mercredi 22 décembre 2010

Les Confessions (5) : Rousseau et l'injustice

Si Rousseau condamne l'hypocrisie des relations mondaines, c'est parce qu'il a longtemps fréquenté les salons parisiens, qu'il a vu à l'oeuvre les orateurs les plus célèbres du moment, et qu'il connaît le sort réservé à ceux qui se révèlent incapables de briller en société. Dans ces lieux de sociabilité, peu importent votre valeur ou vos qualités, seules comptent l'apparence et l'image que vous offrez de votre personne. Dans le microcosme des hôtels Dupin, Geoffrin ou du Deffand, le paraître l'emporte toujours sur l'être.
Et à son grand désespoir, Rousseau ne parvient jamais à se mettre en valeur. Il n'a ni le sens de la  répartie, ni le talent de l'improvisation indispensable pour se faire valoir aux yeux des autres. Et l'indifférence qu'il suscite alors, Rousseau la vit comme une terrible injustice, convaincu qu'il est de ses qualités personnelles.
Au livre I des Confessions, un épisode illustre parfaitement cette supériorité regrettable du paraître sur l'être.   Jean-Jacques se trouve alors en pension chez les Lambercier. Un matin qu'il étudie seul dans une pièce, les peignes de Mlle Lambercier tombent à terre et se cassent. Comme l'explique Rousseau, "les apparences me condamnaient", et malgré ses dénégations, l'enfant est sévèrement corrigé afin qu'il avoue son forfait.
"Qu'on se figure... un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance, qui n'avait pas même l'idée de l'injustice, et qui, pour la première fois, en éprouve une si terrible..."
Le récit dit des peignes cassés vise un double objectif.
- montrer que la vie sociale corrompt l'innocence originelle, que cette 1ère injustice conduit l'enfant à "mentir", à se "mutiner", à se "cacher". La réussite est à ce prix, puisque l'honnêteté ne paie pas...
- authentifier (une fois encore !) Rousseau, montrer que son combat contre l'injustice sociale trouve sa source dans l'enfance du philosophe et non dans une quelconque posture. Le Genevois trouve là une preuve supplémentaire de la sincérité de son engagement. Il précise d'ailleurs quelques lignes plus bas : "le souvenir profond de la première injustice que j'ai soufferte y fut trop longtemps et trop fortement lié pour ne l'y avoir pas beaucoup renforcé."

On retrouve là encore ce lien de cause à conséquence, de l'expérience enfantine aux principes de l'adulte, un raisonnement récurrent dans les six premiers livres de l'autobiographie.

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