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le duc de Liancourt |
François-Alexandre-Frédéric,
duc de Liancourt puis duc de la Rochefoucauld-Liancourt, né le 11
janvier 1747, mort le 27 mars 1827, débuta comme militaire dans le corps des
carabiniers. Son père, le duc d'Estissac, qui occupait auprès du roi
Louis XV les fonctions de grand-maître de la garde-robe, le fit
admettre, suivant la coutume du temps, dès l'âge de vingt et un ans, à
la survivance de sa charge ; mais déjà à cette époque le jeune duc de
Liancourt se montra peu courtisan. Accueilli comme un fils par le duc de
Choiseul, il lui resta fidèle après sa disgrâce, ne consentit jamais à
paraître chez Mme Du Barry, et se montra rarement à Versailles, « où le
roi, a écrit son fils, lui montrait un visage sévère et mécontent».
Aussi comprend-on sans peine les sévérités, très piquantes d'ailleurs,
d'une relation de « la dernière maladie de Louis XV», que Sainte-Beuve
lui attribue.
Cependant il était midi, et les médecins
venaient d’arriver. On appela à la fin la garde-robe, et nous trouvâmes
le roi entouré d’une foule de médecins et de chirurgiens,
les questionnant avec une faiblesse et une inquiétude inexprimables
sur la marche de sa maladie, sur leur opinion de son état; et sur
les remèdes qu’ils lui donneraient dans tel ou tel cas. Les médecins
le rassuraient, caractérisant sa maladie de fièvre catarrheuse;
mais ils montraient, plus d’inquiétude dans la manière dont
ils le traitaient que dans leurs paroles. Ils avaient déjà
annoncé qu’ils feraient une seconde saignée à trois
heures et demie, et même une troisième dans la nuit, ou dans
la journée du lendemain, si la seconde ne débarrassait pas
le mal de tête. Le roi, dont les questions répétées
avaient poussé les médecins à lui faire cette réponse,
s’en montrait fort mécontent.
« Une troisième saignée,
disait-il,
c’est donc une maladie! Une troisième saignée me mettra bien
bas, je voudrais bien qu’on ne fît pas une troisième saignée.
Pourquoi cette troisième saignée? » Les rois ne
peuvent rien dire qui ne soit répété et même
interprété. Ses propos sur la troisième saignée
coururent bientôt Versailles. Ils nous avaient frappés en
les entendant; ils firent le même effet sur tous ceux qui les apprirent,
et le sentiment général fut de conclure qu’une troisième
saignée prouverait au roi qu’il était bien malade, et le
déterminerait au renvoi de Mme Du Barry. Ici on avait toujours entendu
dire qu’une troisième saignée devait faire recevoir les sacrements;
et, suivant la disposition favorable ou contraire à la maîtresse,
chacun craignait ou espérait de la voir ordonner.
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la Du Barry
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Comme le parti
de ceux qui désiraient l’expulsion de Mme Du Barry et de ses vils
sectateurs n’était en général composé que de
gens honnêtes, il se bornait à désirer tout ce qui
pouvait en hâter le moment, mais ne formait à cet égard
aucunes intrigues. Il n’en était pas de même du vil parti
qui la soutenait: accoutumé aux menées sourdes, à
des intrigues basses et enveloppées, il était déterminé
à les employer dans une occasion réellement intéressante.
On entoura donc les médecins, on les chambra; on fit envisager aux
honnêtes, ou à ceux qu’on croyait tels, combien le roi avait
été frappé de l’idée de cette troisième
saignée, combien il se croirait malade s’il se la voyait faire,
et quel était le danger de la peur pour un homme de cette faiblesse
et de cette pusillanimité. On parlait plus clair à ceux que
l’on croyait moins honnêtes, et on leur montrait que la troisième
saignée allait faire recevoir les sacrements, renvoyer Mme Du Barry,
et par conséquent qu’ils s’en feraient, un l’ordonnant, une ennemie
irréconciliable, car on ne mettait jamais en doute qu’elle ne revînt
bientôt après. Les Du Barry, les d’Aiguillon, les d’Aumont,
les Richelieu, les Bissy, employaient leur éloquence, mettaient
en jeu tous leurs moyens pour persuader la Faculté, et en étaient
venus à bout. La médecine de Bordeu et de Lorry est assez
complaisante, et se prête volontiers aux fantaisies des malades.
Les conseils des courtisans leur firent en cette occasion un grand effet;
ils renoncèrent à reparler de cette saignée.
