samedi 11 mars 2017

PROJET D’UNE LOI portant défense d’apprendre à lire aux Femmes. (2)

Pierre Sylvain Maréchal, né le 15 août 1750 à Paris, et mort le 18 janvier 1803 à Montrouge, est un écrivain, poète et pamphlétaire français.
En 1801, il fait paraître un petit chef-d'oeuvre d'humour antiféministe intitulé.
Voici la 1ère partie de ce texte de loi. 
 
***
 
TEXTE DE LA LOI.

                                    
EN CONSÉQUENCE

I.
La raison veut (dut-elle passer pour Vandale) que les femmes (filles, mariées ou veuves) ne mettent jamais le nez dans un livre, jamais la main à la plume.
 
II.
La Raison veut :

À l’homme, — l’épée et la plume.
À la femme, — l’aiguille et le fuseau.
À l’homme, — la massue d’Hercule.
À la femme, — la quenouille d’Omphale.
À l’homme, — les productions du génie.
À la femme, — les sentimens du cœur.

III.
La Raison veut que chaque sexe soit à sa place, et s’y tienne.
Les choses vont mal, quand les deux sexes empiètent l’un sur l’autre.
La lune et le soleil ne luisent point ensemble.
 
IV.
La Raison ne veut pas plus que la langue française, qu’une femme soit auteur : ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul.
 
V.
La Raison veut que les sexes diffèrent de talents comme d’habits.
Il est aussi révoltant et scandaleux de voir un homme coudre, que de voir une femme écrire ; de voir un homme tresser des cheveux, que de voir une femme tourner des phrases…
 
VI.
La Raison maintient ce vieux Proverbe :
« Les paroles sont des femelles, les écrits sont des mâles. »
En ce qu’il semble faire les parts et assigner à chacun des deux sexes le talent qui lui convient.
N. B. Toute la sagesse des nations est dans leurs proverbes.
 
VII.
La Raison veut que l’on dispense les
femmes d’apprendre — à lire,
— à écrire,
— à imprimer,
— à graver,
— à scander,
— à solfier,
— à peindre, etc.
Quand elles savent un peu de tout cela, c’est trop ordinairement aux dépens de la science du ménage.
 
VIII.
La Raison veut donc que la plume à écrire et le pinceau, le crayon et le burin, soient interdits à la main des femmes ; l’aiguille à coudre et le fuseau, à la main des hommes. (...)
 
XI.
La Raison veut que les femmes, dans leurs loisirs, apprennent naturellement à chanter, sans livres et sans maîtres ; mais qu’elles ignorent toute leur vie combien il y a de notes dans la musique, de lettres dans l’alphabet, de syllabes dans un vers alexandrin ou pentamètre.
Les femmes sont nées pour être aimables et vertueuses, et non pour devenir des virtuoses et des savantes.
 
XII.
La Raison veut que les maris soient les seuls livres de leurs femmes ; livres vivants, où nuit et jour, elles doivent apprendre à lire leurs destinées.
« Il serait bienséant et honorable (dit un vieux livre) d’ouir une femme qui dirait à son mari : mon ami, tu es mon précepteur, mon maître de philosophie… etc. »
(Institution de l’homme, 1626. p. 441. in-8o.) (...)
 
XIII.
La Raison veut que les femmes sachent leur langue maternelle, seulement :
« C’est une vanité aux femmes (a dit quelqu’un) de parler une langue étrangère. »
(Lettre à une demoiselle, p. 149, in-12. 1737.)
 
XIV.
La Raison veut que l’on fasse grace aux femmes de l’étude aride et sèche de la grammaire ; les femmes étant destinées à des occupations plus agréables et moins stériles.
 
XV.
La Raison veut aussi que l’on dispense les femmes des éléments non moins ingrats de la géographie et de l’histoire ; leur mémoire fragile porte mal le fardeau des dates et d’une lourde nomenclature.
Quel inconvénient, d’ailleurs, à ce que les femmes fassent des anachronismes ?
 
XVI.
La Raison veut que les femmes n’apprennent point à lire aux astres : qu’elles comptent les œufs de la basse-cour, et non les étoiles du firmament !
 
XVII.
La Raison veut que l’on interdise aux femmes la botanique par principes : qu’elles se bornent à la connaissance des plantes potagères et de quelques simples !
 
