jeudi 12 novembre 2015

Le tremblement de terre de Lisbonne (3)


La catastrophe de Lisbonne, suivie d'autres secousses qui surviennent peu après en Europe du nord-ouest, va raviver le débat philosophico-théologique autour de la question du mal et de la souffrance humaine. 
Séisme à Lisbonne

En effet, comment expliquer qu'un Dieu nécessairement bon et parfait puisse vouloir le malheur de l'homme ?
A cette question, l'homme d'Eglise avance l'idée du châtiment divin. Ainsi, lors de la peste de Marseille (1720), Mgr de Belsunce envisageait déjà auprès de ses fidèles la colère d'un "Dieu justement irrité par nos crimes" avant de les encourager à "une sincère et prompte pénitence, et à une entière soumission aux décisions de l'Eglise". Il appelait ensuite ses ouailles à communier et à pratiquer le jeûne afin de "détourner à jamais de dessus nos têtes le plus redoutable de tous les fléaux."
Dans ses Réflexions sur le désastre de Lisbonne, le janséniste Laurent Rondet (1717-85) évoque quant à lui la responsabilité du Portugal, "théâtre sanglant de cette Inquisition odieuse, mais encore le berceau d'une Société qui a bien dégénéré de l'auguste nom qu'elle s'est attribué" (comprenez : les Jésuites). Le débat sur le désastre de Lisbonne fournit aux Jansénistes le prétexte idéal pour raviver le combat contre leurs ennemis tout en posant la question de la réforme des moeurs religieuses. 
C'est dans ce contexte, et notamment contre la thèse providentialiste, que Voltaire va faire paraître début 1756 son célèbre Poème sur le désastre de Lisbonne. S'interrogeant sur la place des catastrophes dans un monde régi par Dieu, le philosophe va passer en revue, l'une après l'autre, les théories de ses adversaires.  
A la question : Le Mal serait-il un châtiment infligé par le Créateur ?, Voltaire répond :
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices

A cette autre théorie, qui prétend que le Mal absolu ne saurait exister, et qu'il est forcément compensé par un Bien ultérieur, Voltaire répond par l'ironie :
 Ce malheur, dites-vous, est le bien d’un autre être.
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître ;
Quand la mort met le comble aux maux que j’ai soufferts,
Le beau soulagement d’être mangé des vers !

Voltaire réfute enfin la théorie du Mal rédempteur :
Il (Dieu)visita la terre, et ne l’a point changée!
Un sophiste arrogant nous dit qu’il ne l’a pu ;
« Il le pouvait, dit l’autre, et ne l’a point voulu :
Il le voudra, sans doute » ; et, tandis qu’on raisonne,
Des foudres souterrains engloutissent Lisbonne...

Maigre consolation pour l'Homme, s'il doit attendre l'au-delà pour obtenir sa rédemption !


(à suivre)

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