La
scène se déroule dans un bordel parisien. Mme Amboisel propose à M.
Gripigni de découvrir une petite ingénue, qui n'est autre que sa
nièce...
SC E N E III. Madame AMBOISEL, MANON, M. GRIPIGNI.
M. GRIPIGNI.
Comment diable, madame Amboisel,
vous avez une nièce aussi jolie que cela?
MANON.
Dame, monsieur, vous voyez.
M. GRIPIGNI.
Voulez-vous me baiser, mon petit
ange ?
MANON.
Dame, monsieur, demandez à ma
tante.
MADAME AMBOISEL.
Oui, oui, je le veux bien.
M. GRIPIGNI.
Qu’elle est douce! de par tous
les diables, madame Amboisel, pas un b…gre n’en tâtera; je veux l’entretenir.
MADAME AMBOISEL.
Je t’en f...; ce n’est pas là mon
compte.
M. GRIPIGNI.
D’où vient donc?
MADAME AMBOISEL.
Elle me rendra plus de profit à
la maison. Tenez, vous autres entreteneurs, vous gardez une fille trois mois,
et puis quand vous êtes souls, et qu’elle a perdu toutes ses pratiques, vous la
plantez là, n’est-ce pas une belle b…gre d’avance?
M. GRIPIGNI.
Mais je ferai les choses comme il
faut; n’y aurait-il pas plus d’honneur?
MADAME AMBOISEL.
Je ne veux point de cela; je t’en
f…tais de l’honneur.
M. GRIPIGNI.
Ah ! les beaux yeux !
ah, la belle bouche ! ah, la joile taille !
MADAME AMBOISEL.
Montrez vos tétons à monsieur,
petite fille.
MANON.
Mais…, ma très-chère tante...
MADAME AMBOISEL.
Comment! morveuse, vous me
désobéissez?
MANON.
Eh bien, les voilà.
M. GRIPIGNI.
Ah, l’amoureuse petite gorge! .
MADAME AMBOISEL.
Approchez, approchez, petite
fille, vous vous y prenez vraiment d’une belle dégaine.
M. GRIPIGNI.
Ah, de grâce! ne violentez pas ce
pauvre enfant.
MADAME AMBOISEL.
Comment, merci de ma vie, je veux
qu’elle m’obéisse....Tenez, M. Gripigni, en avez-vous vu une plus jolie paire ?
M. GRIPIGNI.
Ah! que de volupté!
MADAME AMBOISEL.
Refuserez-vous à cette heure de
donner trente louis pour un petit bouchon aussi gentil?
M. GRIPIGNI.
Elle est toute charmante; mais,
madame Amboisel... trente louis, en vérité, c’est bien de l’argent.
MADAME AMBOISEL.
Je ne suis pas en peine de les
trouver, et M. Friponneau, qui n’est qu’un procureur, me les donnera.
M. GRIPIGNI.
Ah, le vieux cocu !
MADAME AMBOISEL.
Un procureur cocu! ah! la grande
nouvelle !... enfin, M. Gripigni, je vous donnerai la préférence; voyez si cela
vous accommode.
M. GRIPIGNI
Que diable, vous ne m’en
demandiez d’abord que vingt.
MADAME AMBOISEL.
J’ai fait mes réflexions depuis,
et en vérité, ce serait offenser Dieu que de vous livrer un pareil bijou à si bon
marché; une aussi belle enfant, toute jeune, et qui a encore son pucelage,
mérite bien, pardieu, qu’on fasse quelque effort; ce serait mon frère, qu’il ne
l’aurait pas à moins, voyez-vous; il faut se saigner dans pareille occasion.
MANON.
Qu’est-ce donc qu’un pucelage ,
ma tante? montrez-le moi donc si je l’ai jamais vu?
MADAME AMBOISEL.
Vous voyez l’innocence; en
trouverez-vous comme cela? Allons, vite, dépêchez... J’entends une de mes
commères, que je ne serais pas bien aise qui vous vît.
M. GRIPIGNI.
En voilà vingt-cinq.
MADAME AMBOISEL.
Allez-vous-en au diable. Ma nièce
n’est pas pour vous, et sur ma foi vous n’en tâterez que d’une dent... j’en
veux trente-cinq à cette heure.