XVIII.
La Raison n’approuve pas les femmes qui assistent aux leçons de la chimie : les cuisinières qui ne savent pas lire, sont celles qui font la meilleure soupe.
N. B. Le législateur des femmes espère qu’on lui pardonnera ces menus détails. L’utile avant tout.
« Rien n’est vil dans l’intérieur du domestique, pour une femme sage, » dit un poète de la Chine.
(V. Mém. Chin. T. IV. p. 179. in-4o.)
 
XIX.
La Raison souffre de voir les femmes grossir le troupeau des gens de lettres ; elles ont assez déjà des infirmités attachées à leur sexe, sans s’exposer encore à celles de cette profession.
 
XX.
La Raison veut que le médecin d’une femme de lettres lui ordonne, avant tout, de poser la plume et de renoncer aux livres, à tout jamais.
La nièce de Descartes mourut de la pierre, causée par son obstination à l’étude.
Or, le plus beau livre ne vaut pas une femme saine de corps et d’âme.
 
XXI.
La Raison veut que l’on dise toujours les trois Grâces, mais que l’on ne dise plus les neuf Muses ; mythologie injurieuse au sexe, puisqu’elle tend à faire croire que sur douze femmes, on en compte neuf de pédantes, sur trois seulement d’aimables.
« Le goût des lettres chez les femmes, (dit Thomas) a été regardé comme une sorte de pédantisme. »
(Essai sur les Femmes.)
 
XXII.
La Raison déclare qu’une mère de famille n’a pas besoin de savoir lire, pour bien élever ses filles.
 
XXIII.
La Raison et la décence veulent qu’une fille reçoive des leçons de sa mère seulement.
L’éducation du sexe n’eut d’abord (dans le temps que Rome était vertueuse) pour objet, que l’économie intérieure de la maison, et les ouvrages que les mères apprenaient elles-mêmes à leurs filles.
(Habitudes et mœurs privées des Romains, in-8o. p. 275 et 276.)
 
XXIV.
La Raison n’approuve pas ces maisons d’éducation pour les jeunes demoiselles, où on leur apprend tout, excepté la seule chose qu’elles doivent connaître, la science du ménage.
La belle éducation donnée à St-Cyr aux jeunes filles nobles et pauvres, en faisait des femmes pédantes et hautaines. (...)
 
XXVIII.
La Raison veut que toute fille de bonne maison, avant d’obtenir un mari, fasse preuve de talents utiles.
 
XIX.
La Raison veut qu’une jeune vierge, instruite par sa mère aux seules vertus privées, aux seuls détails du ménage, et bien pénétrée de l’amour de ses devoirs et du travail, soit dispensée d’avoir une dot pour avoir un mari.
 
XXX.
La Raison ne conseille à personne de choisir pour épouse et compagne la fille d’une femme lettrée.

mercredi 8 mars 2017

PROJET D’UNE LOI portant défense d’apprendre à lire aux Femmes. (1)

Pierre Sylvain Maréchal, né le 15 août 1750 à Paris, et mort le 18 janvier 1803 à Montrouge, est un écrivain, poète et pamphlétaire français.
En 1801, il fait paraître un petit chef-d'oeuvre d'humour antiféministe intitulé : 
Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes.


***

AUX CHEFS DE MAISON,
AUX PÈRES DE FAMILLE,
ET AUX MARIS.

