samedi 30 novembre 2013

Michel Cuny : Voltaire, l'or au prix du sang (1)

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 Voici les premières pages de Voltaire : l'or au prix du sang, excellent ouvrage dans lequel Michel Cuny nous fait découvrir un Voltaire dont on ignore tout...


Telle qu’elle nous a été restituée par Theodore Besterman, la Correspondance de Voltaire nous livre très vite certains éléments essentiels qui ont marqué la vie du porte-parole le plus ancien, le plus volubile et le plus qualifié de la grande bourgeoisie française en voie de constitution et d’accession au pouvoir suprême.

Alors que nous n’en sommes encore qu’à feuilleter avec précaution les premières pages du premier volume d’une édition qui en compte treize (tous plus épais les uns que les autres), quatre lettres de 1722–l’auteur n’a que 28 ans–nous sautent déjà au visage.

S’agissant d’autant de preuves de ce que le dénommé Voltaire ne peut plus désormais être considéré autrement que comme auteur (par la plume) et complice (par les revenus qu’il en a tiré pendant près de soixante ans) de divers crimes contre l’humanité, les extraits de ses lettres, s’ils sont donnés ici à profusion, sont une invitation pressante à aller voir de près l’ensemble de sa Correspondance : chaque page paraît pouvoir s’offrir comme une piste supplémentaire pour ramener le prétendu grand homme à une petitesse humaine dont la découverte menace de produire en nous une sorte de consternation... Se peut-il qu’on (on?) ait, à ce point, réussi à nous intoxiquer, toutes et tous ?...

Mais voilà, à vingt-huit ans, Voltaire est déjà en situation de patauger dans ceci : l’esclavage, la guerre et le reste, et de savoir que c’est par ce chemin que passe la route de la fortune... Pas que de lui, petit bonhomme, mais de toute la belle et bonne et grande bourgeoisie.

Eh bien, allons-y bravement...

À la marquise de Bernières, [avril 1722] :

«Pour moi, Madame, qui ne sais point de compagnie plus aimable que la vôtre et qui la préfère même à celle des Indes quoique j’y aie une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutôt au plaisir d’aller vivre avec vous à votre campagne, que je ne suis occupé du succès de l’affaire que nous entreprenons. La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre heureux, et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie, ce serait autant de peine d’épargnée.»



Au cardinal Dubois,le 28 [mai 1722]:

«J’envoie à Votre Éminence un petit mémoire de ce que j’ai pu déterrer touchant le juif dont j’ai eu l’honneur de vous parler. Si Votre Éminence juge la chose importante, oserai-je vous représenter qu’un juif, n’étant d’aucun pays que de celui où il gagne de l’argent, peut aussi bien trahir le roi pour l’empereur que l’empereur pour le roi ?»



«Je peux plus aisément que personne au monde passer en Allemagne sous le prétexte d’y voir Rousseau [Jean-Baptiste et non pas Jean-Jacques] à qui j’ai écrit il y a deux mois que j’avais envie d’aller montrer mon poème [Henri IV] au prince Eugène et à lui. J’ai même des lettres du prince Eugène dans l’une desquelles il me fait l’honneur de me dire qu’il serait bien aise de me voir. Si ces considérations pouvaient engager Votre Éminence à m’employer à quelque chose, je la supplie de croire qu’elle ne serait pas mécontente de moi et que j’aurais une reconnaissance éternelle de m’avoir permis de la servir.»





« Mémoire touchant Salomon Lévi : Salomon Lévi, Juif, natif de Metz, fut d’abord employé par M. de Chamillart [ministre de la Guerre] ; il passa chez les ennemis avec la facilité qu’ont les Juifs d’être admis et d’être chassés partout. Il eut l’adresse de se faire munitionnaire de l’armée impériale en Italie ; il donnait de là tous les avis nécessaires à M.le maréchal de Villeroi ; ce qui ne l’empêchera pas d’être pris à Crémone. Depuis, étant dans Vienne, il eut des correspondances avec le maréchal de Villars. Il eut ordre de M. de Torcy, en 1713, de suivre milord

Marlborough, qui était passé en Allemagne pour empêcher la paix, et il rendit un compte exact de ses démarches. Il fut envoyé secrètement par M. Le Blanc [autre ministre de la Guerre], à Siertz, il y a dix-huit mois, pour une affaire prétendue d’État, qui se trouva être une billevesée.»



«Il compte faire des liaisons avec Oppenhemer et Vertembourg, munitionnaires de l’empereur, parce qu’ils sont tous deux juifs comme lui.»



À Nicolas-ClaudeThieriot, [novembre 1722?] :

«Je voudrais bien que quelque bon emploi vous eût nouvellement occupé et empêché de penser à moi. Je vous pardonnerais votre négligence par le plaisir que j’aurais d’apprendre que MM.Pâris auraient enfin fait quelque chose pour vous



Au même, [vers le 1er décembre 1722] :

« Raillerie à part, j’écrirai une épître chagrine aux Pâris s’ils ne vous donnent rien.»



Si nous ne savions pas que la haine vouée par Voltaire à l’humanité dans son ensemble sait se glisser dans le détail des diverses conditions, des diverses ethnies, etc., notre regard serait retenu par cette caisse de “juifrerie” qui annonce toutes celles du même ordre qu’il lui sera donné de croiser sur son parcours, et généralement pour s’en éloigner après s’y être quelque peu ébouillanté. Mais l’antisémitisme de Voltaire, s’il ne peut que nous étonner par la splendeur qu’il revêt chez cet apôtre de la tolérance (les armes à la main), n’est qu’une rubrique parmi d’autres : les jésuites, les molinistes, les jansénistes, les réformés, les musulmans, les Turcs, les Welches (c’est-à-dire : nous autres, Français) et tant d’autres, n’ont aucune raison de se réjouir trop vite. Effectivement, rassurons-nous, il y en aura pour tout le monde.

