Les extraits qui suivent proviennent d'une contribution de l'écrivain Jean-Christian Petitfils au Livre Noir de la Révolution Françaisen (2008).
Il propose ici une relecture très personnelle de la convocation des Etats Généraux.
Qu'allait faire Louis XVI? À un
Conseil élargi, tenu le 27 décembre, les discussions furent particulièrement
vives. Les avis divergeaient parmi les ministres et secrétaires d'État. En
définitive, Louis se prononça en faveur de la double représentation du tiers.
La reine, exceptionnellement conviée au Conseil, qui s'était exclamée au cours
de la crise de mai: « Je suis la reine du tiers, moi! », approuva. Une question
subsistait, celle du vote.
Devait-il se faire par tête ou
par ordre? Il fut décidé que les ordres régleraient eux-mêmes la question.
C'était déjà un progrès, même si les fondements de la société d'ordres
n'étaient pas remis en cause, pas plus, bien entendu, que la souveraineté
royale. Plus importante était l'acceptation par le monarque de la tenue d'états
généraux périodiques, chargés de voter les nouveaux impôts notamment, première
étape d'un système de monarchie constitutionnelle. Pour tenir compte de la
volonté populaire, Louis XVI bousculait jusqu'à la sacro-sainte constitution
coutumière de son royaume, défendue par ses prédécesseurs! Osera-t-on encore
dire qu'il n'était pas un roi réformateur?
Cependant, la situation
économique s'était aggravée. En raison d'un automne et d'un hiver très
rigoureux (le gel avait partiellement paralysé l'économie du royaume), la
misère avait gagné les campagnes, jetant sur les routes des milliers de
désœuvrés et de chômeurs. La disette, voire dans certaines zones la famine,
menaçait. La question du ravitaillement des villes devenait épineuse, malgré le
retour au contrôle des approvisionnements (la « police des grains») dès
septembre 1788 et les achats de farine à l'étranger. Le prix du pain atteindra
le 14 juillet 1789 un record, jamais égalé depuis la mort de Louis XIV. Le
climat social s'alourdissait. Un climat pré-insurrectionnel s'installait,
encouragé par l'attente des états généraux. On ne comptait plus les pillages de
boulangeries, de greniers à sel ou de granges dîmières. Des émeutes de la
misère éclataient un peu partout en province, jusque dans les grandes villes.
La bataille électorale pour la
désignation des députés aux états généraux se déroula cependant dans une totale
liberté d'opinion. Journaux, pamphlets, libelles, brochures proliférèrent. Les
autorités se montrèrent fort libérales, supprimant la censure et autorisant la
réouverture des clubs. Les sociétés de pensée, les loges franc-maçonnes, les
comités mesmériens, sans leur attribuer le rôle primordial que certains ont cru
leur assigner, contribuèrent grandement à la mise en forme des cahiers de doléances
et à la diffusion de modèles pré-rédigés. L'historien Augustin Cochin l'a fort bien
montré. La plus importante des associations politiques était la « Société des
Trente », fer de lance du parti national, qui comptait dans ses rangs les ducs
de La Rochefoucauld, de Luynes, de Montmorency-Luxembourg, le marquis de La
Fayette, Mgr de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun, le vicomte de Mirabeau,
Condorcet, les frères Lameth, le président Le Peletier de Saint-Fargeau,
l'avocat général Hérault de Séchelles, le conseiller Du Port ...
Dans la foisonnante littérature
politique qui circulait à cette époque, deux ouvrages connurent un franc succès
: les Mémoires sur les états généraux
du comte d'Antraigues, rousseauiste et violemment anti-absolutiste, qui représentait
le courant aristocratique et réactionnaire, nostalgique de la féodalité, et Qu'est-ce que le tiers état?, paru
anonymement au début de 1789 et dont l'auteur était l'abbé Sieyès. Ce dernier
brûlot occupe une place capitale dans l'histoire de la pensée politique en ce
qu'il énonce avec une clarté inégalée le principe de la souveraineté nationale.
On connaît la formule lapidaire par laquelle il commence:
« Qu'est-ce que le tiers état? Tout.
Qu'a-t-il été jusqu'à présent
dans l'ordre politique? Rien.
Que demande-t-il ? À y devenir
quelque chose. »
Formule percutante, mais inexacte
si l'on poursuit la lecture de l'opuscule: Sieyès, en réalité, déniait toute
représentativité aux deux autres ordres constitutifs de la nation, le clergé et
la noblesse.
« Le tiers est la nation tout
entière », martelait-il. Ce sera donc à lui d'être le « tout ». « Le tiers
seul, dira-t-on, ne peut pas former les états généraux. Eh bien, tant mieux !
Il composera une assemblée nationale. » L'abbé posait ainsi la question de la
souveraineté nationale, détentrice non seulement du pouvoir législatif, mais
aussi du pouvoir constituant, ce qui signifiait implicitement la subordination totale
du monarque à la volonté politique exprimée par l'«assemblée nationale» à
venir. Jusque-là, la souveraineté royale tirait sa puissance et sa
justification - en dehors, bien sûr, de l'affirmation de son origine divine -
du monopole du pouvoir politique qu'il assumait face à la diversité des corps
et des ordres. La souveraineté nationale, exprimée par Sieyès, était exclusive
de la souveraineté monarchique.
Louis XVI, évidemment, ne pouvait
faire sienne cette théorie.
Il considérait que les états
généraux représentaient la diversité des intérêts du pays et non les opinions
ou les idées politiques. En aucune manière, même s'il acceptait désormais leur
consultation périodique, il ne pouvait voir en eux autre chose qu'un organe consultatif
destiné à éclairer ses décisions. Selon la bonne tradition monarchique, la
plénitude des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire lui revenait. Lui
seul faisait corps avec la nation.
Il escomptait donc que cette
diversité des intérêts à représenter apparaîtrait au cours de la campagne
électorale. C'est la raison pour laquelle, contrairement à Marie de Médicis au
moment des états de 1614, il n'intervint pas dans la bataille des candidats ou
l'élaboration d'un programme. Il ne s'était évidemment pas rendu compte qu'il
avait perdu le monopole du politique et que la bataille avait changé de front.
« Il ne s'agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la
Constitution ; c'est une guerre entre le tiers et les deux autres ordres »,
observait le journaliste Mallet du Pan en janvier 1789.
Pourtant, la situation ne
paraissait nullement alarmante. La brochure de l'abbé Sieyès n'énonçait qu'un
point de vue minoritaire et fort radical que les autres membres du parti
national ne reprenaient pas encore à leur compte. Des quelque 60 000 cahiers de
doléances ressortait une aspiration générale à la liberté et au respect de la
propriété. Beaucoup souhaitaient la suppression des lettres de cachet, la
réunion périodique des états généraux, le consentement de l'impôt et de
l'emprunt par la représentation nationale ... Tout cela était d'ailleurs plus
ou moins acquis, hormis peut-être la disparition pure et simple de la justice
retenue du roi (les lettres de cachet), qui permettait de régler sans publicité
ni retard des questions délicates, touchant parfois à l'honneur des familles.
En revanche, personne ne remettait en cause le caractère monarchique du régime.
Nombre de cahiers qualifiaient Louis XVI de « roi sauveur », « père du peuple, régénérateur
de la France », «monarque libérateur », «meilleur des rois» vers qui
convergeait un « transport d'amour et de reconnaissance». .. Globalement, le
peuple souhaitait ardemment une alliance entre la Couronne et le tiers, contre
les aristocraties.
(à suivre)
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