par Pierre Assouline, journaliste et romancier français
Comment des historiens chevronnés à la réputation aussi établie que
Emmanuel Le Roy-Ladurie et Jean Tulard ont-ils pu la mettre en péril en
se laissant embarquer dans cette galère ? Plus on s’enfonce dans la
lecture du Livre noir de la Révolution française (882 pages, 44 euros,
éditions du Cerf), moins on comprend. Même si le premier s’est cantonné à
traiter du climat à l’époque, et le second de Napoléon et la
Révolution. Et Jean-Christian Petitfils, Stéphane Courtois et quelques
autres, savaient-ils au juste où ils mettaient les pieds et sous quel
pavillon ils allaient voguer ? On ignore si le postulat de l’entreprise
était aussi clair au départ qu’il l’est à l’arrivée : rien moins que
présenter la France de 1789 comme un pays coupé en deux, méchants
révolutionnaires athées contre bons catholiques. Une vision binaire et
manichéenne qui voudrait se frayer un chemin dans un air du temps
favorable à la repentance nationale… On la croyait révolue,
l’historiographie ayant fait des progrès depuis Louis de Bonald et
Augustin Cochin. Les initiateurs de ce gros ouvrage collectif publié
sous la direction de Renaud Escande, dominicain et éditeur au Cerf,
l’ont voulu démystificateur et iconoclaste. Ils ont manifestement lu
les travaux de François Furet mais ils ont poussé sa réflexion à de tels
extrêmes qu’elle en ressort dénaturée puisqu’ils réduisent la
Révolution à un évènement exclusivement violent et sanguinaire. Il
paraît que cela plaît si l’on en juge par les réimpressions dont on se
félicite sur le site de l’Union royaliste Bretagne Vendée militaire.
Entendons-nous bien : le révisionnisme historique est une
bonne chose. Saine même et indispensable. Sur tous les sujets sans
exclusive. Encore faut-il que la remise en question ne soit pas
systématique jusqu’à tourner à l’absurde. Car il ressort de cette
critique catholique de la Révolution qu’il faut tout jeter, le bébé et
l’eau du bain. Au fond, ils ne détestent rien tant que les catholiques
qui ont osé conserver alors le meilleur des Lumières pour critiquer la
monarchie. Ici, on peut les chercher en vain, l’abbé Grégoire et les
autres, dans le bilan positif de la fin du XVIIIème siècle. “Ce livre
oublie même de rappeler que la Révolution française a permis la
régénération du catholicisme Français ! Ce sont les catholiques qui le
disent : Joseph de Maistre affirmant que cette Révolution a participé du
plan de Dieu. Cette épreuve aurait fait rejaillir le sang neuf
catholique” souligne l’un des meilleurs
spécialistes de la période, Jean-Clément Martin dans sa critique
implacable de ce “livre noir” bâclé à l’appareil critique défaillant et à
la méthodologie sans rigueur. Et l’historien de dénoncer les nombreux
abus et manipulations idéologiques qu’il y a repérés : Saint-Just
assimilé à un fasciste, la Révolution présentée comme un mouvement
antisémite, la Terreur comparée à celles de Staline, Mao et Pol Pot,
1789 et suivantes comme terreau des totalitarismes, la théorie du
complot mise en avant… On a alors l’étrange impression d’être revenu
longtemps en arrière, en des temps d’obscurantisme que l’on croyait
révolus.
Il en faudrait davantage pour en finir avec la Révolution.
“N’importe quoi !” s’indigne l’historienne Mona Ozouf. Sa réflexion vise
le fond mais elle pourrait se limiter au plan :”Les faits” (des notices
historiques), “Le génie” (florilège des penseurs de la
contre-Révolution), “Textes inédits” (une anthologie) sans oublier un
ahurissant “Divers” où l’on s’est débarrassé de tout ce qui n’entrait
pas ailleurs ! Même si l’on connaît déjà bien ses vues sur la question,
on croit tout de même se souvenir que Pierre Chaunu a été d’ordinaire
plus nuancé, il y a longtemps, il est vrai. On a du mal à le voir se
mêler à un ensemble d’où il ressort qu’au fond, la Révolution française a
été pour l’essentiel la matrice du Goulag et des camps d’extermination
nazis. Quoique, à la réflexion, Chaunu ayant en 1989 réduit la
Révolution à “rancune, ignorance, fatuité, bêtise” ainsi que ce livre le
rappelle dès l’entame, il y est tout à fait à sa place. Nombre de
collaborateurs de l’ouvrage, familiers des nébuleuses nationalistes et
monarchistes, également. A quand un livre collectif ni noir ni blanc
pour rendre la Révolution française à sa complexité ?
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