mardi 11 août 2015

Voltaire contre l'abbé Desfontaines (4)


Au printemps 1735, le proviseur du collège d'Harcourt, un certain abbé Asselin, demande à Voltaire d'offrir une tragédie inédite à ses élèves et leurs parents.
Flatté par la proposition, le poète répond : 
En me parlant de tragédie, monsieur, vous réveillez en moi une idée que j’ai depuis longtemps de vous présenter la Mort de César, pièce de ma façon, toute propre pour un collège où l’on n’admet point de femmes sur le théâtre. (...)

Il est vrai que c’est un peu la grenouille qui s’enfle pour être aussi grosse que le boeuf ; mais enfin je vous offre ce que j’ai. Il y a une dernière scène à refondre, et, sans cela, il y a longtemps que je vous aurais fait la proposition. En un mot, César, Brutus, Cassius, et Antoine, sont à votre service quand vous voudrez
.

Mais de préciser quelques jours plus tard (le 24 mai)
Je vous réitère mes remerciements de l’honneur que vous voulez bien lui faire, et mes prières d’empêcher qu’on n’en prenne copie et que l’ouvrage ne devienne public.
La pièce se joue donc, le public applaudit, et tout le monde s'en tient là.
l'abbé Desfontaines

Sauf que Voltaire apprend bientôt qu'une copie a été faite de son texte, truffée de fautes, et que des libraires peu scrupuleux se chargent déjà de l'imprimer à Paris. Caché à Cirey (depuis la condamnation par le Parlement de ses Lettres philosophiques), le poète ne peut intervenir directement. Il écrit alors à son ancien ami, l'abbé Desfontaines, devenu depuis peu rédacteur d'un périodique critique intitulé Observations sur les écrits modernes, et lui adresse la demande qui suit :

A Cirey, près de Vassy en Champagne, ce 7 septembre.

Je m’amusai, il y a quelques années, à faire une tragédie en trois actes, de la Mort de Jules César. C’est une pièce tout opposée au goût de notre nation. Il n’y a point de femme dans cette pièce; il n’est question que de l’amour de la patrie; d’ailleurs elle est aussi singulière par l’arrangement théâtral que par les sentiments. En un mot, elle n’est point faite pour le public. Je l’avais confiée, il y a deux ans, à MM. de.... , qui la représentèrent, et qui eurent la fidélité de n’en garder aucune copie. J’ai eu, en dernier lieu, la même confiance dans M. l’abbé Asselin, proviseur d’Harcourt, que j’aime et que j’estime; mais il n’a pu, malgré ses soins, empêcher que quelqu’un de son collège n’en ait tiré une copie. Voilà la tragédie aujourd’hui imprimée, à ce que j’apprends, pleine de fautes, de transpositions, et d’omissions considérables. On dit même que le professeur de rhétorique d’Harcourt, qui était chargé de la représentation, y a changé plusieurs vers. Ce n’est plus mon ouvrage. Je sens bien cependant qu’on me jugera comme si j’étais l’éditeur, et que la calomnie se joindra à la critique. Tout ce que je demande, c’est que l’on sache que cette pièce n’est point imprimée telle que je l’ai faite, et que je suis bien loin d’avoir la moindre part à cette édition. Je vous prie d’en dire deux mots dans l’occasion, etc.... 

Malheureusement pour Voltaire, il est déjà trop tard. Lorsque Desfontaines reçoit le courrier, sa critique de la pièce est déjà achevée. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de la publier...Et une fois encore, l'abbé se montre implacable envers son ancien bienfaiteur, ce même homme qui l'a autrefois tiré des geôles de Bicêtre. 
Jugez-en plutôt : 

 Et plus loin :

 Et pour conclure :
Et de reproduire in extenso la lettre de Voltaire (voir plus haut), sans oublier de mentionner l'adresse du poète !
En somme, si jusqu'alors le Tout-Paris feignait d'ignorer que le poète était rentré en France, désormais tout le monde en est informé !
Ce coup porté dans le dos, et qui plus est par un ami, met Voltaire dans une rage folle. L'abbé Desfontaines ne va pas tarder à payer sa traîtrise...
(à suivre)

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