Destiné initialement au Duc et à la Duchesse de Beauvilliers, le Traité de l'Education des filles est souvent qualifié d'ouvrage misogyne (voir ci-dessous) par les chiennes de garde de la nouvelle bien-pensance.
Elles devraient se pencher plus attentivement sur le parcours imposé en ce temps-là aux jeunes femmes de qualité (voir ce qu'on en disait ici).
Sans doute reverraient-elles leur jugement...
Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement. Il est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l'esprit et de la politesse, ne savoir pas bien prononcer ce qu'elles lisent: ou elles hésitent, ou elles chantent en lisant; au lieu qu'il faut prononcer d'un ton simple et naturel, mais ferme et uni. Elles manquent encore plus grossièrement pour l'orthographe, ou pour la manière de former ou de lier les lettres en écrivant: au moins accoutumez-les à faire leurs lignes droites, à rendre leur caractère net et lisible. Il faudrait aussi qu'une fille sût la grammaire(…)
Sans doute reverraient-elles leur jugement...
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Fénelon |
Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement. Il est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l'esprit et de la politesse, ne savoir pas bien prononcer ce qu'elles lisent: ou elles hésitent, ou elles chantent en lisant; au lieu qu'il faut prononcer d'un ton simple et naturel, mais ferme et uni. Elles manquent encore plus grossièrement pour l'orthographe, ou pour la manière de former ou de lier les lettres en écrivant: au moins accoutumez-les à faire leurs lignes droites, à rendre leur caractère net et lisible. Il faudrait aussi qu'une fille sût la grammaire(…)
Elles devraient aussi savoir les
quatre règles de l'arithmétique; vous vous en servirez utilement pour leur
faire faire souvent des comptes. C'est une occupation fort épineuse pour
beaucoup de gens; mais l'habitude prise dès l'enfance, jointe à la facilité de
faire promptement, par le secours des règles, toutes sortes de comptes les plus
embrouillés, diminuera fort ce dégoût. On sait assez que l'exactitude de
compter souvent fait le bon ordre dans les maisons.
Il serait bon aussi qu'elles sussent quelque
chose des principales règles de la justice; par exemple, la différence qu'il y
a entre un testament et une donation; ce que c'est qu'un contrat, une
substitution, un partage de cohéritiers; les principales règles du droit, ou
des coutumes du pays où l'on est, pour rendre ces actes valides; ce que c'est
que propre, ce que c'est que communauté; ce que c'est que biens meubles et
immeubles. Si elles se marient, toutes leurs principales affaires rouleront
là-dessus.
(…)
Après ces instructions, qui doivent tenir la
première place, je crois qu'il n'est pas inutile de laisser aux filles, selon
leurs loisirs et la portée de leur esprit, la lecture des livres profanes qui
n'ont rien de dangereux pour les passions: c'est même le moyen de les dégoûter
des comédies et des romans. Donnez-leur donc les histoires grecques et
romaines; elles y verront des prodiges de courage et de désintéressement. Ne
leur laissez pas ignorer l'histoire de France, qui à aussi ses beautés; mêlez
celles des pays voisins, et les relations des pays éloignés judicieusement
écrites. Tout cela sert à agrandir l'esprit, et à élever l'âme à de grands
sentiments, pourvu qu'on évite la vanité et l'affectation.
On croit d'ordinaire qu'il faut qu'une fille de
qualité qu'on veut bien élever apprenne l'italien et l'espagnol; mais je ne
vois rien de moins utile que cette étude, à moins qu'une fille ne se trouvât
attachée auprès de quelque princesse espagnole ou italienne, comme nos reines
d'Autriche et de Médicis. D'ailleurs ces deux langues ne servent guère qu'à
lire des livres dangereux, et capables d'augmenter les défauts des femmes; il y
a beaucoup plus à perdre qu'à gagner dans cette étude. Celle du latin serait
bien plus raisonnable, car c'est la langue de l'Eglise: il y a un fruit et une
consolation inestimable à entendre le sens des paroles de l'office divin, où
l'on assiste si souvent. Ceux même qui cherchent les beautés du discours en
trouveront de bien plus parfaites et plus solides dans le latin que dans
l'italien et dans l'espagnol, où règne un jeu d'esprit et une vivacité
d'imagination sans règle. (…)
Je leur permettrais aussi, mais avec un grand
choix, la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, si je voyais qu'elles
en eussent le goût, et que leur jugement fût assez solide pour se borner au
véritable usage des choses; mais je craindrais d'ébranler trop les imaginations
vives, et je voudrais en tout cela une exacte sobriété: tout ce qui peut faire
sentir l'amour, plus il est adouci et enveloppé, plus il me paraît dangereux.
