samedi 2 novembre 2013

Le livre noir de la Révolution Française (3)

par Pierre Assouline, journaliste et romancier français


Comment des historiens chevronnés à la réputation aussi établie que Emmanuel Le Roy-Ladurie et Jean Tulard ont-ils pu la mettre en péril en se laissant embarquer dans cette galère ? Plus on s’enfonce dans la lecture du Livre noir de la Révolution française (882 pages, 44 euros, éditions du Cerf), moins on comprend. Même si le premier s’est cantonné à traiter du climat à l’époque, et le second de Napoléon et la Révolution. Et Jean-Christian Petitfils, Stéphane Courtois et quelques autres, savaient-ils au juste où ils mettaient les pieds et sous quel pavillon ils allaient voguer ? On ignore si le postulat de l’entreprise était aussi clair au départ qu’il l’est à l’arrivée : rien moins que présenter la France de 1789 comme un pays coupé en deux, méchants révolutionnaires athées contre bons catholiques. Une vision binaire et manichéenne qui voudrait se frayer un chemin dans un air du temps favorable à la repentance nationale… On la croyait révolue, l’historiographie ayant fait des progrès depuis Louis de Bonald et Augustin Cochin. Les initiateurs de ce gros ouvrage collectif publié sous la direction de Renaud Escande, dominicain et éditeur au Cerf, l’ont voulu démystificateur et iconoclaste. Ils ont manifestement lu les travaux de François Furet mais ils ont poussé sa réflexion à de tels extrêmes qu’elle en ressort dénaturée puisqu’ils réduisent la Révolution à un évènement exclusivement violent et sanguinaire. Il paraît que cela plaît si l’on en juge par les réimpressions dont on se félicite sur le site de l’Union royaliste Bretagne Vendée militaire.
Entendons-nous bien : le révisionnisme historique est une bonne chose. Saine même et indispensable. Sur tous les sujets sans exclusive. Encore faut-il que la remise en question ne soit pas systématique jusqu’à tourner à l’absurde. Car il ressort de cette critique catholique de la Révolution qu’il faut tout jeter, le bébé et l’eau du bain. Au fond, ils ne détestent rien tant que les catholiques qui ont osé conserver alors le meilleur des Lumières pour critiquer la monarchie. Ici, on peut les chercher en vain, l’abbé Grégoire et les autres, dans le bilan positif de la fin du XVIIIème siècle. “Ce livre oublie même de rappeler que la Révolution française a permis la régénération du catholicisme Français ! Ce sont les catholiques qui le disent : Joseph de Maistre affirmant que cette Révolution a participé du plan de Dieu. Cette épreuve aurait fait rejaillir le sang neuf catholique” souligne l’un des meilleurs spécialistes de la période, Jean-Clément Martin dans sa critique implacable de ce “livre noir” bâclé à l’appareil critique défaillant et à la méthodologie sans rigueur. Et l’historien de dénoncer les nombreux abus et manipulations idéologiques qu’il y a repérés : Saint-Just assimilé à un fasciste, la Révolution présentée comme un mouvement antisémite, la Terreur comparée à celles de Staline, Mao et Pol Pot, 1789 et suivantes comme terreau des totalitarismes, la théorie du complot mise en avant… On a alors l’étrange impression d’être revenu longtemps en arrière, en des temps d’obscurantisme que l’on croyait révolus.
Il en faudrait davantage pour en finir avec la Révolution. “N’importe quoi !” s’indigne l’historienne Mona Ozouf. Sa réflexion vise le fond mais elle pourrait se limiter au plan :”Les faits” (des notices historiques), “Le génie” (florilège des penseurs de la contre-Révolution), “Textes inédits” (une anthologie) sans oublier un ahurissant “Divers” où l’on s’est débarrassé de tout ce qui n’entrait pas ailleurs ! Même si l’on connaît déjà bien ses vues sur la question, on croit tout de même se souvenir que Pierre Chaunu a été d’ordinaire plus nuancé, il y a longtemps, il est vrai. On a du mal à le voir se mêler à un ensemble d’où il ressort qu’au fond, la Révolution française a été pour l’essentiel la matrice du Goulag et des camps d’extermination nazis. Quoique, à la réflexion, Chaunu ayant en 1989 réduit la Révolution à “rancune, ignorance, fatuité, bêtise” ainsi que ce livre le rappelle dès l’entame, il y est tout à fait à sa place. Nombre de collaborateurs de l’ouvrage, familiers des nébuleuses nationalistes et monarchistes, également. A quand un livre collectif ni noir ni blanc pour rendre la Révolution française à sa complexité ?

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