Ste Beuve rapporte ensuite le récit que fait le duc de Liancourt de la mort de Louis XV.
MÉMOIRES SUR LA MALADIE
LOUIS XV
La maladie d’un roi, d’un roi qui a une maîtresse, et une c.... pour maîtresse; d’un roi dont les ministres et les courtisans n’existent que par cette maîtresse, dont les enfants sont opposés d’intérêts et d’inclination à cette maîtresse, est une trop grande époque pour un homme qui vit et qui est destiné à vivre à la Cour, pour ne pas mériter toutes ses observations. C’est d’ailleurs un événement à peu près unique dans la vie, et qui sert plus qu’aucun autre à la connaissance parfaite de cette classe d’hommes qu’on appelle courtisans. Destiné, comme je l’étais, à voir un jour le roi malade, je m’étais toujours proposé de suivre avec la plus grande attention toute la scène de sa maladie, et tous les différents mouvements qu’elle devait produire. L’idée que j’avais avec toute la Cour de l’effet que ferait sur le roi le second accès de fièvre, rendait à ma curiosité ce moment intéressant. Il me l’était d’ailleurs encore plus par le renvoi, que je regardais comme certain, de sa maîtresse, et par la chute d’un ministre, et d’un ministre odieux, qui devait être la suite nécessaire du renvoi de cette maîtresse. La santé du roi, le soin qu’il en avait, sa vigueur, paraissaient devoir éloigner cet événement, quand tout à coup il arriva au moment où on s’y attendait le moins.
Le mercredi 27 avril au matin,
le roi, étant à Trianon de la veille, se sentit incommodé
de douleurs de tête, de frissons et de courbature. La crainte qu’il
avait de se constituer malade, ou l’espérance du bien que pourrait
lui faire l’exercice, l’engagea à ne rien changer à l’ordre
qu’il avait donné la veille. Il partit en voiture pour la chasse;
mais, se sentant plus incommodé, il ne monta pas à cheval,
resta en carrosse, fit chasser, se plaignit un peu de son mal, et revint
à Trianon vers les cinq heures et demie, s’enferma chez Mme Du Barry,
où il prit plusieurs lavements. Il n’en fut guère soulagé,
et quoiqu’il ne mangeât rien à souper, et qu’il se couchât
de fort bonne heure, il fut plus tourmenté pendant la nuit des douleurs
qu’il avait ressenties pendant le jour, et auxquelles se joignirent des
maux de reins. Lemonnier fut éveillé
pendant la nuit; il trouva de la fièvre. L’inquiétude et
la peur prirent au roi; il fit éveiller Mme Du Barry.
Cependant cette inquiétude du roi ne paraissait encore point fondée, et Lemonnier, qui connaissait sa disposition naturelle à s’effrayer de rien, regardait cette inquiétude plutôt comme un effet ordinaire d’une telle disposition que comme le présage d’une maladie. Il voyait avec les mêmes yeux les douleurs dont le roi se plaignait, et en rabattait dans son esprit les trois quarts, toujours par le même calcul. Voilà ce qui arrive toujours aux gens douillets; ils sont comme les menteurs à force d’avoir abusé de la crédulité des autres, ils perdent le droit d’être crus quand ils devraient réellement l’être. Mme Du Barry, qui connaissait le roi comme Lemonnier, pensait comme lui sur la réalité des douleurs dont le roi se plaignait et s’inquiétait, mais regardait comme un avantage pour elle les soins qu’elle pourrait lui rendre, et l’occupation qu’elle pourrait lui montrer avoir de lui. La bassesse de M. d’A.....la servit parfaitement dans cette circonstance. Ce plat gentilhomme de la chambre, au mépris de son devoir, renonça au droit qu’il avait d’entrer chez le roi, d’en savoir des nouvelles lui-même, de le servir, pour empêcher d’entrer ceux qui avaient le même droit que lui, et pour laisser le roi malade passer honteusement la journée à un quart de lieue de ses enfants, entre sa maîtresse et son valet de chambre. C’est là où commence l’histoire des plates et viles bassesses de M. d’Aumont; elles tiendront quelque place dans ce récit. Il est de cette lâche espèce d’hommes qui n’ont pas même le courage d’être bas et vils pour leurs intérêts, et dont la platitude est toujours au service de celui qui a l’apparence de la faveur.
