vendredi 26 novembre 2010

Le XVIIIème siècle au cinéma.

Avant d'écrire, je dois nécessairement "voir" les scènes, les imaginer en train de se dérouler sous mes yeux. Evidemment, il m'arrive souvent de faire appel aux cinéastes et à certains films dont l'intrigue prend place au XVIIIème siècle.


Au-dessus de tout, je place l'extraordinaire Barry Lyndon de Kubrick. Jamais je n'ai été autant ému que par le destin picaresque et tragique de Redmond Barry, cet aventurier sans foi ni loi, totalement amoral, et pourtant poignant. Avouons-le, la très belle Marisa Berenson (l'épouse de Redmond) n'est pas étrangère à la fascination que j'éprouve pour cette oeuvre. Le film est d'une lenteur calculée, porté par la musique de Haendel et Schubert. Je vous recommande notamment la sublime scène de la terrasse, totalement muette, lorsque Redmond séduit la jeune femme, après avoir quitté la table de jeu (on la trouve sur ce blog). Observez ce mouvement presque irréel, alors qu'elle se retourne pour lui faire face, et vous constaterez à quel degré Kubrik pouvait porter ses exigences de perfection. Et si je n'évoque pas la scène qui précède, tournée sans autre source d'éclairage que les bougies, c'est parce qu'elle est déjà connue de tous.

En ce qui concerne Les Liaisons dangereuses de Frears, je n'ai jamais compris pourquoi les réalisateurs français se montraient incapables d'adapter leurs propres classiques (lisez ce roman de Laclos !). Dans le film de Frears, le trio Malkovich-Close-Pfeiffer fonctionne à merveille. Là encore, tout est dans la nuance et l'implicite, notamment le jeu de Malkovich qui restitue parfaitement la dimension tragique de son personnage. A comparer ce film au Valmont de Forman, on comprend mieux à quel point cette adaptation est réussie.


Achevons avec le Ridicule de Patrice Leconte, que le réalisateur a visiblement pris énormément de plaisir à tourner. Les bons mots et autres piques de ses repas, il les a puisés dans des recueils de citations du XVIIIème siècle. Et ces dialogues font mouche, l'ambiance des salons aristocratiques étant par ailleurs parfaitement restituée. Même le personnage de l'abbé, incarné par le regretté Giraudeau, peut sembler crédible, alors que tout, de son aspect vestimentaire jusqu'à sa coiffure, est totalement fantaisiste ! Et que dire de la très sensuelle et vénéneuse Fanny Ardant, dont décidément je ne parviendrai jamais à me lasser...

J'allais oublier le très beau Amadeus de Forman ! Etrangement, c'est le personnage de Salieri, joué par F Murray Abraham, qui me semble le plus réussi. Quant à la musique, je continue de placer Mozart au-dessus de tous les autres...

En achevant cet article, j'aurais voulu évoquer des films ratés sur le XVIIIème siècle, et il ne m'en vient aucun ... Qu'en ai-je donc fait ?

vendredi 19 novembre 2010

Bibliographie...

On n'écrit pas un roman historique sans avoir réuni au préalable tout un fonds documentaire sur lequel va s'appuyer notre imaginaire.

Les ouvrages de référence, tout d'abord, ceux qui m'ont nourri ces dernières années :
- La transparence et l'obstacle, de Starobinski, déjà évoqué dans un précédent article.
- Rousseau, un intellectuel en rupture, de B Mély, un essayiste brillant et méconnu, qui a su mettre des mots sur certaines de mes intuitions.
- Cette étrange affaire, Un homme, deux ombres, deux ouvrages de H Guillemin, à la fois passionnants, convaincants et excessifs.
- JJ Rousseau, biographie de Raymond Trousson, très documentée, mais qui ne fournit peut-être pas un effort critique suffisant sur les Confessions.
- JJ Rousseau au jour le jour, de Trousson et Eigeldinger : on y suit le parcours de Rousseau depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Indispensable.

