vendredi 24 avril 2015

La maladie de Louis XV, par Sainte-Beuve (3)

le duc de Liancourt
François-Alexandre-Frédéric, duc de Liancourt puis duc de la Rochefoucauld-Liancourt, né le 11 janvier 1747, mort le 27 mars 1827, débuta comme militaire dans le corps des carabiniers. Son père, le duc d'Estissac, qui occupait auprès du roi Louis XV les fonctions de grand-maître de la garde-robe, le fit admettre, suivant la coutume du temps, dès l'âge de vingt et un ans, à la survivance de sa charge ; mais déjà à cette époque le jeune duc de Liancourt se montra peu courtisan. Accueilli comme un fils par le duc de Choiseul, il lui resta fidèle après sa disgrâce, ne consentit jamais à paraître chez Mme Du Barry, et se montra rarement à Versailles, « où le roi, a écrit son fils, lui montrait un visage sévère et mécontent». Aussi comprend-on sans peine les sévérités, très piquantes d'ailleurs, d'une relation de « la dernière maladie de Louis XV», que Sainte-Beuve lui attribue.
 
Cependant les médecins n’étaient pas contents de l’effet de leur remède, et l’accablement continuel du roi et les autres accidents leur faisaient craindre une fièvre maligne. Ils disaient cependant encore que la maladie était une fièvre humorale, mais consultaient fréquemment entre eux, et se laissaient voir inquiets. Bordeu avait été chez Mme Du Barry, et lui avait annoncé une grande maladie pour le roi. Lorry avait dit à M. d’Aiguillon que l’état du roi pouvait devenir inquiétant; mais la maîtresse et son favori n’en croyaient encore rien et n’en voulaient rien croire. L’inquiétude commençait pourtant à se répandre dans tout Versailles; chacun commençait aussi à se faire un plan de conduite pour le cours de la maladie: je fis celui de veiller le roi, et de le soigner de ma présence tant qu’elle durerait. On avait toujours dit, et avec assez de raison, que je le servais fort à ma commodité, et on avait voulu me faire de cette légèreté un grand démérite à ses yeux; mais son apathie, qui lui rendait tout indifférent, l’avait empêché de s’en choquer, et j’avais usé plus que personne de cette facilité que l’on admirait en lui pour les gens qui l’approchaient, et qui n’était que l’effet de la plus complète indifférence. Cependant je ne voulais pas, dans le moment où il était malade, ne pas le soigner aussi bien et mieux que les autres; je croyais mon devoir attaché à ne le quitter que le temps absolument nécessaire pour mon repos ou mes repas. J’y voyais aussi mon intérêt, car j’acquérais par une conduite assidue pendant sa maladie, et par dix nuits passées auprès de son lit, le droit de reprendre après sa guérison mon train ordinaire de vie. J’étais déterminé aussi à cette conduite par le désir et le projet d’observer de près un événement aussi curieux, et de démêler les intrigues qu’il ferait nécessairement naître en abondance. Voilà quels étaient mon plan et mes motifs. Je me proposais aussi la plus grande retenue dans mes propos, et de ne rien faire paraître de l’envie que j’avais de tout ce qui pouvait amener le renvoi de la maîtresse et du ministre, sans cependant me permettre d’affecter jamais aucun sentiment contraire. Il était déjà dix heures du soir. Le roi avait été changé de son grand lit dans un petit, pour la commodité de son service ; son affaissement, ses douleurs, sa pesanteur augmentaient , et, malgré l’opinion qu’on avait de sa faiblesse et de sa peur, il paraissait bien évidemment qu’il commençait une grande maladie. Tout Versailles en était persuadé, excepté ceux qui ne voulaient pas l’être. Les médecins l’étaient comme tout le monde, et leur silence l’annonçait; ils ne parlaient qu’entre eux, et remettaient encore au lendemain à vouloir prononcer sur le caractère de la maladie. La famille royale, fort inquiète, était revenue après son souper voir le roi, et se préparait à rester tard dans la chambre à côté pour voir le commencement de la nuit, quand tout à coup la lumière, approchée du visage du roi sans la précaution ordinaire, éclaira son front et ses joues, où l’on aperçut des rougeurs. Les médecins qui entouraient le lit, à la vue de ces rougeurs qui étaient déjà des boutons élevés sur la peau, se regardèrent entre eux avec un accord et un étonnement qui fut l’aveu de leur ignorance. 
