Comme je comprends l'amertume d'une Louise d'Epinay, d'une Louise Dupin, ou encore d'une Marie du Deffand, parvenues à l'âge adulte, nourrissant des ambitions intellectuelles, mais se découvrant impuissantes à les concrétiser !
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Quelles pouvaient être leurs réactions en lisant les règlements des communautés religieuses dont elles étaient pour la plupart issues ? Prenons au hasard celui de Ste-Anne, dépendant de la paroisse de St-Roch à Paris :
"...il
ne faut pas exiger d'elles (des filles) plus que Dieu leur a donné et qu'elles peuvent
faire, si on ne peut pas tirer d'avantage il suffit qu'elles croient ce qui est
nécessaire et qu'elles soient de bonnes mœurs"
Puisqu'elles sont inférieures aux hommes, puisqu'elles s'avèrent incapables d'appréhender les matières les plus complexes, qu'elles soient au moins de bonnes moeurs !
On s'en contentera bien...
Et on se passera de leur enseigner les mathématiques, les sciences, les langues vivantes, ou encore les langues anciennes ! Pensez donc, à quoi cela leur servirait-il ?
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J'ai lu et entendu des absurdités sans nom sur le supposé humanisme chrétien au XVIIIè. Et notamment que l'Eglise aurait travaillé à la scolarisation progressive des jeunes filles tout au long de ce siècle. Rendez-vous compte ! 60% d'entre elles savaient signer un document au moment des Etats Généraux (seulement 30% d'entre elles un siècle plus tôt) !
Une politique des plus nobles, n'est-ce pas ?
Encore faut-il s'interroger sur les finalités de cet enseignement.
"Le
défaut d'éducation et d'instruction des jeunes filles a toujours été et est en
effet la source de la plupart des dérèglements qu'on voit avec douleur au
milieu du christianisme" nous apprend le règlement d'une école charitable de l'époque.
Encourager la dévotion et les exercices de piété chez les jeunes filles, c'est donc s'assurer que ces futures mères transmettront ces pratiques et valeurs dans la cellule familiale.
Tenir la mère, c'est tenir les enfants.
C'est donc garder son emprise sur l'ensemble de la communauté sociale.
Je comprends le raisonnement des autorités ecclésiastiques. Confrontées à la dissidence protestante (qu'elles avaient déjà éliminée) et à la mouvance janséniste (qu'elles ne parvenaient pas à éliminer), elles étaient bien conscientes de voir leur influence diminuer. Combien de fois se sont-elles désolées de constater que les fidèles désertaient les églises le dimanche matin, et plus encore au moment des vêpres et les jours de fêtes?
Voyez cet évêque qui, supprimant certains jours de fêtes dans son diocèse, s'expliquait de la sorte : "c'est ce qui nous a déterminés à cette suppression qui, en diminuant le nombre des Fêtes, vous fera un nouveau motif pour célébrer plus chrétiennement celles qui subsisteront..."
Ou cet autre, se justifiant ainsi : "que le saint jour du dimanche et les autres fêtes réservées fussent plus religieusement observées"
Quel meilleur instrument que la jeune fille (la future mère) pour ramener dans le droit chemin (l'Eglise) les brebis égarées (l'époux, les enfants).
Bien loin d'être guidée par des motifs humanistes, l'Eglise a surtout vu dans ces jeunes filles un coeur de cible essentiel dans sa stratégie de reconquête spirituelle.
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Oui, je comprends leur amertume, à ces femmes d'exception. C'est au contact des grands esprits de leur temps qu'elles ont pris conscience de ce qu'on avait fait d'elles.
Des oiseaux amputés de leurs ailes...
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