Jean-Antoine
Rigoley de Juvigny (1709-1788)
De la
décadence des lettres et des mœurs (publié en 1787)
L’esprit
destructeur qui domine aujourd’hui, n’a plus rien qui l’arrête. Le
philosophisme a pénétré partout, a tout corrompu, les Lettres, les Sciences
et les Arts. La suite de cette affligeante révolution a été la dépravation
générale des mœurs. Eh ! Comment se seraient-elles conservées pures, quand
un luxe dévorant creuse à chaque instant l’abîme de la misère et concourt de
jour en jour à les corrompre ? Quand tout respire un esprit d’indépendance
et de liberté qui nous porte à briser les liens qui nous attachent à l’Etat et
à la Société, et fait de nous des égoïstes également indifférents au mal comme
au bien, à la vertu comme au vice ? Quand une ingrate et fausse philosophie
cherche à éteindre dans nos cœurs la piété filiale, l’amour que nous
apportons, en naissant, pour nos Rois et l’attachement que nous devons à notre
patrie ? Quand le mérite timide et le savoir modeste ne sont ni protégés
ni récompensés, tandis que l’ignorance intrigante et présomptueuse trouve
partout des protecteurs qui lui ressemblent ? Quand, en un mot, on a perdu
toute idée de devoir, tout principe, toute règle de conduite et tout sentiment
de religion ?
Baron Pierre-Victor
de Benseval (1721-1791, Mémoires sur la cour de France, (publié
en 1987)
Il y a,
je le sais, des choses à réformer ; mais la pire est la licence des
philosophes, espèce d’hommes qui, joignant des études sérieuses à des bouffées
d’indépendance et de rébellion, apportent dans la société l’abus des
connaissances. L’orgueil fait la base de leur caractère, et l’égoïsme est leur
maxime fondamentale. Voltaire est leur patriarche et les dédaigne. Ils ont
adopté le mépris qu’il affiche de tous les principes ; mais n’ayant pas sa
grâce pour colorer leur doctrine, ils ne sont que des pédants fort
dangereux. Ils attaquent la religion parce qu’elle est un frein, et l’autorité
des rois, pour la même raison. Ils prêchent l’égalité des conditions pour
niveler tout ce qui s’élève au-dessus d’eux ; enfin, ils opèrent par leurs
écrits ce qu’on faisait, dans les jours d’ignorance, par les conjurations, par
le poison et le fer. Les rois s’endorment là-dessus ; l’Eglise lance des
foudres perdues ; le Parlement brule un livre, pour le multiplier ;
l’avenir est menacé des terribles effets de cette insouciance ; elle sera
le germe de grands malheurs.
Vicomte
Louis de Bonald (1754-1840), article paru dans le Mercure de France (publié
en 1806)
« Voltaire, me dira le philosophe
de ce siècle le plus profond en doctrine révolutionnaire, Voltaire a fait tout
ce que nous voyons » et je ne sais si aux yeux du juge suprême, qui pèse
au poids du sanctuaire nos erreurs et nos vertus, Voltaire peut être absous du bien qu’il a fait par le mal
qu’il a occasionné. Il observait si l’on veut, la petite morale ; mais il
bouleversait la grande ; et en bâtissant un village, il démolissait
l’Europe. JJ Rousseau, autre écrivain qui eut aussi l’ambition d’être le
précepteur du genre humain, n’a pas laissé grâce à ses Confessions, la même ressource à ses admirateurs ; et il est
difficile de justifier les erreurs de ses écrits par la sagesse de sa conduite.
Il est même quelques actions de sa vie qu’on essaierait vainement de rejeter
sur l’indépendance un peu sauvage de son génie, et qu’on ne peut charitablement
attribuer qu’au désordre prouvé de sa raison. (…) Mais en vérité, lorsque l’on
voit des écrivains doués, quelques-uns, des plus rares talents, et qui, tous ensemble,
ont pris un si haut ascendant sur leur siècle, traiter la philosophe par
hyperboles, publier sur les objets les plus importants, leurs conceptions
hardies qu’on ne doit pas prendre à la
rigueur, et faire ainsi, avec une inconcevable témérité, de l’esprit
sur les lois, les mœurs, la religion, l’autorité politique, au milieu de la
société, et en présence de toutes les passions ; on ne peut s’empêcher de
les comparer à des enfants qui, dans leurs jeux imprudents, tranquilles sur des
dangers qu’ils ne soupçonnent même pas, s’amuseraient à tirer des feux
d’artifice dans un magasin à poudre.
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