Professeur d'histoire-géographie,
Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur
l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension.
Voici quelques extraits de sa recension.
Un révolutionnaire qui s’inscrit dans un courant « archaïque »
L’auteur mobilise évidemment cet autre lieu commun selon lequel
Robespierre serait fondamentalement passéiste, ce qui annihilerait toute
la dimension apparemment « moderne » de ses positions politiques. A
propos du combat qu’il mène pour l’extension du droit de vote aux
citoyens passifs, Martin affirme ainsi (p. 101) que «… la « modernité »
des revendications démocratiques qu’il défend bute alors sur des
sentiments qu’il faut bien qualifier d’« archaïques », puisqu’ancrés
dans un horizon communautaire, nostalgique d’un âge d’or. » Cette
« nostalgie d’un âge d’or » auquel il faudrait retourner n’est pas chez
Robespierre. On la retrouvera en revanche dans les écrits de ceux qui
depuis deux siècles se recopient pour donner corps à cette idée (14).
L’affrontement avec les Girondins : une querelle d’ego
Dans le chapitre sur la guerre, JC Martin reprend à son compte une expression d’Hervé Leuwers (Robespierre,
Fayard, 2014, p. 204 et 205) concernant le combat idéologique qui
oppose Robespierre aux brissotins au sujet de la guerre durant l’hiver
1791-92 et au printemps 1792. Selon Martin, ce combat se réduirait en
fin de compte à une « querelle des ego » : « C’est plus sûrement la
marque que la querelle des ego (Hervé Leuwers) est bel et bien
enclenchée et qu’elle ne se finira qu’avec la victoire d’un des
protagonistes. » (p 147).
En réalité, la formulation d’Hervé Leuwers sur cette question est
nettement plus nuancée, puisque, selon lui, la virulence des échanges
s’explique "d'abord dans l'enjeu du débat qui, pour Robespierre, est la
paix, la liberté et l'issue de la Révolution". Et, même s’il affirme
qu'il ne faut pas d'emblée écarter "ces témoignages qui supposent une
querelle d'ego", il en conclut que "dans le duel, c'est aussi
l'autorité morale de ces deux premiers rôles qui est en jeu".
Est-il besoin de préciser que l’ego est un concept qui relève de la
psychologie, et réduire un affrontement historique entre deux
conceptions de la société à une « querelle des ego » est une
interprétation qui sacrifie à un certain courant historique ambiant,
même si JC Martin s’en défend. Il qualifie les altercations verbales
entre les Girondins et Robespierre de « vanités opposées, d’orgueils
rivaux » (p 157), ignorant les divergences idéologiques fondamentales
qui les opposent. Cette analyse, basée sur une approche psychologisante,
occulte les enjeux politiques du moment sur le sens qu’il faut donner à
la guerre, une fois que celle-ci est déclarée, le processus devenant
alors irréversible. Cette interprétation détachée des enjeux politiques
ignore les motivations financières, économiques et politiques des
Girondins, motivations que les historiens Georges Michon et Marc Belissa a pourtant parfaitement mises en lumière.
Un chef de clan qui « règle ses comptes » et justifie les « coups d’État »
C’est ainsi que, tout naturellement, en ignorant les enjeux
politiques qui se jouent derrière l’affrontement entre Girondins et
Montagnards, l’auteur en arrive à la conclusion qu’à partir de septembre
1792, Robespierre devient un « chef de clan » (p. 172). C’est également
lui qui « donne le ton » pour la lutte des factions après la mort du
roi car « La convention sort divisée plus que jamais de cette exécution
qui a bien établi une frontière de sang infranchissable entre partisans
et opposants de la Révolution, mais aussi, plus subtilement, entre les
factions révolutionnaires entre elles. Et Robespierre a donné le ton. »
(p. 187)
Est-ce aussi l’ignorance des enjeux politiques qui fait déraper le
vocabulaire utilisé par l’auteur qui qualifie de « coup d’État » (p.
208, puis p. 213) l’action du peuple de Paris lorsqu’il destitue les
députés girondins infidèles, le 2 juin 1793 ? Cela semble probable
puisqu’à la page suivante Martin parle des « départements demeurés
loyalistes » à propos des départements où les Girondins sont puissants
et organisent la lutte fédéraliste contre Paris. Or un coup d’État, au
sens propre, est une prise du pouvoir illégale par une personne ou un
groupe qui exerce des fonctions à l’intérieur de l’appareil étatique.
