Pierre Sylvain Maréchal, né le 15 août 1750 à Paris, et mort le 18 janvier 1803 à Montrouge, est un écrivain, poète et pamphlétaire français.
En 1801, il fait paraître un petit chef-d'oeuvre d'humour antiféministe intitulé :
Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes.
Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes.
***
AUX CHEFS DE MAISON,
AUX PÈRES DE FAMILLE,
ET AUX MARIS.
AUX PÈRES DE FAMILLE,
ET AUX MARIS.
Qui plus que vous doit sentir la nécessité et l’urgence de la Loi
dont le Projet vous est adressé, et soumis à votre prudence ? Les bons
ménages deviennent rares ; et c’est vous, les premiers, qui portez la
peine des préjugés et des abus qui ont envahi l’éducation des femmes.
Vous tiendrez donc la main à ce Réglement ; il vous intéresse plus peut-être encore que les femmes qui en sont l’objet principal.
Les puissances mâles et femelles du Bas-Empire de la Littérature,
vont s’agiter à la promulgation de la présente Loi. On prononcera malédiction
sur le Législateur indiscret et téméraire. Déjà en butte aux prêtres,
comment n’a-t-il pas craint de leur donner les femmes de lettres pour
auxiliaires ? La coalition des femmes de lettres et des prêtres,
est une rude chose ; mais que pourra-t-elle si les bons esprits, si les
têtes saines opposent leur égide, et placent cette Loi sous le bouclier
de la raison ?
Les bonnes mères de famille, les excellentes femmes de ménage, les
épouses sensibles, les jeunes filles naïves et toutes naturelles,
vengées enfin du méprisant abandon où on les reléguait, sauront
peut-être quelque gré au Rédacteur de cette Loi, et rendront justice à
la pureté de ses intentions.
Nous ne sommes point dupes (s’écrieront quelques flatteurs des
femmes) des ménagements qu’on prend ici pour faire entendre que les deux
sexes ne doivent pas être rangés précisément sur la même ligne, dans la
grande échelle des êtres, et qu’il faut placer un sexe au-dessous de
l’autre.
Il faut répondre : ce n’est point là du tout la pensée du Législateur
des femmes. Dans le plan qu’il s’est tracé de la nature, il n’y a pas
un seul être inférieur à
un autre. Toutes les productions sorties de ses mains sont autant de
chef-d’œuvres ; et parmi une infinité de chef-d’œuvres, il seroit
absurde d’établir ou de supposer des préférences.
Les deux sexes sont parfaitement égaux ; c’est-à-dire, aussi parfaits
l’un que l’autre, dans ce qui les constitue. Rien dans la nature n’est
comparable à un bel homme, qu’une belle femme.
Ajoutons pour finir : il n’y a rien de plus laid au monde qu’un homme singeant la femme, si ce n’est une femme singeant l’homme.
Ce Projet de Loi ne pouvait paraître plus à propos, qu’au moment où l’on s’occupe de l’organisation définitive des études.
Vous remarquerez que dans son rapport, si estimable, sur
l’Instruction publique, Chaptal garde le plus profond silence touchant
les femmes ; il ne leur suppose aucunement la nécessité d’apprendre à
lire, à écrire, etc. Partagerait-il l’opinion que leur esprit naturel n’a pas besoin de culture ?
AUX FEMMES.
Si l’on vous interdit l’arbre de la science,
Conservez sans regret votre douce ignorance,
Gardienne des vertus, et mère des plaisirs ;
À des jeux innocents consacrez vos loisirs, etc.
PROJET
D’UNE LOI,
Portant défense d’apprendre à lire aux Femmes.
MOTIFS DE LA LOI.
Considérant :
1o. Que l’amour
honnête, le chaste hymen, la tendresse maternelle, la piété filiale, la
reconnaissance des bienfaits… etc., sont antérieurs à l’invention de
l’alphabet et de l’écriture, et à l’étude des langues ; ont subsisté, et
peuvent encore subsister sans elles.
Considérant :
2o. Les inconvénients graves qui résultent pour les deux sexes, de ce que les femmes sachent lire.
Considérant :
3o. Qu’apprendre à
lire aux femmes est un hors-d’œuvre, nuisible à leur éducation
naturelle : c’est un luxe dont l’effet fut presque toujours l’altération
et la ruine des mœurs.
