il aurait… - Je n'en sais rien, je suppose ; je l'ai vu une fois ou deux. Non, non, mon frère , n'achevezpas. - Mais encore une fois, qu'est-ce que cela-prouve? –Non, mon frère, cela ne se peut.–Soit, » dit-il.

Il n'y avait pas trois mois que M. et Mme d'Epinay étaient mariés que cette dernière, depuis plus d'un mois, n'ignorait pas que son mari « recherchait une fille de la Comédie, à qui il avait fait des offres considérables. » C'était la danseuse Mademoiselle Rose, appelée a jouer dans le ménage un rôle de discorde. Tout cela, et bien d'autres griefs encore, permettaient à Mme d'Ëpinay de haïr son mari; mais il ne s'en contenta pas et lui donna le droit de le mépriser. Il la conduisit au bal. masqué et favorisa par son indulgence les galanteries du chevalier de Canaples vis-à-vis de sa femme. Il tenait évidemment à la déniaiser ou à la compromettre, afin qu'elle le laissât tranquille, le droit, de reproche n'appartenant plus à une personne qui cessait d'être irréprochable.

Mais il fit bien pis; et après cette odieuse scène où M. d'Epinay et son ami, tous deux à moitié ivres, forcent la porte de la chambre conjugale et où le mari fait cyniquement -dans un médianoche dont sa femme couchée est, malgré elle, témoin- à celui qui ne demanderait pas mieux que d'être l'amant, les honneurs du gynécée profane, on comprend très bien que c'en est fait désormais de tout raccommodement, de tout pardon. L'amour pardonne, jamais l’amour-propre.

M. d'Epinay s'est rendu plus coupable en traitant la femme comme une maîtresse qu’en en ayant une. Mme d'Epinay ainsi humiliée, ainsi déçue, destinée à recevoir bientôt une offense telle qu'il est difficile de l'exprimer décemment, devait tourner fatalement à la dévotion ou à la galanterie, se consoler ou se venger. Elle était, de son temps et prit ce dernier parti, qui lui convenait le mieux, parce-que la dévotion, en pareil cas, est une renonciation à la lutte, une sorte d'aveu d'impuissance. Or, une femme dont les droits sont méconnus, dont les charmes sont offensés, renonce difficilement à une revanche. Sans doute, on ne veut d'abord qu'essayer son pouvoir, ramener l'infidèle par d'innofensives représailles. Mais on est entraîné plus loin qu'on ne voulait, surtout quand on va sans trop savoir où..

Ce fut le cas de Mme d'Epinay et de bien d'autres. 

(à suivre ici)

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