Les ouvrages plus spécialisés, ensuite :
- Les grandes heures du château de la Chevrette, de Michel Bourlet : à mes yeux, une mine d'or, puisqu'il s'agissait d'y faire évoluer mes personnages. Cartes, histoire, photos, rien ne manque.
- Lexique du parler populaire d'antan, de Massin : indispensable pour certains passages dialogués.
- Bons mots et phrases assassines, recueil de "piques" glanées dans les conversations mondaines du XVIIIème, paru aux éditions du Chêne 
- JJ Rousseau et Paris, de Yamazaki : l'auteur nous fait visiter le Paris qu'a connu Rousseau, rue par rue, quartier par quartier.
- Emilie, Emilie, d'Elisabeth Badinter : j'ai de l'admiration pour la vigilance et la ténacité de la philosophe, même si je ne partage pas son regard sur Louise d'Epinay.
- Madame du Deffand et son monde, de Benedetta Craveri : l'une des plus illustres salonnières du XVIIIème y est dépeinte.
- Histoire de Mme de Montbrillant, de Louise d'Epinay : un autre regard sur l'épisode de l'ermitage et sur Rousseau
- Vivre dans la rue à Paris au XVIIIème, d'Arlette Farge : l'ouvrage fourmille d'anecdotes et de détails recueillis dans les archives de la police parisienne
- Le promeneur à Paris au XVIIIème, de L Turcot : ouvrage consacré aux lieux de promenade parisiens
- Le monde des salons, d'Antoine Lilti : ouvrage très complet, qui décrypte l'univers de la sociabilité parisienne au XVIIIème siècle.

lundi 15 novembre 2010

Pour ouvrir mon roman...

Une citation d'Albert Cohen :
« Combien nous pouvons faire souffrir ceux qui nous aiment et quel affreux pouvoir de mal nous avons sur eux »
 


A mes yeux, rien ne saurait mieux illustrer l'histoire que vous découvrirez peut-être début 2011, une histoire d'amour, de haine et de trahison.

L'amour qui lie Diderot et Rousseau tout d'abord, et qui s'achève sur une rupture brutale. Ces deux hommes étaient-ils faits pour s'entendre ? Peu importe, ils se sont aimés pendant plus de quinze ans. Et puis, ils se sont haïs jusqu'à la fin de leurs jours. Diderot a trahi. Peut-être plus maladroit que malintentionné, mais Rousseau ne le lui a jamais pardonné.

L'union de Thérèse et de Jean-Jacques, ensuite, qui durera jusqu'à la mort du philosophe en 1778. Là, les rôles s'inversent, et si le témoignage de la blanchisseuse nous manque, on imagine combien son compagnon a dû la faire souffrir, notamment lors du séjour à l'ermitage de Montmorency (1756/1757).

L'amitié entre Louise d'Epinay et Rousseau également, que certains contemporains suspectaient d'être davantage que cela. Qu'espérait Louise ? Qu'attendait-elle de Rousseau ? L'a-t-elle aimé ? Il y aurait un roman à écrire sur cette femme. Une piste à creuser, peut-être, lorsque j'en aurai fini avec mon Genevois...

La plus douloureuse, enfin... Cette histoire d'amour brève et intense entre Jean-Jacques et Sophie d'Houdetot. Il a plus de 40 ans lorsqu'il prétend éprouver ce sentiment pour la première fois ("et pour cette fois, ce fut de l'amour", Confessions). Il est en train d'écrire sa Nouvelle Héloïse, et le personnage de Julie d'Etanges va brutalement s'incarner sous les traits de cette jeune femme, comtesse d'Houdetot, dont il s'éprend follement. Avec elle, et c'est un thème essentiel chez Rousseau, il n'éprouve plus le besoin de parler. Leurs âmes s'ouvrent l'une à l'autre, avec la transparence du cristal. Rousseau rêvait depuis toujours d'une telle relation, il la transcrivait déjà dans les plus belles pages de son roman, mais il ne la croyait pas possible.
Et Sophie est apparue...
Ces quelques mois durant lesquels ils se sont aimés, Jean-Jacques ne les a jamais racontés dans le détail. Les courriers les plus passionnés ont malheureusement disparu. Mais il les a vécus avec intensité, échappant au réel, sur les hauteurs de Montmorency où il rencontrait sa Sophie presque quotidiennement.
Au moment de la rupture, il a d'autant plus souffert qu'il croyait cette femme différente des autres, capable d'échapper aux réalités du monde. Mais le monde a brutalement fondu sur eux, impitoyable, et leur a rappelé qu'elle était Comtesse d'Houdetot, déjà liée (à son époux, à son amant), et introduite dans un milieu où de tels écarts ne pouvaient être admis.
En cette fin d'année 1757,  j'imagine avec effroi la souffrance qui a été celle de Jean-Jacques : c'est celle d'un homme qui renonce définitivement à ses illusions...