Considérant :
4o. Que cette fleur
d’innocence qui caractérise une vierge, commence à perdre de son
velouté, de sa fraîcheur, du moment que l’art et la science y touchent,
du moment qu’un maître en approche. La première leçon que reçoit une
jeune fille est le premier pas qu’on l’oblige à faire pour s’éloigner de la nature.
Considérant :
5o. Que l’intention de
la bonne et sage nature a été que les femmes exclusivement occupées des
soins domestiques, s’honoreraient de tenir dans leurs mains, non pas un
livre ou une plume, mais bien une quenouille ou un fuseau.
Considérant :
6o. Combien une femme
qui ne sait pas lire est réservée dans ses propos, pudibonde dans ses
manières, parcimonieuse en paroles, timide et modeste hors de chez elle,
égale et indulgente… Combien, au contraire, celle qui sait lire et
écrire a de penchant à la médisance, à l’amour propre, au dédain de tous
ceux et de toutes celles qui en savent un peu moins…
Considérant :
7o. Combien il est dangereux de cultiver l’esprit des femmes, d’après la Réflexion morale de la Rochefoucault qui les connaissait si bien : « L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. »
Considérant :
8o. Que la nature
elle-même, en pourvoyant les femmes d’une prodigieuse aptitude à parler,
semble avoir voulu leur épargner le soin d’apprendre à lire, à écrire. (...)
Considérant :
10o. « Que chaque sexe a son rôle. Celui de
l’homme étant d’instruire et de protéger, suppose une organisation
forte dans toutes ses parties. Le rôle de la femme doit être bien moins
prononcé. Douceur et sensibilité en sont les deux principaux caractères.
Tous ses droits, tous ses devoirs, tous ses talents se bornent là, et ce
lot vaut peut-être bien l’autre. »
Considérant :
11o. « Que la société
civile, dans la distribution de ses rôles, n’en a donné qu’un passif aux
femmes. Leur empire a pour limites le seuil de la maison paternelle ou
maritale. C’est là qu’elles règnent véritablement. C’est là que, par
leurs soins journaliers, elles dédommagent les hommes des travaux et des
peines qu’ils endurent hors de leurs foyers. Compagnes tendres et
soumises, les femmes ne doivent prendre d’autre
ascendant que celui des graces et des vertus privées ; et ce plan de
conduite, conforme à la nature, a constamment rendu heureuses celles qui
ont eu le bon esprit de ne pas porter leurs vues plus haut. La félicité
du genre humain repose, toute, sur les mœurs domestiques. »
Considérant :
12o. Que les hommages
que le premier sexe s’est fait une douce habitude de rendre à l’autre,
ne sont point adressés au savoir des femmes, mais seulement à leurs
grâces et à leurs vertus.
Considérant :
13o. Que les femmes qui se targuent de savoir lire et de bien écrire, ne sont pas celles qui savent aimer le mieux.
L’esprit et le talent refroidissent le cœur.
S…
Considérant :
14o. Que la
coquetterie d’esprit est dans les femmes un travers qui, comme l’autre
coquetterie, mène au ridicule, et quelquefois au scandale. (...)
Considérant :
Considérant :
25o. Combien les romans et les ouvrages de dévotion font de ravage dans le tendre cerveau des femmes.
Considérant :
26o. Combien la lecture est contagieuse : sitôt qu’une femme ouvre un livre, elle se croit en état d’en faire ;
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut. (...)
Considérant :
31o. Que pour l’ordinaire, une femme perd de ses grâces et même de ses mœurs, à mesure qu’elle gagne en savoir et en talents.
Pour peu qu’elle sache lire et écrire, une femme se croit émancipée,
et hors de la tutelle où la nature et la société l’ont mise pour son
propre intérêt.
Considérant :
32o. Que la cause
supprimée, l’effet tombe de lui-même : ainsi, les femmes ne sachant plus
lire, ne nous offriront plus le risible travers de ces diplomates
femelles, qui du fond d’un boudoir, le Publiciste à la main, disposent des empires, font la part aux rois, aux républiques… etc.
Considérant :
33o. Que la qualité de femme qui sait lire, n’ajoute rien aux titres sublimes et touchants de bonne fille, bonne épouse et bonne mère, ni aux moyens d’en remplir les devoirs doux et sacrés.
Considérant :
34o. Que la place
d’une femme n’est point sur les bancs d’une école, encore moins dans une
chaire de théologie, de physique ou de droit, comme il s’est vu plus
d’une fois à Bologne, en Italie.