M. GRIPIGNI.
Eh bien, en voilà trente: mais
vous me répondez de son pucelage; car vous autres vous vous entendez à
merveille.
MADAME AMBOISEL.
Je sais, je sais, ce que vous
voulez dire, je t’en f..tais, grand nigaud, ils ont bien cet air-là...
troussez-vous petite fille.
MANON.
Mais, ma tante...
MADAME AMBOISEL.
Faut-il donc vous le dire deux
fois, petite sotte?
M. GRIPIGNI.
Laissez, laissez, ma belle
enfant, nous allons voir cela ensemble. Oh ça, où nous allez-vous mettre, pour
que nous soyons tranquilles?
MADAME AMBOISEL.
Passez vite tous deux dans cette
chambre... J’entends quelqu’un...
surtout, Manon, ne criez pas; je vous donnerai une branlante, si vous faites
bien.
(…)
SCENE VIII. MADAME AMBOISEL, MANON, M.GRIPIGNI
MADAME AMBOISEL.
Eh bien quoi ? qu’est-ce
donc que tout ce tintamarre-là? Pardieu, M. Gripigni, il me parait que vous
êtes un grand maladroit.
M. GRIPIGNI.
Mon Dieu! madame Amboisel, que ne
me disiez-vous cela? c’est un petit diable que votre nièce... Je ne me soucie
pas de pucelage à ce prix-là; elle a, par la sandieu, manqué de m’étrangler, et
je suis mordu et égratigné partout.
MADAME AMBOISEL.
Avez-vous enfin emporté la
place ?
M. GRIPIGNI.
Je n’ai pu seulement emporter un
pouce de terrain; la petite chienne a du vif-argent dans les fesses, et malgré
ce que j’ai pu faire, elle a toujours rompu mes mesures.
MADAME AMBOISEL.
Ah! petite masque, je me suis
bien doutée que tu gâterais tout. Approchez, friponne, approchez; c’est donc
comme cela que vous obéissez à votre tante? Jarni! je ne sais a quoi il
tient...
MANON.
Dame, ma chère tante, pendant ce
que monsieur m’a caressée, je l’ai laisse faire; mais il a voulu me tuer, Je me
suis défendue, voyez ?
MADAME AMBOISEL.
Eh bien! M. Gripigni, ne vous
ai-je pas dit la vérité, quand je vous ai assuré que ce n’était qu’un
enfant?... Comment! il t’a voulu tuer?
MANON.
Dame, oui; il m’a montré une
grosse vilaine bête, longue comme ça, qui m’a mordue comme tout: tenez, ma
chère tante, je ne veux plus être demoiselle, renvoyez-moi chez nous.
MADAME AMBOISEL.
Vous resterez ici, petite gueuse,
et vous gagnerez la vie à votre tante; vous ne connaissez pas le bien que je
vous veux.
MANON.
Votre bien fait du mal.
M.GRIPIGNI.
Au moins, madame Amboisel, voilà
vingt-cinq louis que vous me volez, et que je ne prétends pas perdre.
MADAME AMBOISEL.
Vous me la baillez belle encore;
pardieu, je vous livre la marchandise, vous n’avez qu’à vous en saisir.
M. GRIPIGNI.
Prêtez-moi donc votre secours; il
faut qu’elle crève, ou que je la dépucelle.
MADAME AMBOISEL.
Je suis bien fâchée de ne l’avoir
pas fait jouer avec quelque petit garçon auparavant, puisqu’on dit, que celle
qui porte le veau peut bien porter le taureau. ..
M. GRIPIGNI.
Ne vous inquiétez pas; je
l’emporterai au troisième, si vous m’aidez.
MADAME AMBOISEL.
Allons, petite sotte, venez ici;
tiens-toi bien, jarni! je t’étrangle si tu remues. Eh bien, vous, allez-vous
rester là à regarder comme un nigaud?
M. GRIPIGNI.
Allons, ma petite reine, prends
courage, je ne te ferai plus tant du mal.
MANON.
Ah! ah! ah! ma chère tante, je
vous demande pardon; je n’en puis plus, je me meurs... je suis morte. (...)
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