mercredi 5 novembre 2014

L'appareilleuse, comédie érotique ( du comte de Caylus ?) (2)

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La scène se déroule dans un bordel parisien. Mme Amboisel propose à M. Gripigni de découvrir une petite ingénue, qui n'est autre que sa nièce...


SC E N E III. Madame  AMBOISEL, MANON, M. GRIPIGNI.




M. GRIPIGNI.

Comment diable, madame Amboisel, vous avez une nièce aussi jolie que cela?



MANON.

Dame, monsieur, vous voyez.



M. GRIPIGNI.

Voulez-vous me baiser, mon petit ange ?



MANON.

Dame, monsieur, demandez à ma tante.



MADAME AMBOISEL.

Oui, oui, je le veux bien.



M. GRIPIGNI.

Qu’elle est douce! de par tous les diables, madame Amboisel, pas un b…gre n’en tâtera; je veux l’entretenir.



MADAME AMBOISEL.

Je t’en f...; ce n’est pas là mon compte.



M. GRIPIGNI.

D’où vient donc?



MADAME AMBOISEL.

Elle me rendra plus de profit à la maison. Tenez, vous autres entreteneurs, vous gardez une fille trois mois, et puis quand vous êtes souls, et qu’elle a perdu toutes ses pratiques, vous la plantez là, n’est-ce pas une belle b…gre d’avance?



M. GRIPIGNI.

Mais je ferai les choses comme il faut; n’y aurait-il pas plus d’honneur?



MADAME AMBOISEL.

Je ne veux point de cela; je t’en f…tais de l’honneur.



M. GRIPIGNI.

Ah ! les beaux yeux ! ah, la belle bouche ! ah, la joile taille !



MADAME AMBOISEL.

Montrez vos tétons à monsieur, petite fille.



MANON.

Mais…, ma très-chère tante...



MADAME AMBOISEL.

Comment! morveuse, vous me désobéissez?



MANON.

Eh bien, les voilà.



M. GRIPIGNI.

Ah, l’amoureuse petite gorge! .



MADAME AMBOISEL.

Approchez, approchez, petite fille, vous vous y prenez vraiment d’une belle dégaine.



M. GRIPIGNI.

Ah, de grâce! ne violentez pas ce pauvre enfant.



MADAME AMBOISEL.

Comment, merci de ma vie, je veux qu’elle m’obéisse....Tenez, M. Gripigni, en avez-vous vu une plus jolie paire ?



M. GRIPIGNI.

Ah! que de volupté!



MADAME AMBOISEL.

Refuserez-vous à cette heure de donner trente louis pour un petit bouchon aussi gentil?



M. GRIPIGNI.

Elle est toute charmante; mais, madame Amboisel... trente louis, en vérité, c’est bien de l’argent.



MADAME AMBOISEL.

Je ne suis pas en peine de les trouver, et M. Friponneau, qui n’est qu’un procureur, me les donnera.



M. GRIPIGNI.

Ah, le vieux cocu !



MADAME AMBOISEL.

Un procureur cocu! ah! la grande nouvelle !... enfin, M. Gripigni, je vous donnerai la préférence; voyez si cela vous accommode.



M. GRIPIGNI

Que diable, vous ne m’en demandiez d’abord que vingt.



MADAME AMBOISEL.

J’ai fait mes réflexions depuis, et en vérité, ce serait offenser Dieu que de vous livrer un pareil bijou à si bon marché; une aussi belle enfant, toute jeune, et qui a encore son pucelage, mérite bien, pardieu, qu’on fasse quelque effort; ce serait mon frère, qu’il ne l’aurait pas à moins, voyez-vous; il faut se saigner dans pareille occasion.



MANON.

Qu’est-ce donc qu’un pucelage , ma tante? montrez-le moi donc si je l’ai jamais vu?



MADAME AMBOISEL.

Vous voyez l’innocence; en trouverez-vous comme cela? Allons, vite, dépêchez... J’entends une de mes commères, que je ne serais pas bien aise qui vous vît.



M. GRIPIGNI.

En voilà vingt-cinq.



MADAME AMBOISEL.