Stanley Weber dans le Soleil noir
Lemonnier voyait le roi depuis deux jours avec des maux de reins, 
de l’affaissement, des maux de coeur; les quatre autres voyaient depuis midi les symptômes augmentés, et aucun, même en tâtant le pouls, ne s’était douté que la maladie pût être la petite vérole. Tout le monde le vit dans ce moment, et il était inutile d’être médecin pour en être convaincu. Ceux-ci sortirent de la chambre du roi, et l’annoncèrent à la famille royale en disant qu’enfin on savait ce qu’était la maladie, qu’elle était bien connue, que le roi était préparé à merveille, et que cela irait bien. Le premier soin de tout le monde fut d’engager M. le Dauphin, qui n’avait jamais eu la petite vérole, à quitter l’appartement; Mme la Dauphine l’emmena. M. le comte de Provence, M. le comte d’Artois et leurs femmes sortirent aussi; Mesdames seules restèrent. Elles n’avaient pas eu plus la petite vérole que M. le Dauphin, et en avaient peur elles ne voulurent pas se rendre aux représentations que nous leur fîmes, et se montrèrent inébranlables dans le projet qu’elles avaient formé de ne point abandonner leur père. On aura peine à croire que cet acte de piété filiale ait excité aussi peu qu’il l’a fait l’intérêt public. Les gens qui en parlaient se contentaient de dire que c’était bien, mais les trois quarts n’en parlaient ni n’y pensaient; et cette indifférence, ce froid pour une action réellement aussi belle, aussi touchante, que l’on eût tant goûtée et vantée de particuliers, ne venait pas de l’occupation où était toute la Cour de la maladie du roi; elle n’était produite que par la plate et mince existence de Mesdames, que l’on connaissait sans envie du bien, sans âme, sans caractère, sans franchise, sans amour pour leur père. On fut persuadé que c’était pour faire parler d’elles, ou machinalement, qu’elles se soumettaient à un danger aussi évident. Leur oisiveté ordinaire fit croire à quelques-uns que c’était pour se donner une occupation ; d’autres crurent que Mmes de Narbonne et de Durfort, célèbres ouvrières en intrigues, avaient poussé Mmes Adélaïde et Victoire à cette conduite, dont elles espéraient retirer dans la suite l’intérêt; et que quant à Mme Sophie, qui était une manière d’automate, aussi nulle pour l’esprit que pour le caractère, elle avait, selon sa coutume, suivi par apathie la volonté et le projet de ses soeurs. Mais la meilleure raison encore du peu d’effet que faisait sur l’esprit de la Cour et de Paris la conduite véritablement respectable de Mesdames, c’était l’objet de leur sacrifice. Le roi était tellement avili, tellement méprisé, particulièrement méprisé, que rien de ce qu’on pouvait faire pour lui n’avait droit d’intéresser le public. Quelle leçon pour les rois! Il faut qu’ils sachent que, comme nous sommes obligés malgré nous de leur donner des marques extérieures de respect et de soumission, nous jugeons à la rigueur leurs actions, et nous nous vengeons de leur autorité par le plus profond mépris, quand leur conduite n’a pas pour but notre bien et ne mérite pas notre admiration; et, en vérité, il n’était pas besoin de rigueur pour juger le roi comme il l’était par tout son royaume.
Revenons à la maladie. La manière dont les médecins avaient annoncé à Mesdames la petite vérole du roi leur parut, non pas un présage, mais une assurance de guérison. Elles répétèrent qu’il était bien préparé, citant cinq ou six exemples de gens de soixante-dix ans qui avaient eu la petite vérole, et allèrent se coucher persuadées que le roi était en bon état, puisqu’il avait la petite vérole. Quelques personnes de l’intérieur prirent aussi part à cette joie, et presque tout le monde se dit dans le premier moment: « Voilà qui va bien ; c’est l’affaire de neuf jours et d’un peu de patience. » Je n’étais point de l’avis de tout le monde, et, sans dire le mien, je dis à Bordeu: « Écoutez ces messieurs qui sont charmés parce que le roi a la petite vérole. » — « Sandis ! dit Bordeu, c’est apparemment qu’ils héritent de lui. La petite vérole à soixante-quatre ans, avec le corps du roi, c’est une terrible maladie. » Il me quitta pour aller annoncer cette triste antienne à Mme Du Barry, qui n’avait pas vu le roi de la journée, et qu’il effraya infiniment en lui disant à peu près les mêmes choses qu’il m’avait dites. Peut-être lui fit-il le danger moins fort qu’il ne me l’avait fait; mais il m’a toujours assuré lui avoir dit, à cette première visite, qu’il n’y avait préparation qui tînt, et que l’inquiétude de tout ce qui s’intéressait au roi devait être fort considérable. Pendant que Bordeu était chez Mme Du Barry, on agitait, dans une chambre auprès de celle du roi, si on lui dirait ou si on lui cacherait qu’il avait la petite vérole.