Pour tout le monde, en raison du but suprême que monsieur de Voltaire et ses semblables ne devront jamais perdre de vue, soit “la grande affaire et la seule qu’on doive avoir : vivre heureux”, ou encore, comme nous verrons cela écrit ailleurs, “avoir du plaisir”, ou, définitivement mieux, “jouir”.

Beau programme dont la plupart de ceux et celles que nous aimons sont, avec nous, les... jouets. Car, la façon dont tout ce beau monde entend sa jouissance est tout à fait spécifique. Cela s’appelle l’orgie de sang, et nous y retrouverons, pour finir et en direct, le Voltaire avec sa catin, nous voulons dire sa Catherine II, impératrice de Russie. Il n’y avait donc pas que Sade –dans le réel, rien qu’un enfant de chœur–, il y avait Voltaire, le nec plus ultra de l’intelligence et du goût français, un modèle pour les enfants de sept à soixante-dix-sept ans. C’est bien pourquoi, il se pourrait que nous ayons, nous aussi, un peu de sang sur les mains : la grande bourgeoisie aura été notre vraie maîtresse d’école et, à vue de nez, cela n’est certes pas près de finir.

Comme on l’a sans doute déjà remarqué, grand écrivain, le bonhomme, et qui ne fait pas forcément dans la dentelle avec les dames qu’il chérit, puisque nous voici avec votre “compagnie

que je préfère à “celle des Indes”... Mais madame de Bernières ne nous en voudra pas de nous intéresser surtout à la compagnie... des Indes, qui n’aura jamais manqué de charmes : ça s’appelle la traite des Noirs et Voltaire... y avait une partie de son bien... dès 1722, c’est lui qui nous le dit. Voilà qui est tellement succulent que le papier de la Correspondance paraît flamber sous nos doigts. C’est sûr, il va y avoir du sport.

Puisque, ensuite, nous avons entr’aperçu Dupont ... Non, pardon, Dubois... Cardinal ? Oui, cardinal... Mais pas que cardinal, non, non, non. Ou, alors, cardinal façon Richelieu, Mazarin, de Fleury, c’est-à-dire toujours tout près de la Couronne ou de ce qui en tient lieu ... Le petit gars de 28 ans rôde ainsi sur ce territoire qui va de l’Église à la Monarchie et vice-versa; il y rôde avec le langage du malin, et cela susurre que le juif (cosmopolite) balance, lui, selon son intérêt le plus personnel, entre le roi et l’empereur (germanique), et que, si vous vouliez, je pourrais, moi aussi...

Cette affaire de double-jeu ne semble pas avoir abouti–pas plus que la caisse de juifrerie. Mais nous ne tarderons pas à voir que la trahison façon Voltaire, entre Frédéric II de Prusse et Louis XV de France, aura atteint des niveaux de rentabilité assez exceptionnels. Prenons garde cependant de ne pas nous laisser emporter : la route sera longue ; ménageons nos efforts.

Or, dans le Mémoire touchant Salomon Lévi, nous touchons du doigt, nous, un élément essentiel : Salomon Lévi, attaché au ministre de la Guerre, Chamillart, aura été “munitionnaire de l’armée impériale (chez l’ennemi donc) en Italie” et espion du maréchal de Villeroi : un munitionnaire sait tout et doit tout savoir sur les mouvements de troupes, etc. Salomon Lévi aura également été en situation de “faire des liaisons” avec d’autres “munitionnaires” de l’empereur. Disons-le immédiatement, Voltaire fera aussi bien, Voltaire fera même beaucoup mieux. La

guerre, c’est vraiment sa passion, une passion couronnée des plus extrêmes succès : l’argent (l’or) à flots, mais aussi les trépidations de toute sa machine, comme dirait l’autre.

En attendant, les deux qui jouissent, eux aussi, mais de façon plantureusement bourgeoise, ce sont les frères Pâris. Ils pointent le bout du nez dans les deux lettres à Thieriot : à gauche, le spécialiste des vivres aux armées, Pâris-Duverney ; à droite, son frère, le banquier Pâris de Montmartel. La réussite fracassante qu’ils préparent pour la France (et on pourrait dire : indirectement pour Voltaire) n’est encore qu’un bébé d’un an tout juste aux derniers jours de 1722.

Vingt-trois ans plus tard, devenu madame de Pompadour, ils le déposeront tout doucement, ce beau bébé, dans la couche de Louis XV, de sorte que, après onze ans encore, les Pâris etVoltaire l’auront enfin leur guerre, cette guerre (de Sept-Ans) qui va ruiner définitivement le royaume de France... Et riche, et riche, le poète de la fleur au fusil !... face à une économie française qui s’effondrait sous les impôts de toutes sortes (la dette de guerre), tandis que lui, à Ferney, ne payait pas d’impôts (grand merci ! au duc de Choiseul, son ami).

Pour en finir avec 1722, remarquons seulement que Voltaire est en situation de demander aux Pâris le service d’employer son ami Thieriot. Cela paraît dû à une

Ode sur la chambre de justice, rédigée par lui et à leur demande quelques années plus tôt, pour assurer publiquement leur défense face à des accusations de malversation qui menaçaient de leur coûter une partie de l’énorme fortune accumulée à l’occasion des guerres désastreuses de la fin du règne de Louis XIV.
Michel Cuny



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