Qui plus que vous doit sentir la nécessité et l’urgence de la Loi dont le Projet vous est adressé, et soumis à votre prudence ? Les bons ménages deviennent rares ; et c’est vous, les premiers, qui portez la peine des préjugés et des abus qui ont envahi l’éducation des femmes.
Vous tiendrez donc la main à ce Réglement ; il vous intéresse plus peut-être encore que les femmes qui en sont l’objet principal.
Les puissances mâles et femelles du Bas-Empire de la Littérature, vont s’agiter à la promulgation de la présente Loi. On prononcera malédiction sur le Législateur indiscret et téméraire. Déjà en butte aux prêtres, comment n’a-t-il pas craint de leur donner les femmes de lettres pour auxiliaires ? La coalition des femmes de lettres et des prêtres, est une rude chose ; mais que pourra-t-elle si les bons esprits, si les têtes saines opposent leur égide, et placent cette Loi sous le bouclier de la raison ?
Les bonnes mères de famille, les excellentes femmes de ménage, les épouses sensibles, les jeunes filles naïves et toutes naturelles, vengées enfin du méprisant abandon où on les reléguait, sauront peut-être quelque gré au Rédacteur de cette Loi, et rendront justice à la pureté de ses intentions.
Nous ne sommes point dupes (s’écrieront quelques flatteurs des femmes) des ménagements qu’on prend ici pour faire entendre que les deux sexes ne doivent pas être rangés précisément sur la même ligne, dans la grande échelle des êtres, et qu’il faut placer un sexe au-dessous de l’autre.
Il faut répondre : ce n’est point là du tout la pensée du Législateur des femmes. Dans le plan qu’il s’est tracé de la nature, il n’y a pas un seul être inférieur à un autre. Toutes les productions sorties de ses mains sont autant de chef-d’œuvres ; et parmi une infinité de chef-d’œuvres, il seroit absurde d’établir ou de supposer des préférences.
Les deux sexes sont parfaitement égaux ; c’est-à-dire, aussi parfaits l’un que l’autre, dans ce qui les constitue. Rien dans la nature n’est comparable à un bel homme, qu’une belle femme.

Ajoutons pour finir : il n’y a rien de plus laid au monde qu’un homme singeant la femme, si ce n’est une femme singeant l’homme.
Ce Projet de Loi ne pouvait paraître plus à propos, qu’au moment où l’on s’occupe de l’organisation définitive des études.
Vous remarquerez que dans son rapport, si estimable, sur l’Instruction publique, Chaptal garde le plus profond silence touchant les femmes ; il ne leur suppose aucunement la nécessité d’apprendre à lire, à écrire, etc. Partagerait-il l’opinion que leur esprit naturel n’a pas besoin de culture ?



AUX FEMMES.

Si l’on vous interdit l’arbre de la science,
Conservez sans regret votre douce ignorance,
Gardienne des vertus, et mère des plaisirs ;
À des jeux innocents consacrez vos loisirs, etc.
Séparateur



PROJET


D’UNE LOI,

Portant défense d’apprendre à lire aux Femmes.

MOTIFS DE LA LOI.

Considérant :
1o. Que l’amour honnête, le chaste hymen, la tendresse maternelle, la piété filiale, la reconnaissance des bienfaits… etc., sont antérieurs à l’invention de l’alphabet et de l’écriture, et à l’étude des langues ; ont subsisté, et peuvent encore subsister sans elles.

Considérant :
2o. Les inconvénients graves qui résultent pour les deux sexes, de ce que les femmes sachent lire.

Considérant :
3o. Qu’apprendre à lire aux femmes est un hors-d’œuvre, nuisible à leur éducation naturelle : c’est un luxe dont l’effet fut presque toujours l’altération et la ruine des mœurs.

Considérant :
4o. Que cette fleur d’innocence qui caractérise une vierge, commence à perdre de son velouté, de sa fraîcheur, du moment que l’art et la science y touchent, du moment qu’un maître en approche. La première leçon que reçoit une jeune fille est le premier pas qu’on l’oblige à faire pour s’éloigner de la nature.
Considérant :
5o. Que l’intention de la bonne et sage nature a été que les femmes exclusivement occupées des soins domestiques, s’honoreraient de tenir dans leurs mains, non pas un livre ou une plume, mais bien une quenouille ou un fuseau.

Considérant :
6o. Combien une femme qui ne sait pas lire est réservée dans ses propos, pudibonde dans ses manières, parcimonieuse en paroles, timide et modeste hors de chez elle, égale et indulgente… Combien, au contraire, celle qui sait lire et écrire a de penchant à la médisance, à l’amour propre, au dédain de tous ceux et de toutes celles qui en savent un peu moins… 

Considérant :
7o. Combien il est dangereux de cultiver l’esprit des femmes, d’après la Réflexion morale de la Rochefoucault qui les connaissait si bien : « L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. »

Considérant :
8o. Que la nature elle-même, en pourvoyant les femmes d’une prodigieuse aptitude à parler, semble avoir voulu leur épargner le soin d’apprendre à lire, à écrire. (...)


