mardi 19 juillet 2011

Rousseau vu par George Sand

Datée de 1841, cette édition des Confessions est précédée d'une préface de George Sand. Comme à son habitude, la romancière a la dent dure pour les ennemis du Genevois.
Par ailleurs, faut-il le rappeler, le grand-père de George Sand se nommait Dupin de Francueil, beau-fils de Louise Dupin et amant de Louise d'Epinay. Cela explique peut-être le regard particulièrement acéré que pose George Sand sur ces hommes...

"Les penseurs, les grands hommes, de leur côté, toujours rebutés par le spectacle de cette corruption, et toujours exaltés par le rêve d'un état meilleur, arrivent aisément à l'orgueil, à l'isolement, au dédain, à l'humeur sombre et méfiante; heureux quand ils s'arrêtent à l'hypocondrie, et ne vont pas jusqu'à l'égarement du désespoir.
De là Jean-Jacques, d'une part, Jean-Jacques le penseur, l'homme de génie et de méditation, le grand homme misérable, injuste et désespéré ; de l'autre Voltaire, Diderot et les Holbachiens, les hommes du jour, les critiques pleins d'action et de succès ( applicateurs de la philosophie du dixhuitième siècle), désorganisant la société sans songer sérieusement au lendemain, pensant, dénigrant et philosophant avec la multitude; hommes puissants, hommes forts, hommes nécessaires, chers au public, portés en triomphe, écrasant et méprisant le misanthrope Rousseau, au lieu de le défendre ou de le venger des arrêts de l'intolérance religieuse, contre lesquels il semble qu'ils eussent dû, conformément à leurs principes, faire cause commune avec lui.
C'est que ces hommes si forts pour détruire ( et la destruction était l'œuvre de cette époque-là , œuvre moins sublime, mais aussi utile, aussi nécessaire que l'était l'œuvre de Jean-Jacques), c'est, dis-je, que ces hommes d'activité et de popularité ne méritaient pas, rigoureusement parlant, le titre de philosophes. On les appelait ainsi parce que c'était la mode : tout ce qui n'était pas catholique ou protestant s'appelait philosophe. Mais ils n'étaient, à vrai dire, que des critiques d'un ordre élevé. Ce qui prouve la différence entre eux et Jean-Jacques, c'est que, dès ce temps, dans le monde on appelait Jean-Jacques le philosophe, comme si on eût senti qu'il était le seul. On disait de Voltaire le philosophe de Ferney. Il était un de ces philosophes du siècle, le plus grand, le plus puissant dans cet ordre de forces. Mais Jean-Jacques était le philosophe de tous les temps, comme celui de tous les pays. Les définitions instinctives d'une époque ont parfois un sens plus profond qu'on ne pense."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...