Que signifie « être soi » quand les
contraintes sociales et idéologiques vous imposent un
rôle et une place que vous n'avez pas choisis ? Et dans la position qui est la leur, que deviennent les rêves, les passions, les ambitions de Louise, d'Emilie et de toutes ces autres femmes du monde ?
-Prenons d'abord le cas de Louise Dupin. Entre 1740 et 1750, l'épouse du fermier général travaille à l’écriture d’un très volumineux ouvrage (environ 2000 pages réparties en 47 chapitres) consacré à la défense des femmes.
Au final, cet essai ne sera jamais publié, ni à l’étranger, ni même sous couvert de l'anonymat.
Comment expliquer ce renoncement ?
En femme lucide et consciente des usages de son temps, sans doute a-t-elle voulu s'éviter le ridicule de ces femmes savantes dont Molière riait déjà un siècle plus tôt. Au XVIIIè, le champ littéraire de la femme demeure en effet circonscrit aux genres mineurs tels que le conte ou les petits vers. Les sujets sérieux, ceux traités dans les ouvrages d'esprit, restent par tradition réservés aux hommes. Au mieux, on se moquerait d'une femme qui se mêlerait de participer à ces débats ; au pire, on l’accuserait de ne pas être l'auteur de ses livres.
En femme lucide et consciente des usages de son temps, sans doute a-t-elle voulu s'éviter le ridicule de ces femmes savantes dont Molière riait déjà un siècle plus tôt. Au XVIIIè, le champ littéraire de la femme demeure en effet circonscrit aux genres mineurs tels que le conte ou les petits vers. Les sujets sérieux, ceux traités dans les ouvrages d'esprit, restent par tradition réservés aux hommes. Au mieux, on se moquerait d'une femme qui se mêlerait de participer à ces débats ; au pire, on l’accuserait de ne pas être l'auteur de ses livres.
Ce renoncement s'explique également par la position que tient Louise au sein de la famille Dupin. Quand on tient salon au service d’un époux, ce serait faire du tort à sa réputation
que de prétendre rivaliser avec les auteurs ou les scientifiques qu’on reçoit.
Parmi les salonnières du XVIIIè, j’entends celles qui ont duré, aucune n'a
jamais pris le risque d’assumer le
statut d’écrivain ou de « bel esprit ».
Mme du Deffand regrettait d'ailleurs : « j’ai le
malheur de passer pour un bel esprit, et cette impertinente et malheureuse
réputation me met en butte à tous les étalages »
Et Louise d’Epinay de constater : « une femme a grand tort et n’acquiert que du
ridicule lorsqu’elle s’affiche pour savante ou pour bel esprit et qu’elle croit
pouvoir en soutenir la réputation »
-Cette dernière fait
pourtant partie de ce petit groupe de femmes qui ont longuement hésité à investir ce champ littéraire réservé aux hommes.
C’est en 1757, alors qu’elle est déjà séparée de son époux, qu’elle
ose franchir le pas. Mais son 1er ouvrage consacré à l’éducation de ses enfants est
imprimé à Genève, où Louise d'Epinay séjourne, et il n’est distribué qu’à un petit nombre
d’amis.
Son émancipation sera progressive, d'une part parce qu'elle est
séparée de son mari, et d'autre part parce qu'elle bénéficie du soutien de son amant Grimm et
d’autres amis moins traditionalistes comme Diderot.
Son immense roman autobiographique restera pourtant dans les tiroirs et ne paraîtra
qu’après son mort.
Finalement, c'est en 1774 (10 ans avant
sa mort) qu'elle publie un nouvel ouvrage de pédagogie intitulé les conversations d’Emilie. Il connaîtra un grand succès (jusqu’à être traduit en
russe) et vaudra même un pris littéraire à son auteur.
Consciente du risque qu’elle prend, elle écrit pourtant à l’un de ses
correspondants : « je ne vous
en parle pas parce que j’attends quelques bonnes plaisanteries de votre part (…)
quand il sera fini, je vous donne carrière, et je serai la première à en rire
avec vous »
Tout cela n’est que posture ; en fait, elle est très attachée à son
sujet, à l’écriture de son livre, et à l’idée de partager ses idées avec les femmes de son temps.
On parlera pour finir d’Emilie du
Châtelet, de cette ambition qu’elle a osé mener à son terme sans crainte
aucune d’être moquée par ses contemporains.
Au contraire de bien d’autres, Emilie a toujours privilégié
sa propre personne (ses passions) au détriment de sa réputation, de son époux, de
ses enfants, et même de ses amants.
Précisons au passage que sa situation personnelle (loin de Paris, elle aussi séparée
de son mari, et habilement secondée par Voltaire), a grandement facilité son ambition scientifique.
Grâce à l’instruction solide qu’elle a eue dans sa jeunesse, grâce à des
maitres prestigieux comme Maupertuis, Emilie est devenue la seule grande
scientifique de son temps.
Elle a par ailleurs été la 1ère à traduire les ouvrages de Newton et à introduire ses théories en France.
Evidemment, cela lui a valu des méchancetés inimaginables, notamment de la part de Mme du Deffand :
« On dit qu'elle étudie la
géométrie pour parvenir à entendre ses livres. La science est un problème
difficile à résoudre : elle en parle comme Sganarelle parlait latin devant
ceux qui ne le savaient pas… […] Quelque célèbre que soit madame du Châtelet,
elle ne serait pas satisfaite si elle n'était pas célébrée, et c'est encore à
quoi elle est parvenue en devenant l'amie déclarée de M. de Voltaire ;
c'est lui qui donne de l'éclat à sa vie et c'est à lui qu'elle devra
l'immortalité. »
Avec Louise d'Epinay, elle fut pourtant l'une des rares femmes du siècle à oser s'avancer au devant de la scène, parmi les grands hommes de son temps, et à y jouer sa propre partition.
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