En découvrant le parcours tourmenté de Julie de Lespinasse, j'ai imaginé cette femme belle, d'une de ces beautés qui échappent miraculeusement au temps.
Ce ne fut pas le cas. Le visage de Julie fut précocement ravagé par la petite vérole. Tant pis. Mon prochain roman réparera cette injustice. Elle en sera l'un des personnages centraux.
Je passerai sous silence les premières années de la jeune femme, née en 1732, pour en arriver plus rapidement à ces instants décisifs, lorsqu'elle quitte l'entourage de Mme du Deffand en 1764 pour ouvrir son propre salon rue de Bellechasse (rive gauche). Elle n'a encore aucun bien, sinon cet esprit unanimement loué qui lui permet d'attirer chez elle bon nombre des habitués du salon de son ancienne protectrice. Un peu plus de 7000 livres par an, auxquels il faut retrancher un loyer annuel de 950 livres, et il lui reste environ 6000 livres à Julie pour créer sa propre société. Un peu moins, en fait, puisqu'elle doit payer les gages de ses quatre domestiques. Son logis est donc modeste : deux étages d'une petite maison située à une centaine de mètres du couvent Saint-Joseph. Au premier de ces étages, on trouve le salon, une chambre à coucher, un cabinet de toilette, et une autre chambre de personnel. Au 2nd, la cuisine, le logement de la femme de chambre, et quelques pièces de débarras.
En quittant le salon de Mme du Deffand, Julie emporte avec elle l'une de ses pièces maîtresses : d'Alembert. Le géomètre est tombé à ce point amoureux de l'ancienne secrétaire de la marquise qu'il emménage bientôt chez elle. Cet amour fut-il partagé ? Leur relation fut-elle consommée ? On peut en douter, tant d'Alembert trainait derrière lui une triste réputation dans ce domaine. Quant à Julie... Mais il est encore trop tôt pour en parler.
A l'ouverture de son salon, les premiers billets d'invitation de la jeune femme sont des plus spirituels :
"soeur de Lespinasse fait savoir que sa fortune ne lui permet d'offrir ni à dîner ni à souper, et qu'elle n'en a pas moins l'envie de recevoir chez elle les frères qui voudront venir digérer."
Le succès est immédiat, et Julie reçoit bientôt chez elle ce que Paris compte de plus illustre : Turgot, Condorcet, Suard, Grimm, Marmontel, Morellet... C'est dans ce salon qu'aura lieu le fameux conseil de guerre destiné à perdre Rousseau lors de sa célèbre querelle avec Hume.
L'existence de la salonnière est désormais parfaitement ordonnée : elle consacre ses matinées à la lecture et à sa correspondance ; elle fait quelques courses l'après-midi, puis à partir de six heures, son salon s'ouvre aux visiteurs. Le lieu devient en quelque sorte l'un des laboratoires de l'Encyclopédie. La conversation y est libre, parfois légère, et on peut se livrer à des apartés sans craindre le courroux de son hôtesse.
Rien d'exceptionnel jusque-là, me direz-vous. C'est exact. Sauf qu'à l'âge de 34 ans, Julie n'a pas encore connu l'amour. Et en 1766, son destin va irrémédiablement basculer, jusqu'à la mener à la mort dix ans plus tard, en 1776.
Mourir d'aimer... Difficilement compréhensible pour bon nombre de nos contemporains, davantage habitués aux sentiments légers et aux relations sans lendemain. Il me faudra donc y revenir...
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