Considérant :
10o. « Que chaque sexe a son rôle. Celui de l’homme étant d’instruire et de protéger, suppose une organisation forte dans toutes ses parties. Le rôle de la femme doit être bien moins prononcé. Douceur et sensibilité en sont les deux principaux caractères. Tous ses droits, tous ses devoirs, tous ses talents se bornent là, et ce lot vaut peut-être bien l’autre. »

Considérant :
11o. « Que la société civile, dans la distribution de ses rôles, n’en a donné qu’un passif aux femmes. Leur empire a pour limites le seuil de la maison paternelle ou maritale. C’est là qu’elles règnent véritablement. C’est là que, par leurs soins journaliers, elles dédommagent les hommes des travaux et des peines qu’ils endurent hors de leurs foyers. Compagnes tendres et soumises, les femmes ne doivent prendre d’autre ascendant que celui des graces et des vertus privées ; et ce plan de conduite, conforme à la nature, a constamment rendu heureuses celles qui ont eu le bon esprit de ne pas porter leurs vues plus haut. La félicité du genre humain repose, toute, sur les mœurs domestiques. »

Considérant :
12o. Que les hommages que le premier sexe s’est fait une douce habitude de rendre à l’autre, ne sont point adressés au savoir des femmes, mais seulement à leurs grâces et à leurs vertus.
Considérant :
13o. Que les femmes qui se targuent de savoir lire et de bien écrire, ne sont pas celles qui savent aimer le mieux.
L’esprit et le talent refroidissent le cœur.
S…

Considérant :
14o. Que la coquetterie d’esprit est dans les femmes un travers qui, comme l’autre coquetterie, mène au ridicule, et quelquefois au scandale. (...)

Considérant :
 24o. Combien une jeune fille qui sait lire a de peine à résister à la tentation de jeter les yeux sur les lettres d’amour d’un séducteur éloquent.

Considérant :
25o. Combien les romans et les ouvrages de dévotion font de ravage dans le tendre cerveau des femmes.

Considérant :
26o. Combien la lecture est contagieuse : sitôt qu’une femme ouvre un livre, elle se croit en état d’en faire ;
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut. (...)

Considérant :
31o. Que pour l’ordinaire, une femme perd de ses grâces et même de ses mœurs, à mesure qu’elle gagne en savoir et en talents.
Pour peu qu’elle sache lire et écrire, une femme se croit émancipée, et hors de la tutelle où la nature et la société l’ont mise pour son propre intérêt.
Considérant :
32o. Que la cause supprimée, l’effet tombe de lui-même : ainsi, les femmes ne sachant plus lire, ne nous offriront plus le risible travers de ces diplomates femelles, qui du fond d’un boudoir, le Publiciste à la main, disposent des empires, font la part aux rois, aux républiques… etc.
Considérant :
33o. Que la qualité de femme qui sait lire, n’ajoute rien aux titres sublimes et touchants de bonne fille, bonne épouse et bonne mère, ni aux moyens d’en remplir les devoirs doux et sacrés.
Considérant :
34o. Que la place d’une femme n’est point sur les bancs d’une école, encore moins dans une chaire de théologie, de physique ou de droit, comme il s’est vu plus d’une fois à Bologne, en Italie.

Considérant :
36o. Que les femmes ayant reçu une organisation physique plus frêle et un caractère moral moins décidé que les hommes ; l’étude des lettres n’est pas un puissant moyen de donner de la force et de l’énergie. De l’aveu des philosophes eux-mêmes, les lettres énervent quand elles ne corrompent point.
Fénélon a dit :
« Les femmes ont, d’ordinaire, l’esprit encore plus faible que les hommes. »
Voyez son traité de l’éducation des filles.
Considérant :
37o. Que les femmes les mieux instruites, les plus savantes n’ont jamais enrichi les sciences et les arts d’aucune découverte. « Il n’y a jamais eu de femmes inventrices » dit Voltaire dans ses Questions Encyclop. L’invention de la gaze n’est pas même due à une femme.
Considérant :
38o. Que, quoiqu’on en ait dit, l’esprit et le cœur ont un sexe comme le corps dans la dépendance duquel ils sont tous deux, le moral et le physique étant unis d’une intimité si étroite qu’ils ne font qu’un.