 Mesdames, en s’en allant coucher, s’étaient reposées, pour la décision de cette question, sur notre prudence, et s’en rapportaient à notre avis et à celui des médecins. Je fus appelé comme les autres à ce conseil que je trouvai composé de toute la Faculté, hors Bordeu, de M. de Bouillon, de M. d’Aumont, de M. de Villequier. Les avis étaient assez partagés. Les médecins disaient beaucoup de mots sans prononcer rien qui conclût, et voulaient que nous décidassions. M. d’Aumont, plus verbeux que personne, faisait plus de phrases ; mais plus timide et plus sot, il n’était d’aucun avis ; son fils était un peu plus décidé pour qu’on cachât absolument au roi la nature de son mal, et M. de Bouillon voulait qu’on ne lui laissât rien ignorer. M. d’Aumont même se recordait à cet avis, car M. de Bouillon parlait plus fort, et c’est toujours ce qui entraîne les sots. 
le duc de Boullon, grand chambellan
J’étais le plus jeune, et, outre le peu de désir que j’avais de parler, ma jeunesse m’interdisait de donner mon avis sans qu’on me le demandât. Je fus interpellé, et je dis que je ne mettais point en doute que si le roi apprenait qu’il avait la petite vérole, cette nouvelle ne fût pour lui le coup de la mort. Je parlai de sa peur, de sa faiblesse, que je donnai pour motif de mon opinion, et je conclus avec fermeté à ce qu’on ne lui dît pas. On verra bien aisément que je donnais l’avis qui était le moins selon mes désirs; mais il était selon ma conscience, et j’aurais été coupable de soutenir celui de M. de Bouillon, dont pourtant je désirais l’exécution, puisqu’en donnant au roi la certitude qu’il avait une maladie aussi dangereuse, il le déterminait à recevoir les sacrements et à renvoyer tout cet odieux tripot, toute cette infâme et honteuse clique. D’ailleurs, je trouvais, au dedans de moi, assez juste que le roi, qui n’avait jamais dans sa vie goûté plus délicieusement aucun plaisir que celui d’inquiéter tous les gens qui l’entouraient sur leur santé, de leur annoncer la mort future ou prochaine, savourât d’avance, à son tour, la sienne, et se minât d’inquiétude. Je vis mon avis prévaloir, non sans regret, mais sans remords, et j’en aurais eu beaucoup de ne l’avoir pas donné, quoiqu’encore une fois je fusse très contrarié de le voir suivi. Il fut donc décidé qu’on ne parlerait point au roi du caractère de sa maladie, qu’on ne la lui nommerait point, mais qu’on ne l’empêcherait pourtant pas de la deviner, si le traitement qu’on lui ferait et les boutons qui se multiplieraient lui en donnaient connaissance.
