Née en 1732, Julie de Lespinasse aura
attendu les dernières années de son existence pour découvrir l'amour.
D'abord avec le marquis de Mora, fils de l'ambassadeur d'Espagne à Paris
; puis, pendant l'absence de son amant parti soigner ses poumons en
Espagne, elle cède aux avances du colonel Guibert, un aventurier qui lui
fait goûter "la coupe du délicieux poison".
Mora succombe à la maladie au moment
même où Julie se donne à Guibert. La jeune femme ne s'en remettra
jamais... D'autant qu'un an plus tard, Guibert lui annonce son prochain
mariage avec une jeune fille de 17 ans, confortablement dotée.
(pour lire le récit détaillé de ce drame amoureux, c'est ici)
Nous sommes en 1775. Il reste à Julie moins d'un an à vivre...
Vous trouverez ci-dessous quelques-unes des ultimes lettres envoyées à Guibert, et notamment la dernière d'entre elles, datée de mai 1776.
( pour lire le précédent article sur le même sujet, c'est ici)
Lettre CLV
Mon ami, je suis malade, bien
souffrante.Mais aussi je suis folle, depuis deux jours. Je ne sais ce qu'est
devenue mon âme, c'est un. désert : je n'y trouve plus ni sentiment, ni passion
, mais des regrets déchirants, une parfaite douleur, l'étonnement d'exister
encore, la sensibilité et l'égarement des premiers moments où la mort
impitoyable m'enleva ce que seul m'avait fait chérir la vie. Ah, mon dieu?
pourquoi m'empêchâtes-vous de le suivre! pourquoi me condamnâtes-vous à une
mort si lente et si douloureuse? Voilà, mon ami, les pensées qui ont rempli ma
vie depuis hier au soir.
Lettre CLXII
Je ne veux pas, mon ami, que,
dans le peu de jours qui me restent à vivre , vous puissiez en passer un sans
vous souvenir que vous êtes aimé à la folie par la plus malheureuse de toutes
les créatures. Oui, mon ami, je vous aime. Je veux que cette triste vérité vous
poursuive , qu'elle trouble votre bonheur; je veux que le poison qui a défendu
ma vie, qui la consume, et qui sans doute la terminera, répande dans votre âme
cette sensibilité douloureuse , qui du moins vous disposera à regretter ce qui
vous a aimé avec le plus de tendresse et de passion. Adieu mon ami. Ne m'aimez
pas, puisque cela serait contre votre devoir, et contre votre volonté; mais
souffrez que je vous aime, et que je vous le redise cent fois, mille fois, mais
jamais avec l'expression qui répond à ce que je sens.
LETTRE CLXXVIII.
Mon ami, vous m'avez vue bien
faible, bien malheureuse. Ordinairement votre présence suspend mes maux, et
détourne mes larmes. Aujourd'hui je succombe, et je ne sais lequel, de mon âme
ou de mon corps , me fait le plus de mal. Cette disposition est si profonde,
que je viens de refuser hes consolations de l'amitié, et que j'ai préféré
d'être seule, de vous dire un mot, de me coucher, à la douceur et à la
tristesse de me plaindre et de faire partager ma douleur. — Je viens de me
souvenir que vous m'avez dit que vous aimiez à rester chez vous les mardis et
les jeudis. Votre bonté vous l'a fait oublier, mais je vous rends votre parole.
Mon ami, jamais je n'ai moins désiré que vous me tissiez des sacrifices Hélas!
vous voyez si je suis en état de jouir de rien ! je vous crie seulement: ne
déchirez pas ma plaie. Voilà où se bornent tous mes désirs. (…) Adieu.—Je n'ai
pas, en vérité, la force de tenir ma plume: toutes mes facultés sont employées
à souffrir. Ah! je suis arrivée à ce terme de la vie, où il est presque aussi
douloureux de mourir que de vivre. Je crains trop la douleur ; les maux de mon
âme ont épuisé toutes mes forces. Mon ami, soutenez-moi ; mais ne souffrez pas
: car cela deviendrait mon mal le plus sensible.
LETTRE CLXXX.
Quatre heures, 1776.
Vous êtes trop bon, trop
aimable, mon ami. Vous voudriez ranimer, soutenir une âme qui succombe enfin
sous le poids et la durée de la douleur. Je sens tout le prix de votre
sentiment; mais je ne le mérite plus. Il a été un temps où être aimée de vous
ne m'auroit rien laissé à désirer. Hélas! peut-être cela eût-il éteint mes
regrets, ou du moins eu aurait adouci l'amertume ; j'aurais voulu vivre.
Aujourd'hui je ne veux plus que mourir. Il n'y a point de dédommagement, point
d'adoucissement à la perte que j'ai faite ; il n'y fallait pas survivre. Voilà, mon ami, le seul sentiment d'amertume que je trouve dans mon âme contre
vous. —Je voudrois bien savoir votre sort, je voudrais bien que vous fussiez
heureux. — J'ai reçu votre lettre à une-heure; j'avais une fièvre ardente. Je
ne puis vous exprimer ce qu'il m'a fallu de peine et de temps pour la lire : je
ne voulais pas différer jusqu'aujourd'hui, et cela me donnait presque le
délire. — J'attends de vos nouvelles ce soir. Adieu, mon ami. Si jamais je
revenais à la vie, j'aimerais encore à l'employer à vous aimer; mais il n'y a
plus de temps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...