Allez-vous-en au diable. Ma nièce n’est pas pour vous, et sur ma foi vous n’en tâterez que d’une dent... j’en veux trente-cinq à cette heure.



M. GRIPIGNI.

Eh bien, en voilà trente: mais vous me répondez de son pucelage; car vous autres vous vous entendez à merveille.



MADAME AMBOISEL.

Je sais, je sais, ce que vous voulez dire, je t’en f..tais, grand nigaud, ils ont bien cet air-là... troussez-vous petite fille.



MANON.

Mais, ma tante...



MADAME AMBOISEL.

Faut-il donc vous le dire deux fois, petite sotte?



M. GRIPIGNI.

Laissez, laissez, ma belle enfant, nous allons voir cela ensemble. Oh ça, où nous allez-vous mettre, pour que nous soyons tranquilles?



MADAME AMBOISEL.

Passez vite tous deux dans cette chambre...  J’entends quelqu’un... surtout, Manon, ne criez pas; je vous donnerai une branlante, si vous faites bien.



(…)




SCENE VIII. MADAME AMBOISEL, MANON, M.GRIPIGNI



MADAME AMBOISEL.

Eh bien quoi ? qu’est-ce donc que tout ce tintamarre-là? Pardieu, M. Gripigni, il me parait que vous êtes un grand maladroit.



M. GRIPIGNI.

Mon Dieu! madame Amboisel, que ne me disiez-vous cela? c’est un petit diable que votre nièce... Je ne me soucie pas de pucelage à ce prix-là; elle a, par la sandieu, manqué de m’étrangler, et je suis mordu et égratigné partout.



MADAME AMBOISEL.

Avez-vous enfin emporté la place ?



M. GRIPIGNI.

Je n’ai pu seulement emporter un pouce de terrain; la petite chienne a du vif-argent dans les fesses, et malgré ce que j’ai pu faire, elle a toujours rompu mes mesures.



MADAME AMBOISEL.

Ah! petite masque, je me suis bien doutée que tu gâterais tout. Approchez, friponne, approchez; c’est donc comme cela que vous obéissez à votre tante? Jarni! je ne sais a quoi il tient...



MANON.

Dame, ma chère tante, pendant ce que monsieur m’a caressée, je l’ai laisse faire; mais il a voulu me tuer, Je me suis défendue, voyez ?



MADAME AMBOISEL.

Eh bien! M. Gripigni, ne vous ai-je pas dit la vérité, quand je vous ai assuré que ce n’était qu’un enfant?... Comment! il t’a voulu tuer?



MANON.

Dame, oui; il m’a montré une grosse vilaine bête, longue comme ça, qui m’a mordue comme tout: tenez, ma chère tante, je ne veux plus être demoiselle, renvoyez-moi chez nous.



MADAME AMBOISEL.

Vous resterez ici, petite gueuse, et vous gagnerez la vie à votre tante; vous ne connaissez pas le bien que je vous veux.



MANON.

Votre bien fait du mal.



M.GRIPIGNI.

Au moins, madame Amboisel, voilà vingt-cinq louis que vous me volez, et que je ne prétends pas perdre.



MADAME AMBOISEL.

Vous me la baillez belle encore; pardieu, je vous livre la marchandise, vous n’avez qu’à vous en saisir.



M. GRIPIGNI.

Prêtez-moi donc votre secours; il faut qu’elle crève, ou que je la dépucelle.



MADAME AMBOISEL.

Je suis bien fâchée de ne l’avoir pas fait jouer avec quelque petit garçon auparavant, puisqu’on dit, que celle qui porte le veau peut bien porter le taureau. ..



M. GRIPIGNI.

Ne vous inquiétez pas; je l’emporterai au troisième, si vous m’aidez.


MADAME AMBOISEL.

Allons, petite sotte, venez ici; tiens-toi bien, jarni! je t’étrangle si tu remues. Eh bien, vous, allez-vous rester là à regarder comme un nigaud?



M. GRIPIGNI.

Allons, ma petite reine, prends courage, je ne te ferai plus tant du mal.



MANON.

Ah! ah! ah! ma chère tante, je vous demande pardon; je n’en puis plus, je me meurs... je suis morte. (...)

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