Considérant :
36o. Que les femmes
ayant reçu une organisation physique plus frêle et un caractère moral
moins décidé que les hommes ; l’étude des lettres n’est pas un puissant
moyen de donner de la force et de l’énergie. De l’aveu des philosophes
eux-mêmes, les lettres énervent quand elles ne corrompent point.
Fénélon a dit :
« Les femmes ont, d’ordinaire, l’esprit encore plus faible que les hommes. »
Voyez son traité de l’éducation des filles.
Considérant :
37o. Que les femmes les mieux instruites, les
plus savantes n’ont jamais enrichi les sciences et les arts d’aucune
découverte. « Il n’y a jamais eu de femmes inventrices » dit Voltaire dans ses Questions Encyclop. L’invention de la gaze n’est pas même due à une femme.
Considérant :
38o. Que, quoiqu’on en
ait dit, l’esprit et le cœur ont un sexe comme le corps dans la
dépendance duquel ils sont tous deux, le moral et le physique étant unis
d’une intimité si étroite qu’ils ne font qu’un.
Considérant :
39o. La mort précoce de
plusieurs jeunes filles que leurs mères avaient condamnées à l’étude des
langues et à d’autres sciences toutes aussi peu compatibles aux forces
et aux goûts naturels d’une jeune personne.
Considérant :
40o. Que presque toujours quand les femmes tiennent la plume, c’est un homme qui la taille. Le mathématicien Clairaut rendit ce service à madame Duchatelet.
Colletet faisait les vers de sa servante, devenue sa femme.
Considérant :
41o. Que, les femmes
n’étant assujetties à aucune charge publique, à aucune fonction
administrative, n’ayant pas même droit aux fauteuils de l’Institut, elles n’ont nul besoin de savoir lire, écrire…
Considérant :
42o. Que les femmes ont trop d’occupations dans leur ménage, pour trouver du temps de reste et à perdre en lectures, écritures…
Considérant :
43o. Que les douces
fonctions de la vie privée sont assez multipliées pour occuper toute
entière une femme de mérite ; et que celle qui embrasse la profession
d’écrire, n’est pas moins ridicule que ces soldats qui pendant les
loisirs de la caserne, prennent l’aiguille de la marchande de modes, ou
le tambour de la brodeuse. »
(Galerie Univ. des Hommes illustres, in-4o. Art. Voltaire. Notes.)
Considérant :
44o. Qu’il y a scandale et discorde dans un ménage, quand une femme en sait autant ou plus que le mari.
Considérant :
45o. Combien doit être difficile le ménage d’une femme qui fait des livres, unie à un homme qui n’en sait pas faire.
Considérant :
46o. Combien la
première éducation des enfans, nécessairement confiée à leur mère,
souffre quand la mère est distraite de ses devoirs par la manie du bel
esprit.
« La couvée est mal tenue, quand la poule veut chanter aussi haut que le coq, » dit un vieux proverbe.
Considérant :
47o. Que l’art de plaire et la science du ménage ne s’apprennent pas dans les livres.
L’art d’aimer d’Ovide n’a rien appris aux femmes.
Considérant :
48o. Combien il est ridicule et révoltant de voir
une fille à marier, une femme en ménage ou une mère de famille enfiler
des rimes, coudre des mots, et pâlir sur une brochure, tandis que la
mal-propreté, le désordre ou le manque de tout se fait sentir dans
l’intérieur de la maison.
Considérant :
52o. Combien les
femmes deviennent négligentes, paresseuses, hautaines, exigeantes,
acariâtres, peu soumises, pour peu qu’elles sachent lire et écrire ;
combien est insoutenable celle qui vise à l’esprit ou au savoir, celle
qui parle comme un livre.
Considérant :
53o. Que depuis qu’on
rencontre dans toutes les professions, des femmes qui savent lire, la
nourrice fait jeûner son nourrisson ; la marchande néglige son comptoir,
et la cuisinière son service ; l’ouvrière commence plus tard et finit
plus tôt sa journée ; la coëffeuse distraite brûle la blonde chevelure
de sa dame ; la garde-malade et l’épicière-droguiste tuent leurs malades
par des qui-pro-quo ; et la jeune fille devenue raisonneuse, dit que sa maman radote, et traite son papa de bon-homme.
(à suivre ici)
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