vendredi 4 août 2017

La Monarchie protectrice des travailleurs, par Marion Sigaut

           

A entendre Marion Sigaut, on pourrait croire que les problèmes d'accaparement (le fait de stocker clandestinement le grain) sont apparus lors de l'expérience libérale menée au cours des années 1763-1770.
Rappelons au passage que si les physiocrates ont alors été entendus par le roi, c'est qu'ils proposaient une réponse aux problèmes qui minaient depuis toujours l'agriculture du royaume. A savoir :
- une fiscalité indirecte inextricable et décourageante qui constituait un frein à l'activité.
- une circulation des grains quasi inexistante entre provinces, notamment en période de disette dans telle ou telle région.
- la question des accapareurs, mentionnée tout au long du siècle dans les journaux et gazettes.

Pour rappel, l'édit royal du 19 avril 1723 faisait déjà "défense à toute personne de faire aucun amas de grains", ordonnant de les porter "chaque semaine aux plus prochains marchés", interdisant aux marchands de "les amasser et de les garder au-delà de ce qui leur est nécessaire pour leur subsistance". Ces manoeuvres spéculatives étaient donc monnaie courante bien avant l'avènement des Lumières, et ce même lorsque les récoltes se révélaient satisfaisantes. Ainsi, en 1755, le Journal Oeconomique note que "la grande abondance a toujours été suivie de disette" car "faisant tomber" les cours "à vil prix", elle "dégoûte les uns de vendre et excite les autres à faire des amas". La raison d'un tel comportement est aisée à comprendre: "la disette a pour racine les amas de blé que font les particuliers, les uns par trop de précipitation, les autres par un esprit d'avarice et d'usure". Le ministre d'Aguesseau expliquait pour sa part dès 1748 que la surveillance excessive des marchands nuisait à l'approvisionnement des villes et que la liberté de circulation devenait le seul moyen de résoudre ce problème.

In fine, sous l'influence des physiocrates, Louis XV tentera par la déclaration du 25 mai 1763 de revivifier une agriculture peu productive et inefficace : "défendons... à tous nos sujets qui jouissent des droits de péage, passages, pontonages... d'exiger un desdits droits sur les grains, famines ou légumes qui circulent"; "permettons.... à tous nos sujets de transporter librement d'une province du royaume dans une autre toutes espèces de grains et denrées".
Il va de soi qu'en dénonçant le système fiscal colbertien ainsi que certains privilèges, en proposant l'impôt unique (pour tous !) fondé sur le produit de l'agriculture et non plus sur une estimation, les physiocrates (puis Turgot après 1774) se sont attiré les foudres des privilégiés qui ponctionnaient la classe paysanne. Pour être tout à fait complet et tenter d'expliquer l'échec de cette première aventure libérale, on aurait pu également évoquer les mauvaises récoltes (et à nouveau les accapareurs à partir de 1766 !) ainsi que la crise du commerce international après la guerre de 7 ans.
Quelques années plus tard, en remettant en cause certains privilèges ecclésiastiques et nobiliaires, Turgot se heurtera d'ailleurs aux mêmes réticences. Avant de connaître à son tour l'échec... 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...