Grand quotidien fondé par Emile de Girardin, La Presse consacre en décembre 1875 un long article à Louise d'Epinay.
En voici un 2è extrait.
Le lendemain de son mariage, Mme
d'Epinay se déclarait heureuse, très heureuse. C'était bien le moins qu'elle
fût heureuse le lendemain d'un jour qu'elle devait bientôt regretter le reste
de sa vie. Dès le matin, on s'était bien un peu disputé sur la question de
savoir si elle mettrait ou ne mettrait pas du rouge. Mais ce léger conflit, où
elle l'avait d'ailleurs emporté (le rouge va si bien aux nouvelles mariées !) n'avait
été qu'un fugitif nuage dont l'éclat du ciel est avivé, loin d'en être
obscurci.
Cela ne dura guère. Les nuages se
multiplièrent bientôt, et ne passèrent plus. La jeune femme avait à peine
l'espoir d'être mère, qu'il ne lui était plus permis de garder d'illusions sur
son mari. Adieu les beaux projets de vie à deux, indépendante de tout autre
souci que de celui de se complaire l'un à l'autre!
Ces projets sont étalés à la page
11 des Mémoires et dès la page 17 on en est aux premières brouilles, suivies,
il est vrai, de raccommodements. M. d'Epinay n'est pas bien avec sa belle-mère.
Passe encore; mais il aime trop les spectacles; mais il soupe très souvent en
ville; et puis, il rentre si tard, qu'il n'ose se montrer dans l'appartement
conjugal; alors il se retire dans sa petite chambre, parfois d'un pas un peu
alourdi, et parfois aussi malade d'une indigestion. A la première, on le soigne
avec sollicitude; reconnaisant de cette indulgence, il sourit; on profite de l'avantage
pour le gronder doucement, et dans l'unique intérêt de sa santé ; il se pique,
et se fâche. Lui faire des remontrances cela est du dernier mauvais goût, du dernier
bourgeois; La scène est courte, mais bien caractéristique des mœurs conjugales
du temps (…)
Et voila la guerre .allumée,
guerre sourde encore, premier orage qui se résoudra en larmes, bientôt
séchées.Mais le coup est porté. La bonne harmonie conjugale est comme ces
fruits d'une peau si tendre que la moindre piqûre les flétrit. De ce jour l'accord
est rompu. On se boude. Les officieux s'en mêlent. C'en est fait du
raccommodement. Parmi ces médiateurs maladroits, ces consolateurs qui enveniment
la plaie, le frère de M. d'Epinay est un bon type.
Il m'a dit : « A quoi sert,
ma pauvre sœur, l'état où vous vous mettez ? Eh bien ! prenons les choses au
pis; quand il aurait une maîtresse, une passade, que cela signifierait-il? Vous
en aimera-t-il moins dans le fond? – Que dites-vous, mon frère ? m'écriai-je;
quoi ! il aurait… - Je n'en sais rien, je suppose ; je l'ai vu une
fois ou deux. Non, non, mon frère , n'achevezpas. - Mais encore une fois, qu'est-ce
que cela-prouve? –Non, mon frère, cela ne se peut.–Soit, » dit-il.
Il n'y avait pas trois mois que
M. et Mme d'Epinay étaient mariés que cette dernière, depuis plus d'un mois,
n'ignorait pas que son mari « recherchait une fille de la Comédie, à qui il
avait fait des offres considérables. » C'était la danseuse Mademoiselle
Rose, appelée a jouer dans le ménage un rôle de discorde. Tout cela, et bien
d'autres griefs encore, permettaient à Mme d'Ëpinay de haïr son mari; mais il
ne s'en contenta pas et lui donna le droit de le mépriser. Il la conduisit au bal.
masqué et favorisa par son indulgence les galanteries du chevalier de Canaples
vis-à-vis de sa femme. Il tenait évidemment à la déniaiser ou à la
compromettre, afin qu'elle le laissât tranquille, le droit, de reproche
n'appartenant plus à une personne qui cessait d'être irréprochable.
Mais il fit bien pis; et après
cette odieuse scène où M. d'Epinay et son ami, tous deux à moitié ivres,
forcent la porte de la chambre conjugale et où le mari fait cyniquement -dans
un médianoche dont sa femme couchée est, malgré elle, témoin- à celui qui ne
demanderait pas mieux que d'être l'amant, les honneurs du gynécée profane, on
comprend très bien que c'en est fait désormais de tout raccommodement, de tout
pardon. L'amour pardonne, jamais l’amour-propre.
M. d'Epinay s'est rendu plus
coupable en traitant la femme comme une maîtresse qu’en en ayant une. Mme
d'Epinay ainsi humiliée, ainsi déçue, destinée à recevoir bientôt une offense
telle qu'il est difficile de l'exprimer décemment, devait tourner fatalement à
la dévotion ou à la galanterie, se consoler ou se venger. Elle était, de son temps
et prit ce dernier parti, qui lui convenait le mieux, parce-que la dévotion, en
pareil cas, est une renonciation à la lutte, une sorte d'aveu d'impuissance.
Or, une femme dont les droits sont méconnus, dont les charmes sont offensés,
renonce difficilement à une revanche. Sans doute, on ne veut d'abord qu'essayer
son pouvoir, ramener l'infidèle par d'innofensives représailles. Mais on est
entraîné plus loin qu'on ne voulait, surtout quand on va sans trop savoir où..
Ce fut le cas de Mme d'Epinay et
de bien d'autres.
(à suivre ici)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...