dimanche 9 septembre 2012

Le discours antiphilosophique

Aujourd'hui oublié, le discours antiphilosophique du XVIIIè siècle ne se résume pas à la thématique jésuitique. Voici quelques passages extraits de pamphlets écrits par des opposants littéraires ou encore politiques.


Jean-Antoine Rigoley de Juvigny (1709-1788)
De la décadence des lettres et des mœurs (publié en 1787)   

L’esprit destructeur qui domine aujourd’hui, n’a plus rien qui l’arrête. Le philosophisme a pénétré partout, a tout corrompu, les Lettres, les Sciences et les Arts. La suite de cette affligeante révolution a été la dépravation générale des mœurs. Eh ! Comment se seraient-elles conservées pures, quand un luxe dévorant creuse à chaque instant l’abîme de la misère et concourt de jour en jour à les corrompre ? Quand tout respire un esprit d’indépendance et de liberté qui nous porte à briser les liens qui nous attachent à l’Etat et à la Société, et fait de nous des égoïstes également indifférents au mal comme au bien, à la vertu comme au vice ? Quand une ingrate et fausse philosophie cherche à éteindre dans nos cœurs la piété filiale, l’amour que nous apportons, en naissant, pour nos Rois et l’attachement que nous devons à notre patrie ? Quand le mérite timide et le savoir modeste ne sont ni protégés ni récompensés, tandis que l’ignorance intrigante et présomptueuse trouve partout des protecteurs qui lui ressemblent ? Quand, en un mot, on a perdu toute idée de devoir, tout principe, toute règle de conduite et tout sentiment de religion ?




Baron Pierre-Victor de Benseval (1721-1791, Mémoires sur la cour de France, (publié en 1987)

Il y a, je le sais, des choses à réformer ; mais la pire est la licence des philosophes, espèce d’hommes qui, joignant des études sérieuses à des bouffées d’indépendance et de rébellion, apportent dans la société l’abus des connaissances. L’orgueil fait la base de leur caractère, et l’égoïsme est leur maxime fondamentale. Voltaire est leur patriarche et les dédaigne. Ils ont adopté le mépris qu’il affiche de tous les principes ; mais n’ayant pas sa grâce pour colorer leur doctrine, ils ne sont que des pédants fort dangereux. Ils attaquent la religion parce qu’elle est un frein, et l’autorité des rois, pour la même raison. Ils prêchent l’égalité des conditions pour niveler tout ce qui s’élève au-dessus d’eux ; enfin, ils opèrent par leurs écrits ce qu’on faisait, dans les jours d’ignorance, par les conjurations, par le poison et le fer. Les rois s’endorment là-dessus ; l’Eglise lance des foudres perdues ; le Parlement brule un livre, pour le multiplier ; l’avenir est menacé des terribles effets de cette insouciance ; elle sera le germe de grands malheurs. 




Vicomte Louis de Bonald (1754-1840), article paru dans le Mercure de France (publié en 1806)
 « Voltaire, me dira le philosophe de ce siècle le plus profond en doctrine révolutionnaire, Voltaire a fait tout ce que nous voyons » et je ne sais si aux yeux du juge suprême, qui pèse au poids du sanctuaire nos erreurs et nos vertus,  Voltaire peut être absous du bien qu’il a fait par le mal qu’il a occasionné. Il observait si l’on veut, la petite morale ; mais il bouleversait la grande ; et en bâtissant un village, il démolissait l’Europe. JJ Rousseau, autre écrivain qui eut aussi l’ambition d’être le précepteur du genre humain, n’a pas laissé grâce à ses Confessions, la même ressource à ses admirateurs ; et il est difficile de justifier les erreurs de ses écrits par la sagesse de sa conduite. Il est même quelques actions de sa vie qu’on essaierait vainement de rejeter sur l’indépendance un peu sauvage de son génie, et qu’on ne peut charitablement attribuer qu’au désordre prouvé de sa raison. (…) Mais en vérité, lorsque l’on voit des écrivains doués, quelques-uns, des plus rares talents, et qui, tous ensemble, ont pris un si haut ascendant sur leur siècle, traiter la philosophe par hyperboles, publier sur les objets les plus importants, leurs conceptions hardies qu’on ne doit pas prendre à la rigueur, et faire ainsi, avec une inconcevable témérité, de l’esprit sur les lois, les mœurs, la religion, l’autorité politique, au milieu de la société, et en présence de toutes les passions ; on ne peut s’empêcher de les comparer à des enfants qui, dans leurs jeux imprudents, tranquilles sur des dangers qu’ils ne soupçonnent même pas, s’amuseraient à tirer des feux d’artifice dans un magasin à poudre.

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