Cependant la joie qu’avaient eue MM. de Bouillon et d’Aumont, en apprenant que le roi avait la petite vérole, ne dura pas longtemps. Leur espérance ou plutôt leur certitude d’une guérison prochaine ne tarda pas à s’évanouir, et ils s’aperçurent, après quelques moments de réflexion, qu’un vieillard de plus de soixante ans, qui a la petite vérole, ne se porte pas bien, et est dans quelque danger. D’ailleurs, l’état du roi était même plus fâcheux que ne l’est communément à cette époque celui de ceux qui ont cette maladie. Son affaissement continuait; il se plaignait de douleurs sourdes de tête, et l’agitation était excessive malgré l’abattement. Il ne parlait pas, et avait les yeux fixes et hagards. La fièvre, qui était toujours très considérable, augmentait fréquemment et par bouffées, et Lemonnier, qui le veillait, en disant qu’il était comme il devait être, avait bien l’air de ne pas dire ce qu’il pensait. J’aurais dès lors été fort effrayé de l’état du roi si j’avais pris quelque intérêt à la conservation de ses jours. Son affaissement, le peu d’inquiétude qu’il témoignait, lui qui était l’homme du monde le plus douillet et le plus penaud, me paraissaient la preuve la plus décisive du danger de son état à ajouter au danger seul de la nature de sa maladie. MM. d’Aumont et de Bouillon, qui veillaient comme moi, se montraient d’une grande inquiétude. Ils se donnaient l’un et l’autre pour aimer le roi tendrement, et s’entretenaient toujours de ses rares et sublimes qualités. Leur conversation était souvent interrompue par de tendres et profonds soupirs, par des sanglots, par des gémissements, et quelquefois aussi par des moments de sommeil; car heureusement leur inquiétude et leur douleur ne leur ôtaient pas toute faculté de dormir. Sur le matin, et dans les moments où ils voyaient avec plus d’effroi l’état du roi, M. de Bouillon, qui, tout en pleurant, venait de s’éveiller, regarda tendrement La Martinière, et lui avançant les deux bras : « Vous voyez bien cela, lui dit-il, mon cher La Martinière, ce sont mes deux bras, c’est certainement ce que j’aime le plus au monde; eh bien! s’il les fallait pour sauver la vie du roi, je vous dirais : Mon ami, coupez-les-moi tous les deux; c’est un si bon maître! » Il est bon de remarquer, en passant, que ce si bon maître, que ce pauvre M. de Bouillon aimait tant, ne lui parlait jamais, disait toujours que c’était une triste et plate espèce, et lui avait, trois ou quatre ans auparavant, fait défendre, à la réquisition de son père, de paraître à la Cour, après en avoir dit tout le mal que l’on peut dire de quelqu’un. Il faut ajouter aussi que ce tendre serviteur du roi, qui l’aimait tant depuis vingt-quatre heures qu’il était malade, venait le voir environ huit jours par an quand il était en santé. Il y a des gens qui sont nés valets; je crois que, sans calomnie, on peut ranger M. de Bouillon dans cette classe, et cela est assez simple, si, comme on le dit, il est fils d’un frotteur. M. d’Aumont ne restait pas court aux expressions de douleur et de regret de M. de Bouillon; il enchérissait encore en assurance de dévouement, et, à l’offre que faisait l’autre de ses chers bras, il marquait peu d’étonnement, et disait, avec un verbiage emphatique et que j’aurais peine à rendre, que si au lieu d’une vie il en avait quatre, il les perdrait pour racheter celle du roi avec une satisfaction et un bonheur inimaginables, quoiqu’il priât d’observer qu’il était fort heureux dans ce monde. J’entendais cette scène dans un coin, près de ces messieurs, et, trouvant ma sensibilité bien au-dessous de la leur, je me taisais, et me contentais de ne pas rire. Cependant les médecins étaient arrivés pour la consultation, et, d’après l’état du roi et le compte de la nuit, ils avaient opiné pour les vésicatoires; ils avaient été mis, et quoiqu’en général ces messieurs ne disent pas leur avis, ils paraissaient peu contents. M. le duc d’Orléans, M. le prince de Condé, M. de Penthièvre, s’étaient déterminés à garder le roi et à s’enfermer avec lui. M. le duc de Chartres s’était retiré pour rester avec M. le Dauphin, pour le voir quand il le pourrait, et M. le duc de Bourbon avait suivi son exemple. La nuit du roi, qui avait été mauvaise, fut dite dans Versailles encore plus mauvaise qu’elle n’avait été réellement, et, hors M. d’Aiguillon, tout le monde croyait le roi à deux jours de sa mort. La joie était grande parmi les ennemis de sa maîtresse; on la voyait chassée dans la journée, on voyait tout le tripot dispersé, anéanti, écrasé, et chacun, se forgeant à son gré sa chimère la plus agréable, voyait le ministère présent succédé par lui ou par ses amis. M. le Dauphin, qui s’était montré triste et inquiet la veille au soir, le paraissait encore davantage le matin. Il s’était, ainsi que Mme la Dauphine et ses frères, renfermé dans son plus petit intérieur, et à son service près, qu’il voyait seulement à l’heure de son lever et de son coucher, il vivait en famille; il voyait aussi un demi-quart d’heure, à midi et demi, les princes qui ne voyaient pas le roi. Voilà comme il a passé le temps de la maladie. Il allait avec une grande exactitude aux prières des quarante heures, toujours avec une très bonne contenance, avec un air réellement abattu, et ne prenait part à rien en public.
