vendredi 7 août 2015

Voltaire contre l'abbé Desfontaines (3)

 

Le lendemain de sa libération (le 30 mai 1725), l’abbé Desfontaines se confond en remerciements auprès de son bienfaiteur :… « vous êtes l’ami le plus essentiel qui ait jamais été ». Et d’oser aussitôt lui demander un nouveau service :  

« J’ai une lettre de cachet qui m’exile à trente lieues de Paris. C’est avec plaisir que je vais chercher la solitude ; mais je suis bien fâché que cette retraite me soit ordonnée. C’est un reste de triomphe pour les malheureux auteurs de ma disgrâce. Je consens d’aller en province, et j’y vais très volontiers. Mais tâchez, monsieur, de faire en sorte que l’ordre du roi soit levé par une autre lettre de cachet en cette forme :

« Le roi, informé de la fausseté de l’accusation intentée contre le sieur abbé Desfontaines, consent qu’il demeure à Paris. »

Si vous obtenez cet ordre de M. de Maurepas, c’est un coup essentiel. Au surplus, je promets, parole d’honneur à M. de Maurepas de m’en aller incessamment, et de ne point revenir à Paris qu’après lui en avoir demandé la permission secrètement.

Voilà, mon cher ami, ce que je vous prie à présent d’obtenir pour moi… »
l'abbé Desfontaines


Et Voltaire de s’exécuter sans broncher ! Ses relations aidant, il obtient la grâce définitive de Desfontaines au mois de juin. La lettre qui suit, adressée au lieutenant de police d’Ombreval, rend compte de ses démarches :

« Je vous aurai obligation toute ma vie de ce que vous avez bien voulu faire en faveur du pauvre abbé Desfontaines, tous les gens de lettres qui connaissent son mérite supérieur partageront ma reconnaissance. S’il a été coupable de quelque indiscrétion, il en a été bien cruellement puni, mais je puis vous assurer qu’il est incapable du crime infâme qu’on lui attribue, et que d’ailleurs il mérite, par sa probité, et j’ose dire par son malheur, que vous lui donniez votre protection, et que vous daigniez parler en sa faveur à Monseigneur le duc; vous êtes dans une place et vous pouvez faire du mal, mais votre coeur vous porte à faire du bien. Pour moi, je n’ai que des grâces à vous rendre, et je joins les sentiments de la plus vive reconnaissance au respect que j’ai pour votre personne »

Comment expliquer une telle générosité, surtout de la part d’un homme qu’on a souvent connu indifférent à ce qui ne lui profitait pas ? Les biographes de Voltaire esquivent systématiquement la question. Sans doute n’osent-ils pas exploiter le mince indice qui nous est fourni dans cette nouvelle lettre de l’abbé Théru, informateur du lieutenant général de police :

« On dit que le sieur Arouet de Voltaire est dans la disposition de solliciter la liberté de son cher et intime ami, l’abbé Guyot Desfontaines, et que, s’il n’ose le faire ouvertement, il emploiera le crédit de quelques personnes de considération et d’autorité; mais si on veut s’informer de la vie que ce poète a menée depuis qu’il est sorti du collège des jésuites, et si on examine les gens qu’il a fréquentés, ou n’aura point d’égard à ses prières, ni à celles de ses amis comme très suspects.

A la sortie dudit collège, il fut pensionnaire au collège des Grassins, et il était alors en commerce avec quelques infâmes, entre autres avec le chevalier Ferrand, ancien et fameux corrupteur, demeurant rue de Bièvre, et si on voulait le faire visiter, on trouverait qu’il a actuellement du mal qu’on ne gagne point à faire des vers, et que l’abbé Desfontaines est digne d’être mis au nombre de ses amis. »
à la morte saison, les petits savoyards subissaient bien des avanies...

L’accusation est terrible, et vraisemblablement infondée puisque la police n'a pas jugé utile d'y donner suite. A titre personnel, je n'ai d'ailleurs rien trouvé dans la correspondance de Voltaire qui vienne étayer l'insinuation de ce sinistre personnage. Le poète avait peu de goût pour la bagatelle (souvenons-nous de sa relation avec l'insatiable Emilie du Châtelet), mais de là à voir en lui un pédéraste ou un homosexuel... Même si le doute subsiste, on mettra donc sur le compte de sa générosité l'aide qu'il apporta à Desfontaines dans la triste affaire des petits savoyards (1)...

(à suivre)

(1) quelques rares pamphlets reprennent pourtant cette accusation, notamment les enfants de Sodome à l'Assemblée Nationale, écrit dans les premières années de la Révolution (1790).

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