Considérant :
39o. La mort précoce de plusieurs jeunes filles que leurs mères avaient condamnées à l’étude des langues et à d’autres sciences toutes aussi peu compatibles aux forces et aux goûts naturels d’une jeune personne. 

Considérant :
40o. Que presque toujours quand les femmes tiennent la plume, c’est un homme qui la taille. Le mathématicien Clairaut rendit ce service à madame Duchatelet.
Colletet faisait les vers de sa servante, devenue sa femme.
Considérant :
41o. Que, les femmes n’étant assujetties à aucune charge publique, à aucune fonction administrative, n’ayant pas même droit aux fauteuils de l’Institut, elles n’ont nul besoin de savoir lire, écrire…
Considérant :
42o. Que les femmes ont trop d’occupations dans leur ménage, pour trouver du temps de reste et à perdre en lectures, écritures…
Considérant :
43o. Que les douces fonctions de la vie privée sont assez multipliées pour occuper toute entière une femme de mérite ; et que celle qui embrasse la profession d’écrire, n’est pas moins ridicule que ces soldats qui pendant les loisirs de la caserne, prennent l’aiguille de la marchande de modes, ou le tambour de la brodeuse. »
(Galerie Univ. des Hommes illustres, in-4o. Art. Voltaire. Notes.)
Considérant :
44o. Qu’il y a scandale et discorde dans un ménage, quand une femme en sait autant ou plus que le mari.
Considérant :
45o. Combien doit être difficile le ménage d’une femme qui fait des livres, unie à un homme qui n’en sait pas faire.
Considérant :
46o. Combien la première éducation des enfans, nécessairement confiée à leur mère, souffre quand la mère est distraite de ses devoirs par la manie du bel esprit.
« La couvée est mal tenue, quand la poule veut chanter aussi haut que le coq, » dit un vieux proverbe.
Considérant :
47o. Que l’art de plaire et la science du ménage ne s’apprennent pas dans les livres.
L’art d’aimer d’Ovide n’a rien appris aux femmes.
Considérant :
48o. Combien il est ridicule et révoltant de voir une fille à marier, une femme en ménage ou une mère de famille enfiler des rimes, coudre des mots, et pâlir sur une brochure, tandis que la mal-propreté, le désordre ou le manque de tout se fait sentir dans l’intérieur de la maison.
 
Considérant :
52o. Combien les femmes deviennent négligentes, paresseuses, hautaines, exigeantes, acariâtres, peu soumises, pour peu qu’elles sachent lire et écrire ; combien est insoutenable celle qui vise à l’esprit ou au savoir, celle qui parle comme un livre.


Considérant :
53o. Que depuis qu’on rencontre dans toutes les professions, des femmes qui savent lire, la nourrice fait jeûner son nourrisson ; la marchande néglige son comptoir, et la cuisinière son service ; l’ouvrière commence plus tard et finit plus tôt sa journée ; la coëffeuse distraite brûle la blonde chevelure de sa dame ; la garde-malade et l’épicière-droguiste tuent leurs malades par des qui-pro-quo ; et la jeune fille devenue raisonneuse, dit que sa maman radote, et traite son papa de bon-homme.

(à suivre ici)

mercredi 1 mars 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (4)




Que signifie « être soi »  quand les contraintes sociales et idéologiques vous imposent un rôle et une place que vous n'avez pas choisis ? Et dans la position qui est la leur, que deviennent les rêves, les passions, les ambitions de Louise, d'Emilie et de toutes ces autres femmes du monde ?
 
l'homme lit, la femme écoute
-Prenons d'abord le cas de Louise Dupin. Entre 1740 et 1750, l'épouse du fermier général travaille à l’écriture d’un très volumineux ouvrage (environ 2000 pages réparties en 47 chapitres) consacré à la défense des femmes.
Au final, cet essai ne sera jamais publié, ni à l’étranger, ni même sous couvert de l'anonymat.
Comment expliquer ce renoncement ? 
En femme lucide et consciente des usages de son temps, sans doute a-t-elle voulu s'éviter le ridicule de ces femmes savantes dont Molière riait déjà un siècle plus tôt. Au XVIIIè, le champ littéraire de la femme demeure en effet circonscrit aux genres mineurs tels que le conte ou les petits vers. Les sujets sérieux, ceux traités dans les ouvrages d'esprit, restent par tradition réservés aux hommes. Au mieux, on se moquerait d'une femme qui se mêlerait de participer à ces débats ; au pire, on l’accuserait de ne pas être l'auteur de ses livres.