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Le Monnier |
Lemonnier était trop politique pour ne pas, dans
cette circonstance, être de l’avis des autres; Lassonne et Lieutaud,
déterminés à renoncer à cette troisième
saignée, remirent pourtant après la seconde saignée
à en prononcer. Les chirurgiens furent, comme toujours, de l’avis
des médecins, et il fut question de procéder à la
saignée qu’on avait ordonnée à midi. Le parti qui
désirait tous les moyens qui feraient chasser Mme Du Barry et tous
ses plats courtisans (et j’étais un des plus actionnés dans
ce parti) s’efforçait de savoir exactement tout ce qui se faisait
dans l’autre, mais se bornait à cela. La prudence lui interdisait
toutes démarches; car le renvoi de cette femme étant nécessairement
lié à un plus grand danger du roi, il eût été
maladroit et dangereux de rien montrer de l’envie qu’on en avait. La lâcheté
des médecins qui les avait fait renoncer à l’idée
d’une troisième saignée si la seconde ne produisait pas un
assez grand soulagement, ne les empêchait pas de penser qu’elle serait
vraisemblablement nécessaire, mais ils s’étaient engagés,
et, pour satisfaire à la fois leur parole et leur conscience, ils
prirent le parti de faire faire la seconde saignée tellement abondante,
qu’elle pût tenir lieu d’une troisième. En conséquence,
on tira au roi la valeur de quatre grandes palettes. Les rois doivent être
accoutumés à voir leur gloire et leur santé être
le jouet de l’intrigue et de l’intérêt de tout ce qui les
entoure. Le roi se montra encore bien lui pendant et avant cette
saignée; sa peur, sa pusillanimité étaient inconcevables;
il fit venir du vinaigre qu’il fit mettre sous son nez, disant à
la vue du chirurgien qu’il allait se trouver mal, se faisant soutenir par
quatre personnes, et donnant son pouls à tâter à la
Faculté, et faisant à chaque instant les mêmes questions
aux médecins sur sa maladie, sur les remèdes, sur son état.
« Vous me dites que je ne suis pas mal, et que je serai bientôt
guéri, leur disait-il, mais vous n’en pensez pas un mot;
vous devez me le dire. » Ceux-ci protestaient de dire la vérité,
et le roi ne s’en plaignait, n’en geignait, n’en criait pas moins. Sa peur
et ses craintes n’étaient pas celles de l’inquiétude bien
intéressante(?), mais celles d’une faiblesse lâche et révoltante.
Son mal de tête, qui n’avait pas cédé à la première
saignée, ne cédait pas plus à la seconde, et il se
répandait dans Versailles, à la grande satisfaction des uns
et au grand chagrin des autres, que le roi entrait dans une grande maladie.
Le roi, inquiet et souffrant, ne parlait que de lui quand il parlait, mais
parlait peu. Il avait, vers les cinq heures, envoyé chercher ses
enfants, qui étaient venus passer auprès de son lit une demi-heure,
sans en entendre et sans lui dire une parole. Il n’aurait pas pensé
à se procurer cette visite, si L......, (il s'agit de Laborde) qui voulait lui en procurer
une autre, ne lui eût pas proposé d’aller chercher ses enfants.
L......, premier valet de chambre du roi, livré,
comme M. d’Aumont, à Mme Du Barry, joignait sa bassesse à
la sienne, pour la servir quand il le pouvait, et avait fait à cet
égard de grands projets pour cette occasion. Quoique L...... soit
un homme vil et sans honneur, il ne faut pas confondre sa bassesse avec
celle de M. d’A......; elle est d’un caractère un peu plus noble,
au moins plus hardi. C’est une espèce de fou qui ne manque pas d’esprit,
à qui les caresses de Mme Du Barry et la confiance du roi dans cet
horrible rapport avaient tourné la tête, qui se croyait un
personnage, un homme à crédit, que cette idée disposait
à tout faire pour l’avantage de cet indigne fripon, mais qui au
moins était capable de mettre plus de force et plus d’intrépidité
dans ses infamies; homme d’ailleurs d’une crapule indécente, d’une
déraison choquante et d’une insolence brutale. Il voyait avec chagrin
que les princes du sang et les grands-officiers remplissaient la chambre
du roi, et qu’ils ne la quittaient pas, empêchant Mme Du Barry d’y
arriver. M. d’Aumont n’en était pas plus content; il avait promis
à M. d’Aiguillon de faciliter fréquemment les visites de
Mme la comtesse ; il tint son petit conseil avec L....., et le détermina
en conséquence à venir nous dire à tous dans la chambre
que le roi voulait être seul.
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l'agonie de Louis XV (ici, Stanley Weber) |
Je ne croyais pas alors que son motif fût la bassesse
et l’envie de produire Mme Du Barry ; je n’y voyais que le projet de nous
éconduire
pour rester seul avec le roi, prétention de droits
; et quoique tout le monde à peu près fût déjà
sorti, je tins bon et lui répondis: Que si le roi voulait que je
sorte il me l’ordonnerait, mais qu’en attendant j’allais rester. M. de
Bouillon vint à mon secours et dit la même chose, et les gens
qui étaient sortis, nous voyant rester, rentrèrent aussi.
