Avocat au Parlement de Paris, Edmond Jean-François Barbier nous offre avec sa Chronique de la Régence et du règne de Louis XV un témoignage extrêmement précieux et détaillé sur la période 1718-1762.
Dans le passage qui suit, il évoque l'attentat de Damiens sur la personne du roi Louis XV (janvier 1757).
Le I2 mars, j'allai au palais
pour la reconnaissance de la valise de Damiens. Étant entré, je vis d'un côté
Damiens, et de l'autre, vis-à-vis de lui, le premier président, M. de Molé, les
quatre conseillers commissaires, rangés autour d'une table au milieu de
laquelle était le grenier. Ils me firent placer à côté d'eux, dans un fauteuil,
près du feu et de Damiens que j'eus encore le temps de considérer à mon aise.
Il avait sa redingote grise, son
grand chapeau uni acheté à Arras; il était assis sur un fauteuil, les pieds sur
un tabouret, couverts d'une couverte. Je le reconnus aisément, l'ayant déjà vu
à Versailles. Je le trouvai maigri, abattu, les yeux enfoncés (mais moins qu'il
ne m'avait paru d'abord, à cause que ses joues étaient tombées), l'œil moins
vif et le teint plus pâle, et ne marmotant plus des lèvres; tout cela parce que
son sang, qui faisait ordinairement tant de ravage en lui, était alors apaisé
par le régime et par la tranquillité forcée; cependant son mouvement convulsif
avait passé aux doigts de, la main. Je trouvai qu'à la tristesse près,
tristesse occasionnée sans douté par la gêne où il était, il avait une assez
belle physionomie, et telle que je l'ai dépeinte dans mes informations.
Il était attaché d'une manière
simple et bonne : il n'avait aucune chaîne, mais de bonnes courroies de cuir,
qui lui servaient de ceinture et le fixaient au fond de son fauteuil :
d'autres, attachées à ses poignets, ne lui laissaient que quelque mouvement,
mais non assez pour joindre ses mains, ni les porter à sa tête. Une autre
courroie descendait et lui liait les cuisses. Il n'y avait rien autour de sa
tête où il pût se frapper; de cette sorte, il ne pouvait se faire aucun mal, et
il avait un grand tablier de cuir devant lui. Son attitude n'avait rien de
fatigant, si ce n'était pas la chose la plus fatigante de rester toujours dans
la même. C'était là avec la tristesse de sa fin prochaine, et les brûlures de
ses jambes, ce qui le faisait dépérir et ce qui faisait craindre que la mort ne
prévînt son supplice. Il y avait des menottes tout autour de son fauteuil avec
lesquelles on le portait de la tour de Montgomery, où avait aussi été
Ravaillac, dans la salle où nous étions, et où ce misérable a été confronté à
tous les plus grands seigneurs qui entouraient le Roi, lors de son assassinat.
Ce fut pendant ces huit jours que
l'affaire de Damiens finit. Le 26 mars, ce qui restait de la Grand'Chambre et
les pairs assemblés, on le fit venir sur la sellette où on l'interrogea sur ce
que voulut chaque membre de l'assemblée. Il ne s'étonna de rien ; reconnut le
plus grand nombre, parla avec liberté, selon sa mauvaise tête et son projet,
qu'il n'avait exécuté qu'après bien des réflexions ; il répéta tout ce qu'il
avait dit auparavant et bien exactement, s'accordant parfaitement en tout à ce
que j'avais mandé de lui dans mes lettres et dans mes informations (voyez-les
imprimées au procès de Damiens).
I1 répéta toujours qu'il n'avait pas de
complice, et que, s'il eût cru que son chapeau sût son projet, il l'aurait
brûlé. (ndlr : jansénistes et jésuites éprouvaient cette même crainte : que Damiens désigne des complices) Au reste, comme de longue main il s'était attendu à tout, et qu'il
n'avait pris ce grain de folie que petit à petit, rien ne put l'étonner. Il
éclaircit tout ce que l'on pouvait souhaiter, et à moins qu'on ne voulût
follement bâtir dans la chimère, il ne pouvait plus rester aucun doute à son
égard. Cette séance fut très longue à cause des formalités. On agita s'il
subirait le même supplice que Ravaillac, la mort du Roi ne s'en étant pas
suivie et l'on passa là-dessus, en décidant que oui. On décida à la Cour qu'il
n'y aurait que les commissaires qui assisteraient à la question. Damiens fut
jugé au même horrible supplice que Ravaillac.
Merci de cet éclairage. Voilà pour les faits. En sait-on plus sur les rumeurs qui auraient couru sur cette affaire et celle de l'Hôpital général ?
RépondreSupprimerDifficile de les relier. Le cas Damiens demeure une énigme, même si la plupart des témoignages mettent en évidence son déséquilibre psychologique. On peut néanmoins affirmer qu'il a été instrumentalisé pour attaquer tour à tour le parti jésuite et des jansénistes.
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