jeudi 13 septembre 2012

Jansénistes, Jésuites et Philosophes (3)

(lire le début ici)

Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, l'offensive des apologistes chrétiens contre les Encyclopédistes ne se réduit pas à l'anathème ou à l'intimidation. On recense au cours du XVIIIè siècle près de 800 ouvrages apologétiques destinés à raffermir la Foi du chrétien ébranlé par les nouvelles théories.
Fénelon
Ainsi, le recours à la beauté et à la perfection du monde (impliquant l'existence d'un créateur) constitue un argument maintes fois asséné dans les traités religieux de la 1ère moitié du siècle. Plus tard, des auteurs tels que B. de Saint-Pierre (Paul et Virginie) puis Chateaubriand (Génie du Christianisme) reprendront ce thème à leur compte. Aujourd'hui encore, les tenant du "dessein intelligent" (intelligent design) s'inscrivent dans la lignée d'apologistes du XVIIIè tels que Fénelon ou Pluche. Si ces providentialistes ont été raillés par Voltaire dans Candide (souvenons-nous du "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes", leitmotiv du précepteur Pangloss), il faut bien reconnaître que certains de leurs discours apparaissent aujourd'hui d'une naïveté confondante : "Quant aux océans," prétend l'abbé Pluche dans Le Spectacle de la nature, "on sait qu'ils ont été créés tout exprès pour permettre la navigation et donc favoriser le rapprochement des peuples ! Dieu n'a-t-il pas créé la terre en position droite pour que nous puissions avoir un printemps éternel ? La nature contribue à la civilisation."
abbé Pluche
La 2nde moitié du siècle va voir s'infléchir les positions des apologistes chrétiens : la plupart renoncent progressivement aux références à l'Ecriture sainte ou encore aux preuves métaphysiques de l'existence de Dieu ; d'autres tentent même de montrer que la religion constitue la meilleur voie pour atteindre le bonheur individuel et social (alors que les Encyclopédistes leur reprochent de privilégier un au-delà douteux). Dans un difficile exercice d'équilibriste, certains théologiens parviennent bientôt à concilier la quête d'un bonheur dans l'au-delà et celle du bien-être terrestre. Ainsi, l'abbé Yvon écrit : "Si de quelque côté qu'on envisage la Religion chrétienne, on en voit sortir des rayons de lumière qui en démontrent la vérité, pour peu qu'on la presse par les mêmes endroits, il est facile d'en extraire un suc délicieux qui fait désirer de recueillir les fruits qu'on goûte en son sein." Alors qu'on l'accuse souvent d'être contraignante, la pratique religieuse devient ici source de plaisir immédiat et même de désir !
A la fin du siècle, l'aspiration de l'homme à un bonheur terrestre est devenue légitime dans la plupart des traités religieux. On ne fait plus le bien pour obéir aux impératifs des Evangiles, mais parce que l'acte vertueux profite à tous et qu'il favorise la sociabilité ! En déplaçant leur argumentaire sur le terrain de leurs adversaires (les valeurs mondaines) et en délaissant la notion de l'absolu divin, les apologistes chrétiens reconnaissent déjà leur défaite
(à suivre)

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