Ce renoncement s'explique également par la position que tient Louise au sein de la famille Dupin. Quand on tient salon au service d’un époux, ce serait faire du tort à sa réputation que de prétendre rivaliser avec les auteurs ou les scientifiques qu’on reçoit.

Parmi les salonnières du XVIIIè, j’entends celles qui ont duré, aucune n'a jamais pris le risque d’assumer  le statut d’écrivain ou de « bel esprit ». 

Mme du Deffand regrettait d'ailleurs : « j’ai le malheur de passer pour un bel esprit, et cette impertinente et malheureuse réputation me met en butte à tous les étalages »

Et Louise d’Epinay de constater : « une femme a grand tort et n’acquiert que du ridicule lorsqu’elle s’affiche pour savante ou pour bel esprit et qu’elle croit pouvoir en soutenir la réputation »





-Cette dernière fait pourtant partie de ce petit groupe de femmes qui ont longuement hésité à investir ce champ littéraire réservé aux hommes.

C’est en 1757, alors qu’elle est déjà séparée de son époux, qu’elle ose franchir le pas. Mais son 1er ouvrage consacré à l’éducation de ses enfants est imprimé à Genève, où Louise d'Epinay séjourne, et il n’est distribué qu’à un petit nombre d’amis.

Son émancipation sera progressive, d'une part parce qu'elle est séparée de son mari, et d'autre part parce qu'elle bénéficie du soutien de son amant Grimm et d’autres amis moins traditionalistes comme Diderot.

Son immense roman autobiographique restera pourtant dans les tiroirs et ne paraîtra qu’après son mort.

Finalement, c'est en 1774 (10 ans avant sa mort) qu'elle publie un nouvel ouvrage de pédagogie intitulé les conversations d’Emilie. Il connaîtra un grand succès (jusqu’à être traduit en russe) et vaudra même un pris littéraire à son auteur.

Consciente du risque qu’elle prend, elle écrit pourtant à l’un de ses correspondants : « je ne vous en parle pas parce que j’attends quelques bonnes plaisanteries de votre part (…) quand il sera fini, je vous donne carrière, et je serai la première à en rire avec vous »

Tout cela n’est que posture ; en fait, elle est très attachée à son sujet, à l’écriture de son livre, et à l’idée de partager ses idées avec les femmes de son temps.

On parlera pour finir d’Emilie du Châtelet, de cette ambition qu’elle a osé mener à son terme sans crainte aucune d’être moquée par ses contemporains.

Au contraire de bien d’autres, Emilie a toujours privilégié sa propre personne (ses passions) au détriment de sa réputation, de son époux, de ses enfants, et même de ses amants.

Précisons au passage que sa situation personnelle (loin de Paris, elle aussi séparée de son mari, et habilement secondée par Voltaire), a grandement facilité son ambition scientifique.

Grâce à l’instruction solide qu’elle a eue dans sa jeunesse, grâce à des maitres prestigieux comme Maupertuis, Emilie est devenue la seule grande scientifique de son temps.

Elle a par ailleurs été la 1ère à traduire les ouvrages de Newton et à introduire ses théories en France.

Evidemment, cela lui a valu des méchancetés inimaginables, notamment de la part de Mme du Deffand :

« On dit qu'elle étudie la géométrie pour parvenir à entendre ses livres. La science est un problème difficile à résoudre : elle en parle comme Sganarelle parlait latin devant ceux qui ne le savaient pas… […] Quelque célèbre que soit madame du Châtelet, elle ne serait pas satisfaite si elle n'était pas célébrée, et c'est encore à quoi elle est parvenue en devenant l'amie déclarée de M. de Voltaire ; c'est lui qui donne de l'éclat à sa vie et c'est à lui qu'elle devra l'immortalité. »

Avec Louise d'Epinay, elle fut pourtant l'une des rares femmes du siècle à oser s'avancer au devant de la scène, parmi les grands hommes de son temps, et à y jouer sa propre partition.