dimanche 21 septembre 2014

Article "mendiant", Encyclopédie


Le raisonnement adopté par Jaucourt reste d'actualité, non ?
 
Louis de Jaucourt

MENDIANT (Econom. politiq.) : gueux ou vagabond de profession, qui demande l'aumône par oisiveté et par fainéantise, au lieu de gagner sa vie par le travail.


Les législateurs des nations ont toujours eu soin de publier des lois pour prévenir l'indigence, et pour exercer les devoirs de l'humanité envers ceux qui se trouveraient malheureusement affligés par des embrasements, par des inondations, par la stérilité, ou par les ravages de la guerre; mais convaincus que l'oisiveté conduit à la misère plus fréquemment et plus inévitablement que toute autre chose, ils l'assujettirent à des peines rigoureuses. Les Egyptiens, dit Hérodote, ne souffraient ni mendiants ni fainéants sous aucun prétexte. Amasis avait établi des juges de police dans chaque canton, par devant lesquels tous les habitants du pays étaient obligés de comparaître de temps en temps, pour leur rendre compte de leur profession, de l'état de leur famille, et de la manière dont ils l'entretenaient; et ceux qui se trouvaient convaincus de fainéantise, étaient condamnés comme des sujets nuisibles à l'état. Afin d'ôter tout prétexte d'oisiveté, les intendants des provinces étaient chargés d'entretenir, chacun dans leur district, des ouvrages publics, où ceux qui n'avoient point d'occupation, étaient obligés de travailler. Vous êtes des gens de loisir, disaient leurs commissaires aux Israélites, en les contraignant de fournir chaque jour un certain nombre de briques; et les fameuses pyramides sont en partie le fruit des travaux de ces ouvriers qui seraient demeurés sans cela dans l'inaction et dans la misère. (…)

Des édits semblables contre les mendiants et les vagabonds, ont été cent fois renouvelés en France, et aussi inutilement qu'ils le seront toujours, tant qu'on n'y remédiera pas d'une autre manière, et tant que des maisons de travail ne seront pas établies dans chaque province, pour arrêter efficacement les progrès du mal. Tel est l'effet de l'habitude d'une grande misère, que l'état de mendiant et de vagabond attache les hommes qui ont eu la lâcheté de l'embrasser; c'est par cette raison que ce métier, école du vol, se multiplie et se perpétue de père en fils. Le châtiment devient d'autant plus nécessaire à leur égard, que leur exemple est contagieux. La loi les punit par cela seul qu'ils sont vagabonds et sans aveu ; pourquoi attendre qu'ils soient encore voleurs, et se mettre dans la nécessité de les faire périr par les supplices? Pourquoi n'en pas faire de bonne heure des travailleurs utiles au public? Faut-il attendre que les hommes soient criminels, pour connaître de leurs actions? Combien de forfaits épargnés à la société, si les premiers dérèglements eussent été réprimés par la crainte d'être renfermés pour travailler, comme cela se pratique dans les pays voisins!

Encyclopédie (tome 10), article « mendiant », 
Louis de Jaucourt (1765)

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