Je jouis alors de m’être opposé avec succès à
cette prétention de M. d’Aumont. J’ai bien plus joui depuis, quand
j’ai su le vrai motif de sa conduite, d’avoir empêché la visite
qu’il voulait favoriser. Cependant le roi était gisant dans son
lit, n’ayant nul désir de voir celle que M. d’Aumont avait tant
à coeur de lui amener, et n’ouvrant la bouche, dans l’état
d’affaissement où il était, que pour geindre et parler de
lui à la Faculté. La quantité de médecins dont
il était entouré m’avait, dans le commencement de la journée,
apitoyé pour lui.
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la chambre royale |
Quatorze personnes, dont chacune a le droit d’approcher
et de visiter un malade, me paraissaient un vrai supplice. Mais le roi
n’en jugeait pas ainsi; et, outre que l’habitude l’empêchait de s’apercevoir
de cette importunité, qui aurait été pour tout autre
insoutenable, l’inquiétude et la peur la lui rendaient précieuse.
La Faculté était composée de six médecins,
cinq chirurgiens, trois apothicaires; il aurait voulu en voir augmenter
le nombre. Il se faisait tâter le pouls six fois par heure par les
quatorze; et quand cette nombreuse Faculté n’était pas dans
la chambre, il appelait ce qui en manquait pour en être sans cesse
environné; comme s’il eût espéré qu’avec de
tels satellites la maladie n’oserait pas arriver jusqu’à Sa Majesté.
Je n’oublierai jamais que Lemonnier lui ayant dit qu’il était nécessaire
qu’il fît voir sa langue, et le lit n’étant ouvert que de
façon à laisser approcher à la fois l’un deux, il
la tira d’un pied appuyant ses deux mains sur ses yeux, que la lumière
incommodait, et la laissa tirée plus de six minutes, ne la retirant
que pour dire après l’examen de Lemonnier: « A vous, Lassonne;
» et puis: « A vous, Bordeu; » et puis: « A vous,
Lorry, » etc.; et puis, et puis, enfin jusqu’à ce qu’il eût
appelé l’un après l’autre tous ses docteurs, qui témoignaient
chacun à leur manière la satisfaction qu’ils avaient de la
beauté et de la couleur de ce précieux et royal morceau.
Il en fut de même un moment après, pour son ventre, qu’il
fallut tâter; et il fit défiler chaque médecin, chaque
chirurgien, chaque apothicaire, se soumettant avec joie à la visite,
et les appelant toujours l’un après l’autre et par ordre. Mais ces
visites se faisaient en prenant bien garde que le roi ne vît la lumière
qui l’avait déjà incommodé, et dont il s’était
plaint une fois. On mettait la main devant, et on ne laissait arriver les
rayons que sur la partie que l’on voulait éclairer. Un garçon
de la chambre avait été chargé de ce soin; son attention
n’était jamais en défaut. Il la poussait même plus
loin que l’exactitude, et je dirai en passant comment elle nous procura
une scène ridicule et plaisante. Il fut question de donner un lavement
au roi. On le traîna à grand’peine sur le bord de son lit,
et là on le posta dans l’attitude convenable à la circonstance,
c’est-à-dire le visage enfoncé dans un oreiller, et le derrière
à découvert et en position. La Faculté, rangée
autour du lit, fit place, en se mettant en haie, au maître apothicaire,
qui arrivait la canule à la main, suivi du garçon apothicaire
qui portait respectueusement corps de la seringue, et du garçon
de la chambre qui portait la lumière destinée naturellement
à éclairer la scène. M. Forgeot (c’est le nom du maître
apothicaire), placé avantageusement, allait poser et mettre en place
la canule, quand tout à coup le garçon de la chambre, voyant
que la lumière qu’il porte donne en plein sur le derrière
royal, et imaginant apparemment que son effet peut être dangereux
pour la santé ou au moins la commodité de Sa Majesté,
arrache avec précipitation de dessous le bras d’un médecin
un chapeau, et le place entre la bougie et le lieu où M. Forgeot
dirigeait toute son attention. J’aurais peine à peindre la colère
servile et méprisante de l’apothicaire, à qui cette éclipse
avait fait manquer son coup, l’étonnement des médecins, l’indignation
du petit garçon apothicaire, et l’envie de rire de la partie de
l’assemblée heureusement placée pour être témoin
de cette scène. Cette histoire ridicule peut servir à faire
connaître l’empressement peu réfléchi, l’exactitude
machinale des subalternes, que la plus profonde vénération
n’abandonne jamais. ( à suivre )
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Sainte-Beuve |
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