Mme du Barry |
Cependant cette inquiétude du roi ne paraissait encore point fondée, et Lemonnier, qui connaissait sa disposition naturelle à s’effrayer de rien, regardait cette inquiétude plutôt comme un effet ordinaire d’une telle disposition que comme le présage d’une maladie. Il voyait avec les mêmes yeux les douleurs dont le roi se plaignait, et en rabattait dans son esprit les trois quarts, toujours par le même calcul. Voilà ce qui arrive toujours aux gens douillets; ils sont comme les menteurs à force d’avoir abusé de la crédulité des autres, ils perdent le droit d’être crus quand ils devraient réellement l’être. Mme Du Barry, qui connaissait le roi comme Lemonnier, pensait comme lui sur la réalité des douleurs dont le roi se plaignait et s’inquiétait, mais regardait comme un avantage pour elle les soins qu’elle pourrait lui rendre, et l’occupation qu’elle pourrait lui montrer avoir de lui. La bassesse de M. d’A.....la servit parfaitement dans cette circonstance. Ce plat gentilhomme de la chambre, au mépris de son devoir, renonça au droit qu’il avait d’entrer chez le roi, d’en savoir des nouvelles lui-même, de le servir, pour empêcher d’entrer ceux qui avaient le même droit que lui, et pour laisser le roi malade passer honteusement la journée à un quart de lieue de ses enfants, entre sa maîtresse et son valet de chambre. C’est là où commence l’histoire des plates et viles bassesses de M. d’Aumont; elles tiendront quelque place dans ce récit. Il est de cette lâche espèce d’hommes qui n’ont pas même le courage d’être bas et vils pour leurs intérêts, et dont la platitude est toujours au service de celui qui a l’apparence de la faveur.
Lemonnier, l'un des médecins du roi |
Cependant il était trois heures, et personne n’avait
encore pu pénétrer chez le roi. On n’en savait qu’imparfaitement
des nouvelles, et par celles qui transpiraient on jugeait le roi seulement
incommodé d’une légère indisposition. Mme Du Barry
en avait fait part à M. d’Aiguillon, qui était à Versailles,
et avait, d’après ses conseils, formé le projet de faire
rester le roi à Trianon tant que durerait cette incommodité.
Elle passait par ce moyen plus de temps seule auprès de lui, plus
que tout encore elle satisfaisait son aversion contre M. le Dauphin, Mme
la Dauphine et Mesdames, en écartant le roi d’eux, et rendait vis-à-vis
de lui leur conduite embarrassante. L’incertitude où était
Lemonnier de la suite de cette incommodité, l’embarras dont était
dans une chambre aussi petite le service du roi, le scandale et l’indécence
dont ce séjour prolongé devait être, rien ne pouvait
déranger Mme Du Barry de ce projet déraisonnable et indécent,
conçu pour narguer la famille royale. M. d’Aumont s’y prêtait
de toute sa bassesse, et n’avait même mandé à personne
l’état du roi, pour faciliter à cette femme le parti qu’elle
voudrait prendre. La famille royale n’en était même pas instruite
par lui, mais elle l’était d’ailleurs ; et n’osant pas venir, comme
elle l’aurait voulu, pénétrer dans son intérieur pour
savoir de ses nouvelles, elle se bornait à désirer qu’on
le déterminât à revenir à Versailles. La Martinière, sur
la nouvelle de l’incommodité du roi, qui s’était répandue,
avait accouru à Trianon, et y trouva le parti pris d’y faire rester
le roi jusqu’à sa parfaite guérison, que l’on jugeait devoir
être dans deux ou trois jours, cette incommodité n’étant
alors jugée qu’une forte indigestion. Quelque désir qu’eût
Lemonnier de faire revenir le roi à Versailles, il n’avait pas la
force de s’opposer à la volonté de Mme Du Barry. Sa position,
et plus encore son caractère, l’engageaient à tout ménager,
et, ne voulant rien mettre contre lui, il ne pouvait pas avoir cette conduite
franche et assurée, cette décision ferme et inébranlable
qu’à l’honnêteté désintéressée.