L’action du peuple de Paris le 2 juin n’avait pas pour fonction de
prendre le pouvoir, mais bien de destituer de leur fonction des
représentants indignes qui avaient trahi le peuple, afin d’obliger la
convention à remplir sa mission au service du peuple, conformément aux
principes de la démocratie et du droit naturel. C’est probablement
cette ignorance des principes du droit naturel qui amène l’auteur à
présenter de manière étrange les propositions que fait Robespierre le
10 mai 1793 sur la future constitution (p. 203). Celui-ci prononce un
long discours dans lequel il pose les bases d’un fonctionnement
démocratique de la vie politique en proposant quelques règles de bon
sens permettant le contrôle des élus par le peuple, contrôle permanent
que J.-C. Martin interprète de la manière suivante : «… son idéal d’une
démocratie quasi directe le conduit à surveiller de façon obsessionnelle
les fonctionnaires (entendez les élus) ». Et à propos de la
révocabilité des élus par leurs mandataires, Martin écrit que
Robespierre « propose que le peuple puisse révoquer ses mandants quand
bon lui semble ! » (p. 203), le point d’exclamation étant destiné à
mettre en relief l’incongruité de la proposition. En réalité,
Robespierre ne propose bien évidemment pas que le peuple puisse révoquer
ses élus à tort et à travers selon sa fantaisie, mais seulement lorsque
ceux-ci trahissent ses intérêts vitaux.
Est-ce le même choix délibéré d’ignorer les enjeux politiques qui amène
l’auteur à qualifier les conflits politiques dans lesquels Robespierre
intervient en 1793 de « querelles » ou de « règlements de compte » qui
seraient « le lot quotidien de sa vie » ? (p. 230). C’est ainsi que
Martin explique que ceux-ci « témoignent de combats autrement plus
importants et aussi plus confus, car les clivages ne sont pas clairement
politiques ou idéologiques mais combinent toutes les dimensions
possibles que les rivalités peuvent emprunter. » Le terme de
« règlements de comptes » est à nouveau utilisé à propos des différentes
ruptures antérieures à Thermidor (p. 307). C’est d’ailleurs cette même
interprétation des « rivalités » entre « clans » qui amène l’auteur à
qualifier de « coup d’État » l’arrestation des chefs cordeliers en mars
1794 (p. 261).
Quant à ses prises de position au Comité de Salut public, Martin les
interprète ainsi : Robespierre « s’interdit de mener une politique
lisible » et il « laisse à penser qu’il cherche à s’approprier le
pouvoir. » (p. 240). Cette même idée est développée plus loin : « sa
position repose sur un équilibre fragile entre concurrences
politiciennes, encadrement des émotions et administration d’un pays en
guerre » et cette position « laisse planer des doutes sur ses buts » (p.
241). (...)
Cette interprétation des positions de Robespierre entre effectivement dans la logique des choses si l’Incorruptible est devenu un « chef de clan » ainsi que le suppose Martin.
Cette interprétation des positions de Robespierre entre effectivement dans la logique des choses si l’Incorruptible est devenu un « chef de clan » ainsi que le suppose Martin.
Un révolutionnaire qui justifie les massacres
La propension de Robespierre à justifier les massacres commis par le
peuple avait déjà été évoquée à propos des violences liées à la prise de
la Bastille (p. 82). On les retrouve sous forme d’interrogations à
propos des massacres de Septembre 1792. Après avoir cité à nouveau Manon
Roland qui accuse Robespierre de les avoir « permis » par la radicalité
de ses propos et après avoir affirmé que Robespierre les « justifie »,
l’auteur s’interroge : « La marche de la Révolution impose-t-elle de ne
pas s’intéresser à la trivialité des actes qui la favorisent ? Est-ce la
définition restrictive du « peuple » qui interdit toute compassion avec
les « traîtres » ? Le silence sur les exactions commises et le refus de
dénoncer ces actes barbares et de les considérer comme un acte de
justice est un choix dont la portée ne peut être éludée. » (p. 171-172.)
Ainsi, Martin interprète la célèbre formule de Robespierre « Citoyens !
Vouliez vous la Révolution sans la révolution ? » comme une
justification des massacres commis par le peuple destinée à « figer les
positions » à ce sujet. D’ailleurs l’auteur assimile les massacres
d’août (donc les violences consécutives aux tirs des gardes suisses
contre les insurgés des Tuileries le 10 août) à ceux de septembre. Il
déplore donc que, par sa faute, le débat sur ces massacres n’ait pas été
ouvert et affirme que « le jugement à porter sur ces tueries demeure en
suspens », car, selon lui, « la naissance de la république demeure
associée à cette tragédie » (p. 181). Nous retrouvons là sans surprise
les thèses de Furet sur le « dérapage » de la Révolution à partir de
septembre 1792, et même d’août pour Martin, dérapage porteur de
violences dont il convient de faire le procès à la Révolution.
En réalité, Robespierre ne « justifie » pas les massacres, il les
déplore comme tous les hommes politiques contemporains, mais il refuse
les manœuvres qui consistent, en prenant prétexte des violences
ponctuelles commises par certains groupes, à justifier la nécessité de
la répression contre les sans-culottes et le recours à des décrets
limitant la liberté du peuple, ce qui équivaudrait à une
contre-révolution. A propos des massacres, saluons la parution d’un
ouvrage qui va à l’encontre des idées reçues, celui de Micah Alpaugh qui montre que la violence, dans les manifestations politiques du
peuple de Paris, a été beaucoup plus l’exception que la règle et que le
peuple a toujours privilégié les méthodes pacifiques d’intervention dans
la vie politique chaque fois que cela était possible. Ouvrage salutaire
qui vient mettre en porte-à-faux tous les tenants de la violence du
peuple déchaîné.
(à suivre ici)
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