l'historienne Marion Sigaut |
Les premières minutes de cette intervention de Marion Sigaut me donnent l'occasion d'évoquer la notion de pouvoir royal et celle, plus complexe, de l'opposition à ce même pouvoir royal tout au long du XVIIIème siècle.
Avec Diderot, rappelons tout d'abord qu' aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. (...) La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose
nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à
la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la
restreignent entre des limites ; car l’homme ne doit ni ne peut se
donner entièrement sans réserve a un autre homme, parce qu’il a un
maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout
entier. C’est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et
ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le
maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de
subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux.
Diderot |
(Article Autorité politique).
Très habilement, le philosophe nous rappelle ici que seul le peuple est souverain, et que c'est lui qui délègue cette souveraineté à l'un des siens (le meilleur ?) pour gouverner... Par conséquent, l'origine de l'autorité royale n'étant pas divine, le roi doit de toute évidence rendre compte de ses décisions au peuple, puisque celui-ci demeure souverain et que cette souveraineté est et reste inaliénable.
Marion Sigaut nous dit : "quand il a tranché, au-dessus de lui, c'est le bon Dieu". C'est une erreur. Quand le roi a tranché, il doit avant tout se pencher en-dessous de lui vers ce peuple qui l'a placé sur le trône... "Le roi est obligé de vouloir en fonction de sa fonction", ajoute-t-elle. Il le devrait, c'est une évidence. Or, l'histoire du XVIIIème siècle nous apprend que Louis XV a trop souvent passé outre ce devoir.
D'où l'importance des Parlements, ces cours souveraines, véritables corps intermédiaires entre le peuple et le roi (1). A leur propos, l'historienne avance qu'ils "ne vont jamais cesser prétendre réviser les décisions du roi" et qu'"ils n'ont aucune autorité pour le faire, personne ne la leur a jamais donnée". Passons rapidement sur cette allégation puisque le Parlement bénéficiait effectivement d'un droit de remontrance qui l'autorisait à refuser d'enregistrer une ordonnance royale et à présenter au roi ses observations. Demandons-nous surtout de quel autre moyen disposait alors le peuple pour faire entendre sa voix, et plus particulièrement ses plaintes. Pour cela, prenons l'exemple des années 1755-1756, au cours desquelles les relations entre le roi et son Parlement se révèlent extrêmement tendues.
De quoi se plaint alors le peuple ?
- A Paris, du refus de sacrements pour les présumés jansénistes n'ayant pas pu présenter de billet de confession.
- Des impôts extraordinaires levés au début de la guerre de 7 ans.
Que font le Parlement de Paris, et d'autres (notamment celui de Rouen), à travers tout le royaume ?
Ils s'en plaignent auprès du roi. Encore et encore...
A deux reprises, en septembre 1754 puis en mars 1755, Louis XV donne raison à ses magistrats, considérant comme un abus l'exécution de la "bulle unigenitus... en conséquence, enjoint à tous ecclésiastiques... de se renfermer, à l'égard de ladite bulle, dans le silence général respectif et absolu...". Refusant d'obéir, plusieurs prélats sont condamnés à l'exil. Fin 1755, après une nouvelle assemblée du clergé, les autorités ecclésiastiques décident que :
- la constitution Unigenitus acceptée par l'Eglise est un jugement dogmatique...
- on doit à ce jugement une obéissance de coeur et d'esprit
- il n'appartient qu'à la puissance ecclésiastique de décider des dispositions nécessaires...
Aux yeux du clergé, il n'était pas question pour l'Eglise de se soumettre aux lois de l'Etat...
Que croyez-vous que fît le roi ? Le pauvre courba évidemment l'échine et donna raison aux prélats...
la mise à mal des jansénistes par l'Eglise |
A la liste des "forces d'opposition" au pouvoir royal, on peut effectivement compter celle, bien légitime, des différentes cours souveraines du royaume. Ces Parlements n'ont cessé au cours de ces années de faire entendre la voix des anonymes.
Quant au clergé, autre "force d'opposition" (tout aussi légitime, celle-là ?), il me revient à son propos ces quelques mots du baron d'Holbach, extraits de l'article théocratie : ils ont voulu former dans les états un état séparé indépendant de la puissance civile...
(1) Dans son étude des rapports Roi-Parlement, Marion Sigaut laisse entendre que le second a toujours été soumis au premier. En imaginant que l'autoritarisme de Louis XIV, puis celui de Louis XV, ont toujours été de règle, elle commet en fait une nouvelle erreur. Voyez plutôt comment, au XVIè siècle, Henri IV s'adressait à son Parlement : "Je prends bien les avis de tous mes serviteurs; lorsqu'on m'en donne de bons, je les embrasse ; et si je trouve leur opinion meilleure que la mienne, je la change fort volontiers. Il n'y na pas un de vous que quand il voudra venir me trouver et me dire, Sire vous faites telle chose qui est injuste à toute raison, que je ne l'écoute fort volontiers."
(1) Dans son étude des rapports Roi-Parlement, Marion Sigaut laisse entendre que le second a toujours été soumis au premier. En imaginant que l'autoritarisme de Louis XIV, puis celui de Louis XV, ont toujours été de règle, elle commet en fait une nouvelle erreur. Voyez plutôt comment, au XVIè siècle, Henri IV s'adressait à son Parlement : "Je prends bien les avis de tous mes serviteurs; lorsqu'on m'en donne de bons, je les embrasse ; et si je trouve leur opinion meilleure que la mienne, je la change fort volontiers. Il n'y na pas un de vous que quand il voudra venir me trouver et me dire, Sire vous faites telle chose qui est injuste à toute raison, que je ne l'écoute fort volontiers."
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