Le caractère brusque et décidé de La Martinière
lui donnait cette force. Ce vieux serviteur du roi avait, depuis qu’il
lui était attaché, pris l’habitude de lui parler avec une
liberté qui tenait de la familiarité, et même souvent
de l’indécence. Il ne s’était jamais adressé qu’au
roi pour tout ce qu’il avait obtenu de lui, et avait pris sur son esprit
un ascendant qui le faisait réussir dans tout ce qu’il lui demandait,
et qui même l’en faisait craindre. Il s’était, quatre ans
auparavant, opposé à l’arrivée de Mme Du Barry. Il
savait qu’il lui déplaisait et, sans s’en embarrasser, il n’agissait
pas plus contre elle qu’en sa faveur. La résolution où il
trouva le roi de demeurer à Trianon ne l’empêcha pas de travailler
fortement à l’en détourner, et il y réussit avec facilité
; car le roi, qui n’avait jamais eu dans sa vie la volonté des autres,
n’avait pas plus la sienne dans ce moment. Il fut donc décidé,
malgré le désir obstiné de Mme Du Barry que le roi
partirait pour Versailles dès que les carrosses qu’on avait envoyé
chercher seraient arrivés. Pour donner une idée de la manière
brusque et souvent grossière dont La Martinière parlait au
roi, je rapporterai que le roi, déterminé à suivre
son avis, lui disait, en lui parlant de sa maladie et de la diminution
journalière de ses forces: « Je sens qu’il faut enrayer.
»
—
« Sentez plutôt, lui répliqua La Martinière, qu’il faut dételer. »
« Sentez plutôt, lui répliqua La Martinière, qu’il faut dételer. »
M. de Beauvau, M. de Boisgelin, M. le prince de Condé,
qui, par le manège de M. d’Aumont dont j’ai parlé, n’avaient
pas encore pu voir le roi de la journée, le virent enfin à
quatre heures; et quoiqu’ils le trouvassent très affaissé,
très inquiet et très plaignant, ils jugèrent son état
moins inquiétant et moins douloureux qu’il ne le disait, toujours
par la connaissance de sa pusillanimité. Cependant les voitures
étaient arrivées, et le roi s’était laissé
porter dans son carrosse, se plaignant toujours beaucoup de mal de tête,
de maux de reins, de maux de coeur. Ses plaintes continuelles, ses inquiétudes,
sa profonde tristesse, confirmèrent M. de Beauvau et les autres
dans l’opinion qu’ils avaient de sa faiblesse et de sa peur; et il n’y
avait personne à Trianon ou à Versailles qui imaginât
encore que l’incommodité du roi pût être le commencement
d’une maladie. Cependant tout Paris fut averti que le roi avait resté
dans son lit jusqu’à quatre heures, qu’il était revenu en
robe de chambre et au pas de Trianon, et qu’il s’était couché
en arrivant. Tous les princes, tous les grands officiers arrivèrent;
j’arrivai comme les autres, mais sans beaucoup d’empressement, parce que
je voulais voir, avant de partir de Paris, une personne qui me tenait
plus au coeur que le roi et toute la Cour, et que par parenthèse
je ne vis pas. Je trouvai à mon arrivée
le roi couché. Lemonnier, que je vis, me dit qu’il espérait,
comme tout le monde, que la fièvre du roi cesserait dans la nuit,
mais que son affaissement lui faisait craindre que non, et qu’alors le
lendemain matin il lui demanderait du secours et de choisir un renfort
de médecins. J’appris aussi que la famille royale, qui était
venue le voir à son arrivée, n’y était restée
qu’un instant, et que le roi lui avait dit qu’il l’enverrait chercher quand
il voudrait la voir. Tout cela était l’effet des persécutions
de Mme Du Barry, qui, enragée du retour du roi à Versailles,
voulait se renfermer avec lui autant qu’il serait possible, et en exclure
ses enfants. Quand je dis que Mme Du Barry voulait, j’entends que M. d’Aiguillon
voulait; car cette femme, comme les trois quarts de celles de son espèce,
n’avait jamais eu de volonté. Toutes ses volontés se bornaient
à des fantaisies, et toutes ses fantaisies étaient des diamants,
des rubans, de l’argent. L’hommage de toute la France lui était
à peu près indifférent. Elle était ennuyée
de toutes les affaires dont son odieux favori voulait qu’elle se mêlât,
et n’avait de plaisir qu’à gaspiller en robes et en bijoux les millions
que la bassesse du contrôleur général lui fournissait
avec profusion; soit crainte, soit goût, soit faiblesse, elle était
entièrement livrée aux volontés despotiques de M.