vendredi 12 novembre 2010

Les "grands" auteurs du XVIIIème...

Jusqu'à ce jour, je me suis contenté d'évoquer les hommes, et notamment ce que l'histoire a oublié d'eux. Je n'ai jamais apprécié ces versions simplifiées et caricaturales de notre passé, en l'occurrence du XVIIIème siècle, qui font de Voltaire un "grand" homme parce qu'il a défendu Calas, et de Rousseau un monstre parce qu'il a abandonné ses enfants. Tous les philosophes ont eu leur coup d'éclat, leur fait d'armes, mais chacun d'eux présente également ses zones d'ombre et ses bassesses. Prenons l'exemple de d'Alembert, qui prend sous son aile les jeunes hommes de lettres, les aide à s'intégrer dans la vie mondaine, leur enseigne que seule compte l'indépendance à l'égard des grands de ce monde, alors que dans le même temps, ce même d'Alembert entre dans toutes les Académies d'Europe et accumule les pensions et autres sinécures...

Mais oublions un temps les hommes, et parlons, si vous le voulez bien, des auteurs, toutes ces grandes figures tutélaires des Lumières...

Que reste-t-il de Voltaire, aujourd'hui ? Que connaît-on encore de l'auteur ? Je vous imagine en train de raviver vos lointains souvenirs d'école, et par la force des choses, le titre qui vous vient à l'esprit est nécessairement Candide, peut-être son conte le plus célèbre. D'autres, déjà moins nombreux, citeront Zadig ou même Micromegas. Ces récits, reconnaissons-le, sont des bijoux de fantaisie, d'audace et d'impertinence. Mais mis à part ces quelques contes, qu'a-t-on conservé de Voltaire dans notre mémoire collective ? Quasiment rien... Quand on songe qu'il qualifiait ces récits de "coïonneries" ou encore "d'excréments de la littérature" ( lettre à d'Alembert, mars 1771), on comprend qu'il ne comptait guère sur eux pour asseoir sa réputation littéraire. Non, le Voltaire des Lumières, c'est avant tout le dramaturge ou le poète, l'auteur d'Alzire, de Brutus, d'Irène, de Jules César, de l'Orphelin de Chine ; celui de la Henriade et du Temple du goût... Oui, la grandeur de Voltaire au XVIIIème s'est forgée dans l'écriture de ces pièces versifiées, aujourd'hui illisibles et totalement oubliées du grand public. D'ailleurs, jamais il n'aurait accepté la paternité des quelques dizaines de contes qu'on lui attribue aujourd'hui, ceux-ci étant le plus souvent publiés sous un faux nom ou de manière anonyme. Pensez donc ! Le plus grand auteur du siècle se complaire dans des "niaiseries" de bas étage !

Passons rapidement sur d'Alembert. Hormis son Mémoire sur le calcul intégral, un traité de dynamique et un autre sur le mouvement des fluides, le géomètre a compilé ses oeuvres dans cinq tomes intitulés Mélanges, que même les académiciens qui siégeaient à ses côtés n'ont jamais lus ! Quant aux compétences du mathématicien, si elles sont réelles, il est amusant de constater que ses confrères le considéraient avant tout comme un homme de lettres, et non comme un scientifique !