La musique et la peinture ont besoin des mêmes
précautions; tous ces arts sont du même génie et du même goût. Pour la musique,
on sait que les anciens croyaient que rien n'était plus pernicieux à une
république bien policée, que d'y laisser introduire une mélodie efféminée: elle
énerve les hommes; elle rend les âmes molles et voluptueuses; les tons languissants
et passionnés ne font tant de plaisir, qu'à cause que l'âme s'y abandonne à
l'attrait des sens jusqu'à s'y enivrer elle-même. C'est pourquoi à Sparte les
magistrats brisaient tous les instruments dont l'harmonie était trop
délicieuse, et c'était là une de leurs plus importantes polices; c'est pourquoi
Platon rejette sévèrement tous les tons délicieux qui entraient dans la musique
des Asiatiques: à plus forte raison les Chrétiens, qui ne doivent jamais
chercher le plaisir pour le seul plaisir, doivent-ils avoir en horreur ces
divertissements empoisonnés.
La poésie et la musique, si on en retranchait
tout ce qui ne tend point au vrai but, pourraient être employées très utilement
à exciter dans l'âme des sentiments vifs et sublimes pour la vertu. Combien avons-nous
d'ouvrages poétiques de l'Ecriture que les Hébreux chantaient, selon les
apparences! Les cantiques ont été les premiers monuments qui ont conservé plus
distinctement, avant l'écriture, la tradition des choses divines parmi les
hommes. Nous avons vu combien la musique a été puissante parmi les peuples
païens pour élever l'âme au-dessus des sentiments vulgaires. L'Eglise a cru ne
pouvoir consoler mieux ses enfants, que par le chant des louanges de Dieu. On
ne peut donc abandonner ces arts, que l'Esprit de Dieu même a consacrés. Une
musique et une poésie chrétienne seraient le plus grand de tous les secours
pour dégoûter des plaisirs profanes; mais dans les faux préjugés où est notre
nation, le goût de ces arts n'est guère sans danger. Il faut donc se hâter de
faire sentir à une jeune fille qu'on voit fort sensible à de telles
impressions, combien on peut trouver de charmes dans la musique sans sortir des
sujets pieux. Si elle a de la voix et du génie pour les beautés de la musique,
n'espérez pas de les lui faire toujours ignorer: la défense irriterait la
passion; il vaut mieux donner un concours réglé à ce torrent, que
d'entreprendre de l'arrêter.
La peinture se tourne chez nous plus aisément
au bien: d'ailleurs elle a un privilège pour les femmes; sans elle leurs
ouvrages ne peuvent être bien conduits. Je sais qu'elles pourraient se réduire
à des travaux simples qui ne demanderaient aucun art; mais, dans le dessein
qu'il me semble qu'on doit avoir d'occuper l'esprit en même temps que les mains
des femmes de condition, je souhaiterais qu'elle fissent des ouvrages où l'art
et l'industrie assaisonnassent le travail de quelque plaisir. De tels ouvrages
ne peuvent avoir aucune vraie beauté, si la connaissance des règles du dessin
ne les conduit. De là vient que presque tout ce qu'on voit maintenant dans les
étoffes, dans les dentelles et dans les broderies, est d'un mauvais goût; tout
y est confus, sans dessein, sans proportion. Ces choses passent pour belles,
parce qu'elles coûtent beaucoup de travail à ceux qui les font, et d'argent à
ceux qui les achètent; leur éclat éblouit ceux qui les voient de loin, ou qui
ne s'y connaissent pas. Les femmes ont fait là-dessus des règles à leur mode;
qui voudrait contester passerait pour visionnaire. Elles pourraient néanmoins
se détromper en consultant la peinture, et par là se mettre en état de faire,
avec une médiocre dépense et un grand plaisir, des ouvrages d'une noble
variété, et d'une beauté qui serait au-dessus des caprices irréguliers des
modes.
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