le départ de la Du Barry (extrait du Soleil noir)
La nouvelle de la petite vérole fut se répandre à Paris, et chacun dans ce premier moment ne douta pas que le roi ne succombât à cette maladie. L’effet était bien différent dans le peuple que trente ans auparavant, où le même roi, malade à Metz, aurait réellement trouvé dans sa capitale un millier d’hommes assez fous pour sacrifier leur vie pour sauver la sienne, et où tout son peuple, d’une voix unanime, lui avait donné, on ne sait pas trop pourquoi, le beau nom de Bien-aimé, dont il n’a jamais senti la douceur et le prix. Sa philosophie avait fait de grands progrès depuis cette époque, et la conduite avilie du roi, les infamies qui avaient été faites en son nom et auxquelles sa faiblesse apathique s’était prêtée, avaient fort aidé à cette philosophie. On ne voyait point dans Paris de gens inquiets courir, s’empresser, s’arrêter, pour savoir de ses nouvelles. Tout avait l’air calme et tranquille, et tout était joyeux et content. Quoique ce sentiment fût le même à Versailles, l’air d’inquiétude y était plus général; c’est d’abord le pays du déguisement, et si le déguisement est permis dans un cas, c’est bien dans celui où quand on peut, sans blesser l’honneur, cacher ce qu’on pense, on ne peut pas le faire paraître sans étourderie et sans courir le risque à peu près sûr d’une Bastille éternelle. On parlait déjà, quoique vaguement, des sacrements dans tout le château; on disait que le roi, qui avait tant de religion, allait les demander dès qu’il se verrait bien malade, ce qui ne pourrait pas manquer d’arriver bientôt. Mesdames en étaient persuadées, et avaient l’air de le désirer. Elles en parlaient ainsi, et attendant le moment où la piété de leur père lui ferait désirer cette consolation dans sa maladie. Quelque ferme que l’on soit dans son opinion, quand on y attache un grand prix, et quelque raison que l’on croie avoir de l’être, on la voit encore avec plaisir être celle des autres, et cette idée y confirme davantage. Telle était la position où se trouvaient dans ce moment les ennemis du tripot; la connaissance qu’ils avaient du goût du roi pour les sacrements, de son idée sur l’efficacité d’un acte de contrition, et sur le besoin qu’il en avait, leur persuadait bien qu’on touchait au moment où son amour pour la religion, ou son envie de donner un bon exemple en ce genre, allaient lui faire demander son confesseur; mais leur opinion, partagée par Mesdames, la leur rendait encore plus certaine. Ils nageaient dans la joie, et cette joie n’était troublée alors par aucune inquiétude. La tranquillité n’était pas aussi entière en haut. Bordeu y était monté dans la matinée, et avait fort effrayé la maîtresse. Il lui avait dit dans ce moment que le roi était assez mal, que sa maladie prenait une mauvaise tournure, et qu’il lui conseillait de prendre ses arrangements pour partir bientôt, et pour partir d’elle-même, sans attendre qu’elle fût renvoyée. La manière de Bordeu est tranchante, assez franche, même quelquefois dure. Il était médecin de Mme Du Barry depuis sa naissance, et l’avait vue dans toutes les différentes époques de sa vie. Il l’amusait par ses contes et par sa gaieté, et avait alors plus de crédit que personne sur son esprit. C’est encore assez le propre des filles : les confidences qu’elles sont obligées de faire à leur médecin leur donnent presque toujours une entière confiance en eux, et on en voit peu n’en pas raffoler. Les conseils de Bordeu lui firent dans le moment assez d’impression; mais comme elle était fille dans toute l’acception du terme, et que les filles ne réfléchissent ni ne calculent, et n’ont aucune suite, après avoir un instant pleuré, elle dit qu’elle verrait, et parut peu inquiète de la santé du roi. Ce que je rapporterai de l’intérieur de Mme Du Barry dans tout le cours de ce récit, je le tiens de Bordeu, qui m’a toujours assuré me dire la vérité. Elle ne tarda pas de faire part à M. d’Aiguillon de sa conversation, et de l’inquiétude où elle était. Celui-ci était instruit de son côté par Lorry, et plus encore par M. d’Aumont, de l’état du roi, des inquiétudes de la nuit et de l’opinion générale. Soit qu’il affectât de n’y vouloir pas prendre part, soit que le si grand intérêt...
(récit inachevé...)
Sainte-Beuve
 

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