dimanche 30 septembre 2018

Article "philosophe" de L'Encyclopédie



Un bel exemple (que j'exploite de temps à autre avec mes élèves) de toutes les âneries proférées par les historiens du net. Passons rapidement sur l'erreur initiale commise par Marion Sigaut qui attribue la paternité de l'article "philosophe" à Diderot (Quoique... Concernant l'éducation, ce Diderot, dont elle ignore visiblement tout, était d'avis qu'"Il serait aussi cruel qu’absurde de condamner à l’ignorance les conditions subalternes de la société" et de préciser : "C’est des basses ou dernières conditions de la société dont les enfants restent sans aucune sorte d’éducation que sortent toutes les sortes de malfaiteurs. On a voulu à Paris les enlever à leurs parents, et cette violence a causé une révolte ; c'est qu’il fallait les contraindre à se rendre dans les écoles publiques et leur fournir du pain dans ces écoles.")

D'ailleurs, que nous dit Dumarsais dans cet article ? Il oppose tout simplement le philosophe au chrétien : l'un est guidé par "la grâce" (celle que Dieu nous accorde pour notre salut), l'autre par "la raison" (cet outil destiné à distinguer le vrai du faux, le bien du mal, le juste de l'injuste...)

Dumarsais
S'appliquant à commenter cette opposition, Marion Sigaut établit alors un surprenant parallèle entre le "mouvement janséniste et protestant d'un côté" (sic) et le "mouvement catholique de l'autre" (resic !), les philosophes appartenant bien évidemment au premier de ces "mouvement(s)" (appelons-le ainsi...). Sur l'instant, à imaginer Diderot et Voltaire adeptes des théories de Jansénius sur la prédestination, cela m'a valu un bon fou rire ! Et puis j'ai songé à Voltaire, compagnon de route du triste sire Abraham Chaumeix (pauvre Arouet, il a dû se retourner dans sa tombe)...!
Mais l'historienne ne s'en tient pas là ! Quelques instants plus tard, elle conclut son éclatante démonstration par cette formule sentencieuse : "pour les philosophes, les élus, ceux qui pensent, ont la raison, et les autres ne l'ont pas. On est bien dans l'anti-humanisme du jansénisme et du protestantisme de l'époque"
Les "philosophes" seraient donc des "élus" (mais "élus" par qui, on se le demande ?), alliés de circonstance des Jansénistes (donc proches de cette mouvance catholique ?) ainsi que des Protestants ! N'en jetez plus, la cour est pleine !
Bref ... Pour en revenir à mes élèves, après avoir évoqué les idéaux de Diderot, j'enchaîne avec ces autres propos sur l'instruction. Idéal pour nuancer son propos sur les Lumières.

Il ne convient donc pas à un homme qui a de l’éducation de prendre une femme qui n’en ait point, ni par conséquent dans un rang où l’on ne saurait en avoir. Mais j’aimerais encore cent fois mieux une fille simple et grossièrement élevée, qu’une fille savante et bel esprit, qui viendrait établir dans ma maison un tribunal de littérature dont elle se ferait la présidente. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. (…) Sa dignité est d’être ignorée ; sa gloire est dans l’estime de son mari : ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille. Lecteurs, je m’en rapporte à vous-mêmes, soyez de bonne foi : lequel vous donne meilleure opinion d’une femme en entrant dans sa chambre, lequel vous la fait aborder avec plus de respect, de la voir occupée des travaux de son sexe, des soins de son ménage, environnée des hardes de ses enfants, ou de la trouver écrivant des vers sur sa toilette, entourée de brochures de toutes les sortes et de petits billets peints de toutes les couleurs ?

Rousseau, Emile ou de l’éducation. (1762)

Le bien de la société demande que les connaissances du Peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier ne s’en acquittera jamais avec courage et avec patience. Parmi les gens du peuple il n’est presque nécessaire de savoir lire et écrire qu’à ceux qui vivent par ces arts, ou à ceux que ces arts aident à vivre. (…) Ainsi il est plus avantageux à l’Etat qu’il y ait peu de collèges, pourvu qu’ils soient bons et que le cours des études y soit complet, que d’en avoir beaucoup de médiocres.

La Chalotais, Essai d’éducation nationale (1763)

 
Plusieurs personnes ont établi des écoles dans leurs terres, j’en ai établi moi-même, mais je les crains. Je crois convenable que quelques enfants apprennent à lire, à écrire, à chiffrer ; mais que le grand nombre, surtout les enfants des manœuvres, ne sachent que cultiver, parce qu’on n’a besoin que d’une plume pour deux ou trois cents bras. La culture de la terre ne demande qu’une intelligence très commune ; la nature a rendu faciles tous les travaux auxquels elle a destiné l’homme : il faut donc employer le plus d’hommes qu’on peut à ces travaux faciles, et les leur rendre nécessaires.

 
Voltaire, extrait de l’article « fertilisation », Dictionnaire philosophique (1764)

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Concernant la fin de votre article, et plus précisément le lien que vous faites entre le désir de nuancer le propos de Mme Sigaut et les citations qui suivent, relisez bien le contenu de ces dernières et osez dire que le désir de ces bienheureux lettrés était le progrès pour le Peuple (j'insiste sur la majuscule qui connote l'universalité).
    Voltaire affirme que la culture de la terre ne demande qu'une intelligence très commune : est-il passé lui-même par cet échelon pour en juger par l'expérience? A-t-il travaillé cette terre (quotidiennement s'entend) afin d'en éprouver la "facilité"?
    Que penser alors du discours actuel sur "l'égalité des chances", si Voltaire doit rester une référence?

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    1. Vous m'avez visiblement mal compris puisque lorsque je parle de "nuancer son propos", c'est du mien qu'il s'agit... Plutôt que d'instruire systématiquement des procès à charge contre Voltaire et consorts, mme Sigaut serait d'ailleurs bien inspirée d'en faire autant et de se montrer moins manichéenne dans ses analyses. Elle y gagnerait peut-être la reconnaissance de ses pairs... Cordialement O.M

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