d’Aiguillon, qui, s’en étant servi quatre ans plus tôt pour
se tirer des horreurs d’un procès criminel, l’avait employée
depuis pour l’aider à se venger de tous ses ennemis, c’est-à-dire
de tous les gens honnêtes, et pour se servir de tout le crédit
qu’elle avait sur la faiblesse apathique du roi. Il lui avait conseillé
de tenir le roi à Trianon ; il la pressait actuellement de s’enfermer
le plus souvent avec lui, et d’en écarter les princes et Mesdames.
Il lui conseillait aussi de s’appliquer à ne faire appeler que tard
ceux qui avaient droit d’entrer chez le roi et d’obtenir de lui qu’il les
fit sortir de bonne heure. Il voulait qu’il ne fût livré qu’à
elle et à ceux qu’elle y introduirait. Le roi, comme je l’ai dit,
avait déjà fait acte de soumission en disant à ses
enfants de ne pas revenir sans qu’il les envoyât chercher. Il l’avait
fait encore en n’appelant ses grands-officiers à Trianon qu’à
quatre heures, et en les congédiant à neuf heures et demie;
et voilà vraisemblablement ce qui se serait passé pendant
le cours de la maladie du roi, si elle se fût prolongée sans
devenir plus grave.
l'agonie de Louis XV |
Je quittai donc Lemonnier, après en avoir appris
l’état du roi, et après avoir su que lui-même en était
exclu par Mme Du Barry, qui y était actuellement renfermée
seule, ou avec M. d’Aiguillon. Cependant la fièvre se soutint dans
la nuit avec assez de force, il y eut même de l’augmentation; les
douleurs de tête devinrent plus fortes, et nous apprîmes à
huit heures du matin qu’on allait saigner le roi. Cette saignée
avait été ordonnée par Lemonnier, d’accord avec La
Martinière. Nous apprîmes aussi qu’on avait été
chercher à Paris Lorry et Bordeu. Lemonnier, suivant son projet
de la veille, avait demandé au roi du secours, et l’avait prié
de choisir ceux des médecins qu’il désirait appeler en consultation.
Il a dit n’en avoir proposé aucun, et cela est vrai; le roi les
avait choisis l’un et l’autre, toujours d’après Mme Du Barry. L’un
était son médecin; l’autre l’était de M. d’Aiguillon;
et celui-ci avait engagé la maîtresse à déterminer
le roi à ce choix, espérant se servir d’eux, suivant ses
besoins, dans le cours de la maladie. Lassonne fut aussi appelé;
mais comme il était médecin de Mme la Dauphine, il le fut
purement du choix de Lemonnier. La nouvelle de la saignée fit arriver
tous les courtisans; ceux qui avaient des charges, ceux qui n’en avaient
pas, tout accourut, et le cabinet se trouva bientôt rempli de gens
qui désiraient savoir des nouvelles du roi et n’avaient aucun moyen
de s’en procurer. Il ne sortait encore presque personne de la chambre,
et ceux qui en sortaient ne parlaient pas; on ne disait rien.
(à suivre)
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