mercredi 20 août 2014

Le supplice de Damiens, vu par Marion Sigaut (1)

Un lecteur québecois m'a très récemment envoyé quelques textes de Marion Sigaut, m'encourageant à les commenter. L'un d'eux, consacré à l'attentat de Damiens sur la personne de Louis XV, a attiré mon attention.
N'en déplaise à ce monsieur, qui prête à madame Sigaut la volonté de rétablir la vérité historique, j'ai pour ma part relevé bon nombre d'inexactitudes et d'omissions (cf passages soulignés et commentaire en bas de page) dans ce récit.
Intéressons-nous tout d'abord à la première partie de l'article.
 
Marion Sigaut
C’est le mercredi 5 janvier 1757 au soir, par un froid polaire, qu’un valet du nom de Robert-François Damiens entra dans l’Histoire en plantant dans le dos du roi Louis XV la petite lame d’un canif. La stupeur s’abattit sur le royaume. Partout où la nouvelle arriva, à la vitesse d’un cheval au galop, la population en larmes se rassembla dans les églises.
A Paris, alertés par leurs valets, Messieurs du Parlement, les démissionnaires comme les autres, se rassemblèrent au palais au milieu de la nuit, abasourdis. Alors qu’on savait que le roi n’avait rien, Messieurs furent pris de panique : ils connaissaient tous Damiens.
Tous l’avaient croisé au temps où ce valet modèle promenait entre la rue des Maçons et le palais de Justice sa belle taille et son insatiable curiosité des choses du temps. Après avoir servi plusieurs conseillers au Parlement de Paris, François Damiens avait été, pendant la guerre contre l’archevêque, le valet d’un chef de l’opposition janséniste dont il connaissait tous les partisans.
Messieurs se ressaisirent, et mirent au point une stratégie en plusieurs actes. Il était trois heures du matin quand fut enfin prête la missive qu’ils chargèrent le Premier président de porter au roi. Ils y suppliaient sa majesté de leur accorder de juger le coupable (l’attentat ayant eu lieu à Versailles, le jugement n’était pas de leur ressort) et de rendre leurs démissions. 
 Le roi se fit un peu prier, refusa de pardonner aux démissionnaires, mais finalement accepta que ceux qui ne l’étaient pas puissent juger Damiens. Fin du premier acte.
Ramené à Paris, le prisonnier fut mis au secret le plus total : même ses gardiens se virent interdire de quitter la tour Montgomery jusqu’à la fin du procès. Puis on fit arrêter et mettre au secret sa femme, sa fille, son père, ses frères et sœur, leurs conjoints et jusqu’à leurs enfants, ses amis enfin : tout le monde fut bouclé avec des précautions particulières pour que personne ne puisse les entendre. Fin du deuxième acte. 

A lire madame Sigaut, on pourrait croire que les premiers interrogatoires menés par la Grand'Chambre du Parlement se déroulent immédiatement après l'attentat du 5 janvier. La polémiste évoque le mouvement de "panique" qui s'empare des parlementaires (jansénistes), suivi d'une réunion "au milieu de la nuit", et conclu par une missive apportée au roi à "trois heures du matin". Cet empressement à s'emparer de l'affaire, forcément suspect aux yeux du lecteur, aurait empêché Damiens de révéler ses amitiés jansénistes et, pourquoi pas, l'implication de ces derniers dans l'attentat. En somme, Marion Sigaut insinue qu'on aurait cherché à le faire taire...
Pour que sa thèse devienne crédible, elle omet de préciser qu'avant d'être transféré à Paris, Damiens a subi six interrogatoires à Versailles, tous menés dans la chambre criminelle de l'Hôtel du roi, par le lieutenant de police Le Brillet et par plusieurs ministres. A moins de les soupçonner, eux aussi, de faire partie d'un présumé complot janséniste (Marion Sigaut emploie prudemment le mot "stratégie"...), on comprend mal pour quelle raison ils auraient dissimulé les révélations du régicide... Ces premiers interrogatoires méritent d'ailleurs d'être examinés plus attentivement. Damiens y affirme immédiatement avoir agi "à cause de la religion" (question 11), et sans aucun complice. Selon lui, "l'archevêque de Paris est la cause de tout le trouble par les sacrements qu'il a fait refuser". Il explique ensuite que "le peuple de Paris périt", que "malgré toutes les représentations que le Parlement fait, le roi n'a voulu en entendre à aucune." (question 12), que "les trois quarts du peuple périssent" (question 73). On apprend également qu'il a été "en pension au collège des Jésuites à Béthune" (question 48), qu'il est longuement resté domestique (pendant quatre ans ?) chez "les Jésuites de Paris" (question 64), qu'il a ensuite servi chez de nombreux "magistrats" (question 62),  qu'il connaît des conseillers du Parlement (question 57), notamment "Beze de Lys, La Guillaumie, Clément, Lambert et Boulainvilliers"....
Dans la guerre à mort que se livraient alors les deux camps (jansénistes et jésuites), les témoignages du régicide constituaient l'arme idéale pour abattre l'adversaire.  Mais il s'agissait de faire vite ! 
Soucieux d'apaiser ses relations avec le Parlement parisien, le roi accepta que les officiers de la prévôté soient dessaisis de l'affaire et que l'instruction soit déplacée à Paris. Dans la nuit du 17 au 18 janvier (soit douze jours après l'attentat !), Damiens fut transféré de Versailles à la Conciergerie. Les audiences reprirent le lendemain matin, sous l'égide cette fois du Président de Maupeou.

Cette période, pourtant essentielle, allant du 5 au 17 janvier n'est même pas mentionnée par Marion Sigaut. Pour quelle raison ? Sans doute parce qu'elle n'entre pas dans sa grille de lecture... C'est ce que nous verrons en nous penchant dans la seconde partie de l'article sur celui qu'elle qualifie de "valet modèle",  à savoir Robert-François Damiens.
(à suivre ici)





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