Achevons avec Diderot, celui que j'ai surnommé le Protée du XVIIIème siècle. Car qui est Diderot ? Un romancier, auteur de Jacques le Fataliste ? Un dramaturge, avec Le Fils Naturel, un essayiste ( Pensées philosophiques), l'auteur d'oeuvres inclassables telles que le Supplément au voyage de Bougainville, le Neveu de Rameau ? En fait, l'Encyclopédiste est totalement inclassable, reconnaissons-le, et son talent littéraire est indiscutable. Pourtant, je demeure persuadé qu'il n'a pas écrit l'Oeuvre à la hauteur de ses immenses qualités. Et surtout, un reproche, presque une tache qui souille le parcours de cet homme de combat : il a reculé devant Berryer en 1749, en acceptant de ne plus rien publier qui porte atteinte aux institutions religieuses ou politiques. Et cette promesse, il l'a tenue quasiment jusqu'à la fin de son existence, puisqu'il ne fera paraître ses ouvrages les plus polémiques qu'après 1778, lorsque ses alliés philosophes auront intégré les sphères politiques.

Reste l'Encyclopédie, à laquelle tous ont apporté leur contribution. Il me faudra peut-être en reparler un jour...

jeudi 11 novembre 2010

Starobinski et Rousseau (1)

De tous les ouvrages consacrés à Rousseau, c'est peut-être "la transparence et l'obstacle", pourtant publié il y a près de cinquante ans, qui me semble le plus perspicace sur le compte du philosophe genevois.

Dans son chapitre intitulé "la solitude", Starobinski pose la problématique suivante :
" ...l'on se demandera si toute la théorie historique de Rousseau n'est pas une construction destinée à justifier un choix personnel. S'agit-il pour lui de vivre selon ses principes ? Tout au contraire, n'a-t-il pas forgé des principes et des explications historiques à seule fin d'excuser et de légitimer son étrange vie, sa timidité, sa maladresse, son humeur inégale, cette Thérèse si fruste avec qui il s'est mis en ménage ? (...) Au moment où il s'en prend aux vices de la société, il n'a personne à ses côtés et ne veut avoir aucun allié. Il se rend d'autant plus solitaire qu'il élève une protestation plus générale. (D'aucuns diront : il se veut solitaire, ce qui l'oblige à élever la protestation la plus générale."

Vous l'aurez constaté, Starobinski se contente de proposer deux hypothèses, et il laisse le soin au lecteur de choisir celle qui lui semble la plus vraisemblable. Mais qu'on ne s'y trompe pas : notre regard sur Rousseau sera entièrement déterminé par ce choix :
- S'est-il coupé du monde (après 1756) pour mettre son existence en accord avec les idées émises dans ses deux Discours ( celui sur les sciences et les arts, celui sur l'inégalité) ?
- Au contraire, a-t-il construit ces théories pour justifier sa singularité et son besoin de vivre retiré ?

Evidemment, durant près de vingt ans, Rousseau n'a cessé de clamer son authenticité. Cette obsession de paraître vrai aux yeux de ses contemporains (ou auprès des générations suivantes ?) atteint son point d'orgue dans les ouvrages autobiographiques ( Confessions, Rousseau juge de Jean-Jacques).
Au contraire, ses ennemis ont constamment prétendu que Rousseau jouait un rôle dont il s'était rendu prisonnier : celui du misanthrope, de l'ermite méprisant ses contemporains et la société de son temps.

Deux hypothèses tout aussi fascinantes l'une que l'autre.

samedi 6 novembre 2010

A vous qui passez dans le coin...

J'aurais grand besoin, aujourd'hui, de recueillir quelques avis sur Rousseau. Que vous soyez connaisseur ou non, je vous invite donc à m'expliquer en quelques phrases de quelle manière vous vous représentez le philosophe genevois, ou encore son oeuvre. Accessoirement, vous pouvez apporter votre sentiment sur d'autres auteurs du XVIIIème.
En vous remerciant, OM

jeudi 4 novembre 2010

Autodérision...

