"L'honneur que m'a fait Votre Majesté de m'approcher de sa personne et de me croire capable d'être un des instruments dont elle peut se servir pour exécuter quelques-unes des grandes choses qu'elle entreprend est pour moi d'un si grand prix que je n'ai plus qu'à lui demander de n'y point joindre d'autres récompenses...".
Volontiers flagorneur à l'égard de son bienfaiteur, Maupertuis refuse prudemment la pension de 12000 livres que lui propose Frédéric II pour s'installer à Berlin. Une telle gratification ferait de lui un traître aux yeux des académiciens parisiens, et surtout, elle attiserait les jalousies des quelques savants réunis à Berlin.
Maupertuis maître du monde |
Sitôt achevés les plans de la nouvelle Académie, Maupertuis doit faire face à ce mal qui minera tous les intellectuels français éloignés de Paris : l'ennui...
A son ami Algarotti, il écrit : "Je suis blasé par les beautés d'ici..." (janvier 1741), "j'ai écrit ces jours passés au roi (lire Louis XV) pour le prier de trouver bon que je retourne en France..." (mai 1741). Toujours aussi avide d'honneurs et de gloire, Maupertuis songe déjà à son retour prochain à Paris, et plus encore au projet qu'il ambitionne depuis quelque temps : devenir le secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences en lieu et place du terne Mairan.
En attendant, le voilà en Silésie, où Frédéric guerroie contre les Autrichiens. C'est là, à la bataille de Mollwitz, que Maupertuis va une nouvelle fois se couvrir de ridicule (voir portrait ci-dessus). Pour l'occasion, il s'est pourtant confectionné un très bel et très seyant uniforme bleu d'officier prussien et le voilà chevauchant en commandant d'armée au côté du roi Frédéric ! La mêlée s'engage bientôt, et lorsque s'éteint le fracas des armes, Maupertuis a disparu ! Qu'est-il devenu ? se demande le roi victorieux. L'attente va durer plusieurs jours, à tel point que l'ambassadeur de France à Berlin se voit contraint d'annoncer la mort du savant !
l'armée prussienne lors de la bataille de Mollwitz |
En France, son ancienne maîtresse Mme du Châtelet se lamente déjà : "C'est une grande perte pour la France et pour l'Académie". Et Voltaire d'ajouter dans la foulée : "Mon Dieu, quelle fatale destinée ! Qu'allait-il faire dans cette galère ?"( à l'ambassadeur Valori, le 2 mai).
Alors qu'on le croyait mort, Maupertuis réapparaît soudain, et si le récit de Voltaire peut sembler suspect, il suffit pourtant à couvrir le savant de ridicule : en effet, au cours de la bataille, la monture de Maupertuis se serait emballée, et il se serait alors retrouvé bien malgré lui au milieu des troupes ennemies, où des paysans l'auraient dépouillé de ses biens !
"Il fut dépouillé par les paysans dans cette maudite Forêt Noire où il était comme Don Quichotte faisant pénitence. On le mit tout nu ; quelques housards, dont un parlait français, eurent pitié de lui, chose peu ordinaire aux housard. On lui donna une chemise sale et on le mena au Comte Neipperg lui prêta cinquante louis... Voilà un homme né pour les aventures." (Voltaire au même Valori). Si le témoignage de Voltaire est caustique, celui du roi Frédéric va achever de ruiner la réputation de Maupertuis :
"Vous ignorez que Maupertuis
Cet aplatisseur de Terre,
De Berlin nous avait suivis
Pour voir et faire la guerre,
Mais hélas ! les hussards l'ont pris.
Il crut qu'aux champs de Silésie
Comme aux glaçons de Laponie
On ne courait aucun danger.
Toute une cohorte ennemie
En tapinois vint le charger.
L'algèbre ni l'astronomie
Lors ne purent le dégager." (Fréderic à Voltaire, mai 1741).
Fin mai, lorsque Maupertuis quitte enfin Berlin pour revenir à Paris, il sait que le récit de ses mésaventures s'est diffusé comme une traînée de poudre dans les salons du Faubourg St-Honoré. "Chargé de ridicule et d'avilissement", il se doute également que ses "ennemis vont avoir bien de quoi triompher" (lettre à Algarotti, juin 1741).
Hélas pour lui, la réalité sera pire encore que ses craintes les plus noires... (à suivre)
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