lundi 30 janvier 2012

Sentiment des Citoyens (1)


 Ce petit pamphlet anonyme est paru en 1764 à Genève. L'auteur s'en prend violemment à Rousseau, alors installé à Môtiers.
En voici la première partie.

"Après les Lettres de la campagne sont venues celles de la montagne. Voici les sentiments de la ville : 
On a pitié d’un fou ; mais quand la démence devient fureur, on le lie. La tolérance, qui est une vertu, serait alors un vice. 
Nous avons plaint Jean-Jacques Rousseau, ci-devant citoyen de notre ville, tant qu’il s’est borné dans Paris au malheureux métier d’un bouffon qui recevait des nasardes à l’Opéra, et qu’on prostituait marchant à quatre pattes sur le théâtre de la Comédie. A la vérité, ces opprobres retombaient en quelque façon sur nous : il était triste pour un Genevois arrivant à Paris de se voir humilié par la honte d’un compatriote. Quelques-uns de nous l’avertirent, et ne le corrigèrent pas. Nous avons pardonné à ses romans, dans lesquels la décence et la pudeur sont aussi peu ménagées que le bon sens ; notre ville n’était connue auparavant que par des moeurs pures et par des ouvrages solides qui attiraient les étrangers à notre Académie : c’est pour la première fois qu’un de nos citoyens l’a fait connaître par des livres qui alarment les moeurs, que les honnêtes gens méprisent, et que la piété condamne. 
Lorsqu’il mêla l’irréligion à ses romans, nos magistrats furent indispensablement obligés d’imiter ceux de Paris et de Berne, dont les uns le décrétèrent et les autres le chassèrent. Mais le conseil de Genève, écoutant encore sa compassion dans sa justice, laissait une porte ouverte au repentir d’un coupable égaré qui pouvait revenir dans sa patrie et y mériter sa grâce. 
Aujourd’hui la patience n’est-elle pas lassée quand il ose publier un nouveau libelle dans lequel il outrage avec fureur la religion chrétienne, la réformation qu’il professe, tous les ministres du saint Évangile, et tous les corps de l’État ? La démence ne peut plus servir d’excuse quand elle fait commettre des crimes. 
Il aurait beau dire à présent : Reconnaissez ma maladie du cerveau à mes inconséquences et à mes contradictions, il n’en demeurera pas moins vrai que cette folie l’a poussé jusqu’à insulter Jésus-Christ, jusqu’à imprimer que « l’Évangile est un livre scandaleux, téméraire, impie, dont la morale est d’apprendre aux enfants à renier leur mère et leurs frères, etc. » Je ne répéterai pas les autres paroles, elles font frémir. Il croit en déguiser l’horreur en les mettant dans la bouche d’un contradicteur ; mais il ne répond point à ce contradicteur imaginaire. Il n’y en a jamais eu d’assez abandonné pour faire ces infâmes objections et pour tordre si méchamment le sens naturel et divin des paraboles de notre Sauveur. Figurons-nous, ajoute-t-il, une âme infernale analysant ainsi l’Évangile. Eh! qui l’a jamais ainsi analysé ? Où est cette âme infernale ? La Métrie, dans son Homme-machine, dit qu’il a connu un dangereux athée dont il rapporte les raisonnements sans les réfuter. On voit assez qui était cet athée ; il n’est pas permis assurément d’étaler de tels poisons sans présenter l’antidote...."

2 commentaires:

  1. S'agit-il du texte intégral de Voltaire ?

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  2. J'in intégré la 2nde partie du pamphlet le 6 février 2012 (taper "sentiment des citoyens" ds la barre de recherche). OM

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