Maintenant qu'on entre dans la phase de publication (sortie du roman prévue fin janvier aux Editions Télémaque), je relis d'un oeil différent certains passages de "la Comédie des Masques" et du "Masque de Diogène".
Et pour ne rien vous cacher, il m'arrive de rire de moi-même, tant le besoin d'être vrai (ou de le paraître...) m'a poussé à certaines extrémités que je n'ose qualifier ici...
Prenons l'incipit du roman :
Allongés dans la barque, les deux hommes restèrent un long moment silencieux.
L'embarcation dérivait lentement, portée par un faible courant qui la ramenait insensiblement vers le château. On distingua bientôt une rumeur lointaine, rendue indécise par le clapotis de l'eau.
Dérangé dans sa rêverie, Rousseau ouvrit les yeux et se redressa à demi.
- Le bal a commencé sans vous, mon ami.
Francueil eut un geste las et maugréa :
- Bah ! Ne sommes-nous pas mieux ici, à canoter sur cette paisible rivière ?
Rousseau ne répondit pas. Au détour d'un bosquet, malgré l'obscurité, les contours majestueux de Chenonceaux commençaient à se dessiner dans le ciel nocturne. Surplombant les eaux du Cher dans le prolongement du principal corps de bâtiment, la salle de réception s'étendait entre les deux rives. Comme il faisait chaud, on avait ouvert toutes les fenêtres en grand, et Jean-Jacques crut reconnaître les accords d'une contredanse.

Vous la visualisez, cette scène ? Rousseau et son ami Francueil, allongés dans une barque, se laissent paisiblement emporter par le courant jusqu'au château de Chenonceaux. Ils vont ensuite entrer dans les cuisines par une porte située dans l'un des piliers qui soutiennent l'édifice. 
Reconnaissons tout d'abord que l'image de ce Jean-Jacques passif, presque à la dérive, me semblait correspondre à la situation de mon personnage avant 1749. Mais à peine avais-je commencé à écrire que les premières questions s'imposèrent à moi. En voici un échantillon (non exhaustif) : mais quel est le sens du courant par rapport au bâtiment ? est-il donc possible que la barque dérive seule jusqu'au château ? et cette ouverture dans le pilier, existe-t-elle ? mène-t-elle réellement aux cuisines ? à quoi ressemble la salle de bal qui surplombe le Cher ?...
Ridicule, j'en conviens. Hormis quelques lecteurs particulièrement érudits, qui traquent les erreurs les plus imperceptibles (jusqu'à en oublier, parfois, le plaisir de la lecture), personne ne prend garde à des détails aussi insignifiants. Et pourtant, j'avais beau tenter de me raisonner, ces interrogations demeuraient, sournoisement tapies au fond de moi, alors même que j'entamais l'écriture de la scène.  
Vous l'aurez compris, il m'a fallu me rendre sur place, visiter les lieux, les photographier sous toutes les coutures, et recueillir des piles entières de documentation. Et là, enfin, j'avais l'impression de dominer mon sujet ! 
Dès lors, le pli était pris : Ermenonville, Montmorency, Fontainebleau... A chaque étape, il fallait que je me rende sur place pour obtenir des réponses... Pour l'anecdote, je garde le souvenir ému de ce guide du château de Fontainebleau auquel j'ai demandé : "au XVIIIème, la cour d'honneur était-elle déjà pavée ?". S'il lit ces quelques lignes, qu'il me pardonne de l'avoir bombardé de questions, ce jour-là.
Dernier aveu : à ce jour, aucun lecteur ne m'a jamais repris sur l'un de ces détails censés restituer la réalité d'une époque. On m'a interrogé sur Rousseau, sur les personnages féminins, sur les Encyclopédistes, mais jamais sur la terre battue du château de Fontainebleau... 

lundi 1 novembre 2010

Quelques vérités, un peu de mauvaise foi...

