S'il est un courage qu'on ne saurait contester à Voltaire, c'est celui de l'impertinence. En d'autres temps, sans doute aurait-il incarné un très brillant bouffon du roi, capable de moqueries, de persiflages mais également des plus détestables flagorneries.
***
De retour à Paris en octobre 2016, le jeune Arouet ne semble hélas pas avoir tiré les leçons de ses quelques mois d'exil à Sully-sur-Loire.
A peine retrouve-t-il ses amis de Sceaux que paraît un petit pamphlet (en latin) d'une violence incroyable à l'encontre du Régent Philippe d'Orléans. Jugez-en plutôt avec cette version traduite :
Sous cet enfant qui règne, un tyran inhumain,
Fameux par le poison, l’athéisme et l’inceste,
Abuse impunément du pouvoir souverain.
Paris tremble à la voix d’un tribunal funeste,
Aux cris des malheureux on offre un cœur d’airain,
On acquitte l’État en leur perçant le sein ;
L’irrésolution, l’ignorance et la brigue
Président aux conseils de cent monstres cruels ;
Le schisme prend naissance aux pieds de nos autels.
Contre Rome s’élève une orgueilleuse ligue,
Et le peuple, incertain dans sa religion,
Suit l’étendard fatal de la rébellion.
La foi publique est violée,
Et la patrie en pleurs, victime de ses vœux,
Voit de ses propres flancs sortir le glaive affreux
Dont elle doit être immolée ;
L’injustice en triomphe exerce sa fureur.
France, il faut donc enfin que ta grandeur périsse !
Nouveaux dieux, nouveaux rois, dans ce siècle d’horreur,
Creusent dessous tes pas ton dernier précipice.
Fameux par le poison, l’athéisme et l’inceste,
Abuse impunément du pouvoir souverain.
Paris tremble à la voix d’un tribunal funeste,
Aux cris des malheureux on offre un cœur d’airain,
On acquitte l’État en leur perçant le sein ;
L’irrésolution, l’ignorance et la brigue
Président aux conseils de cent monstres cruels ;
Le schisme prend naissance aux pieds de nos autels.
Contre Rome s’élève une orgueilleuse ligue,
Et le peuple, incertain dans sa religion,
Suit l’étendard fatal de la rébellion.
La foi publique est violée,
Et la patrie en pleurs, victime de ses vœux,
Voit de ses propres flancs sortir le glaive affreux
Dont elle doit être immolée ;
L’injustice en triomphe exerce sa fureur.
France, il faut donc enfin que ta grandeur périsse !
Nouveaux dieux, nouveaux rois, dans ce siècle d’horreur,
Creusent dessous tes pas ton dernier précipice.
Accusé d'irréligion, d'inceste, voire des empoisonnements dont ont été victimes certains membres de la famille royale, le Régent ne saurait rester sans réagir. Sentant la menace peser sur lui, Arouet se réfugie au mois de février 1717 chez un certain Caumartin, un ami de la famille qui vit près de Fontainebleau.
Lefebvre de Caumartin |
C'est là, auprès du vieil homme, qu'Arouet se laisse aller à une nouvelle épigramme, tout aussi insultante :
Ce n’est point le fils, c’est le père ;
C’est la fille et non point la mère ;
A cela près tout va des mieux.
Ils ont déjà fait Etéocle ;
S’il vient à perdre les deux yeux,
C’est le vrai sujet de Sophocle
Rappelons que le Régent souffrait d'une maladie des yeux, d'où l'allusion à Oedipe. Quant au sous-entendu concernant Etéocle, il s'explique par la rumeur concernant un accouchement secret de la Duchesse de Berry.
***
De retour à Paris au mois d'avril 1717, Arouet se montre discret, délaissant un temps le domicile familial pour une chambre garnie située rue de la calandre. Il a depuis peu fait connaissance d'un certain Salenne de Beauregard, officier de régiment, et du comte d'Argenteuil (et non d'Argental, comme l'orthographient certains), ami de ce dernier.
Il se livre à eux, toujours imprudent, et ignorant que ces tristes sires informent le lieutenant de police d'Argenson de ses moindres faits et gestes.
Voici le compte-rendu adressé par Beauregard aux autorités :
Il se livre à eux, toujours imprudent, et ignorant que ces tristes sires informent le lieutenant de police d'Argenson de ses moindres faits et gestes.
Voici le compte-rendu adressé par Beauregard aux autorités :
Mémoire instructif des discours que m’a tenus le sieur
Arouet depuis qu’il est de retour de chez M. de Caumartin.