Lorsque je me suis immergé dans les textes du XVIIIème et dans les innombrables études qui sont consacrées au siècle des Lumières, je n'avais aucun a priori, aucune certitude, juste quelques intuitions. De cette période, je ne connaissais que les principaux auteurs, ou plutôt ce qu'on en enseigne dans nos écoles : sur le devant de la scène, le quatuor Diderot-Voltaire-d'Alembert-Rousseau, évidemment ; et dans les coulisses, les Encyclopédistes mineurs : Jaucourt, d'Holbach, Grimm et les autres...
J'ai d'ailleurs longtemps pensé que l'homme devait s'effacer derrière l'auteur, que seule compte l'oeuvre, et que toutes les investigations de la critique dite biographique ne présentent finalement que peu d'intérêt pour appréhender le texte littéraire.
Aujourd'hui, je sais que j'étais dans l'erreur.
Prenons un exemple, peut-être le plus marquant pour cette période qui va de 1750 jusqu'à la 1ère Révolution de 1789 : celui de l'indépendance de l'auteur vis-à-vis des grands de ce monde. Tous les Encyclopédistes la revendiquent dans les 1ères années, et il est vrai que d'Alembert, Diderot et Rousseau se nourriront souvent de pain noir. Et qu'on comprenne bien de quoi il s'agit : les philosophes des Lumières prétendent tout simplement rompre avec les pratiques de mécénat du siècle précédent et imposer un statut nouveau à l'intellectuel, chargé d'éclairer le monde sans subir aucune pression de la part des puissants et des gouvernants.

Envisageons maintenant les mêmes hommes vingt ans plus tard, soit au début des années 1770.

Je passerai rapidement sur l'immense fortune amassée par Voltaire à la fin de sa vie. Précisons cependant que la plupart de ses revenus provenaient de l'approvisionnement des armées, dans lequel le patriarche de Ferney avait investi son argent. On glose également sur ses nombreuses insolences vis-à-vis du pouvoir, sur cet esprit frondeur qui le caractérise. Ce qu'on connaît moins, ce sont ces lettres pitoyables écrites entre 1753 et 1754, dans lesquelles Voltaire implore ses correspondants d'intervenir auprès des puissants afin qu'il puisse revenir à Paris et mettre fin à sa disgrâce.
Passons à d'Alembert, qui a fait partie de l'Académie Française, des Académies de sciences de Paris, de Londres, de Berlin, de la Société Royale de Londres, de l'Institut de Bologne etc... Quant aux multiples pensions qui lui furent allouées, la plus célèbre demeure celle du grand Frédéric II de Prusse.
Finissons avec Diderot, dont la méfiance vis-à-vis des grands a pourtant duré plus longtemps, jusqu'en 1765, date à laquelle Catherine II de Russie lui achète sa bibliothèque personnelle pour 15000 livres plus une pension annuelle de 1000 livres. Elle lui versera bientôt 50 annuités d'avance, soit 50000 livres ! La fortune de l'Encyclopédiste est faite.

Il y a quelque chose de gênant dans cet embourgeoisement des philosophes du XVIIIème. C'est tout d'abord qu'il contredit leur promesse passée ; et surtout, il les place en situation de dépendance vis-à-vis des grands de ce monde. Passe encore que Diderot se soit couché devant le lieutenant de police Berryer en 1749, acceptant de ne plus rien publier qui puisse affecter l'autorité royale ou religieuse (promesse qu'il tiendra d'ailleurs). Mais, connaissant leur situation matérielle, on comprend mieux la mansuétude dont ils font preuve à l'égard de ce régime (voyez les épitres dédicatoires au début des ouvrages). Au mieux, ils plaident en faveur d'une monarchie parlementaire, au pire ils se contentent de dénoncer certaines pratiques abusives telles que la torture. L'ennemi à abattre, c'est avant tout l'Eglise, rappelons-le. Mais quel aurait été le comportement des Encyclopédistes si les jésuites ou les jansénistes les avaient tirés de la misère en leur offrant des biens pour passer dans leur camp ? Dans les années 1750-1760, de nombreux plumitifs ont accepté ce triste marché...

Et au risque de me répéter, le seul qui soit resté pauvre tout au long de son existence, c'est une fois encore Rousseau...