... Je le vis trois jours après chez lui, rue de la Calandre, au
Panier-Vert, où il me demanda ce que l’on disait de nouveau; je lui répondis
qu’il avait paru quantité d’ouvrages sur M. le duc d’Orléans et Madame,
duchesse de Berry. Il se mit à rire, et me demanda si on les avait trouvés
beaux; je lui ai dit que l’on y avait trouvé beaucoup d’esprit, et qu’on lui
mettait tout cela sur son compte; mais que je n’en croirais rien, et qu’il
n’était pas possible qu’à son âge on pût faire de pareilles choses. Il me
répondit que j’avais tort de ne pas croire que c’était véritablement lui qui
avait fait tous les ouvrages qui avaient paru pendant son absence: j’ai remis à
M. Le Blanc tous ces ouvrages; et pour empêcher que M. le duc d’Orléans et ses
ennemis crussent que c’était lui qui les avait faits, il avait quitté Paris
dans le carnaval pour aller à la campagne, où il a resté deux mois avec M. de
Caumartin, qui a vu le premier ses ouvrages; après quoi ils ont été envoyés à
Paris. Il m’a dit que puisqu’il ne pouvait se venger de M. le duc d’Orléans
d’une certaine façon, il ne l’épargnait pas dans ses satires. Je lui demandai ce que M. le duc d’Orléans lui
avoit fait? Il était couché en ce moment; il se leva comme un furieux, et me
répondit « Comment, vous ne savez pas ce que ce bougre-là m’a fait? il m’a
exilé, parce que j’avois fait voir au public que sa Messaline de fille était
une ... »
Je sortis, et y retourne le lendemain, où je retrouve M. le comte
d’Argental (d'Argenteuil ?). Je sortis de mes tablettes le Puero regnante; il me demanda sur-le-champ ce que j’avais de curieux? Je
l’ai montré; quand il eut vu ce que c’était: « Pour celui-là, je ne l’ai pas
fait chez M. de Caumartin, mais beaucoup de temps avant que je parte. »
Deux jours après, j’ai retourné, où je trouve encore M. le comte
d’Argental. Je lui dis: « Comment, mon cher ami, vous vous vantez d’avoir fait
le Puero regnante, pendant que je
viens de savoir d’un bon endroit que c’est un professeur des jésuites qui l’a
fait! » Il prit son sérieux là-dessus, et dit qu’il ne s’embarrassait pas si je
le croyais ou si je ne le croyais pas, et que les jésuites faisaient comme le
geai de la fable, qu’ils empruntaient les plumes du paon pour se parer. M. le
comte d’Argental était présent pendant tout cela. Il nous dit en continuant que
Madame, duchesse de Berry, allait passer six mois à la Meute pour y accoucher.
Il a répandu ce discours dans tout Paris, et quantité d’autres que le papier ne
saurait souffrir.
Nous nous sommes souvent trouvés ensemble avec M. d’Argental, où il a tenu
les mêmes discours qui sont contenus dans ce mémoire."
-->Cette fois, c'en est trop ! Le Régent missionne aussitôt le secrétaire d'état La Vrillière afin de châtier l'insolent.C'est chose faite le lendemain.
LA VRILLIÈRE A D’ARGENSON.
16 mai 1717.
L’intention du Roi est que le sieur Arouet fils soit arrêté
et conduit à la Bastille.
Procès-verbal d’écrou de Voltaire.
16 mai 1717.
Ce jourd’huy 16e may
1717 est entré à la Bastille monsieur Arouet, par ordre du roy, conduit par
messieurs Champie et Bazin, exempts, il avait en or six louis d’or vallant
trente livres piesce, quatre piesce de cinquante souls, deux piesce de
vingt-cinq souls, une piesce de dix souls, dix souls marquée, trois liard, une
lorniette, une paire de cizaux, une clefes, une tablette, et quelques papiers
qui ont été cachetée en sa présence, le cachet qui a cacheté les papiers leur
est resté entre les mains qui est à luy et a signé Arouet.
Voilà le jeune Arouet embastillé ! Mais également convaincu que sa détention ne durera pas, puisque le jour même, il écrit le billet qui suit à son ami le Duc de Sully :
Monseigneur, M. de Basin, lieutenant de robe courte, m’est venu arrêter ce matin.
Je ne puis vous en dire davantage. Je ne sais de quoi il est question.
Mon innocence m’assure de votre protection. Je serai trop heureux si
vous me faites l’honneur de me l’accorder.
Sans doute imagine-t-il que l'intervention de son ami suffira à l'élargir. Mais il se trompe. Et lourdement...
(à suivre ici)
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