Du
21 mai 1717, 10 heures du matin, François-Marie Arouet, âgé de 22 ans,
originaire de Paris, n’ayant aucune profession, mais son père est payeur de MM.
de la Chambre des comptes, il demeurait à Paris lorsqu’il a été arrêté et
conduit dans ce château, dans une maison de la rue de la Calandre, qui a pour
enseigne, le Panier-Vert et tenue en
chambre garnie par le nommé Moreau...
Il
est revenu de Saint-Ange, Château situé aux environs de
Fontainebleau, et qui appartenait à M. de Caumartin. quelques jours après
Pâques, après y avoir passé environ deux mois...
Il
y avait beaucoup de personnes, mais il n’y en connaît aucune, à la réserve du
sieur d’Argenteuil, qu’il croit originaire de Champagne. Il ne se souvient pas
d’y avoir vu que quelques laquais qui venaient lui apporter des lettres de
leurs maîtres ou de leurs maîtresses, à la réserve de l’abbé de Boissy, (Louis de Boissy fut plus tard
directeur du Mercure et membre de
l’Académie française) qu’il connaît pour un jeune homme qui fait des vers. Ne
se souvient pas de lui avoir demandé si l’on ne disait rien de nouveau, quoique
cela puisse fort bien être. Il est vrai qu’il a vu un capitaine ou un officier
qui s’appelle M. de Solenne de Beauregard (Cet
officier avait adressé au lieutenant-général de police d'Argenson un rapport où il
avançait que Voltaire s’était vanté d’avoir composé l’inscription et les vers
incriminés.) auquel il demanda s’il n’y avait rien de nouveau, et il n’y avait
pas plus de quatre ou cinq jours que lui, répondant, était revenu de
Saint-Ange. Ajoute qu’il demanda en effet à cet officier s’il n’y avait rien de
nouveau. A quoi l’officier répondit en ces termes: On dit d’étranges choses, et
on parle d’une inscription latine commençant par ces mots: Puero regnante...
Beauregard lui montra sur ses tablettes une partie de ladite inscription,
et demanda s’il n’était point l’auteur de cette inscription, à quoi il répartit
qu’il était bien malheureux si on le soupçonnait de pareilles horreurs, qu’il y
avait déjà longtemps qu’on mettait sur son compte toutes les infamies en vers
et en prose qui courent la ville, mais que tous ceux qui le connaissent savent
bien qu’il est incapable de pareils crimes. Ajoute encore de soi qu’il demanda
au sieur de Beauregard comment il avait eu connaissance de cette partie
d’inscription qu’il lut, à la vérité, sur les tablettes de cet officier telle
qu’elle y était écrite, lui faisant néanmoins entendre qu’elle était tronquée,
à quoi de Beauregard répondit, autant qu’il peut s’en souvenir, que cette
inscription lui avait été donnée chez le sieur Dancourt, comédien, mais se
souvient distinctement qu’il dit à Beauregard qu’il était bien trompé si cette
inscription n’était ancienne, et faite du temps de Catherine de Médicis; ne
sait pourtant pas bien précisément si ce ne fut point audit abbé de Boissy
qu’il tint ce discours.
—
Si, lorsque le sieur Beauregard lui parla de cette inscription il ne lui
demanda pas avec un sourire si on l’avait trouvée belle?
—
Il ne s’en souvient point, mais qu’il croit que non.
—
S’il ne fit pas cette même réponse par rapport à d’autres vers insolents et
calomnieux qui avaient été faite sur le premier prince et sur la première
princesse du royaume?
—
Il ne s’en souvient pas bien précisément.
—
Il est vrai que Beauregard lui marqua qu’on avait mis sur le compte du
répondant cette inscription, il n’est pas même impossible qu’il ne lui ait
parlé de quelques vers dans le même sens; mais comme il n’a fait ni les vers ni
l’inscription, que même il déteste l’une et l’autre, il ne s’est pas fort
attaché à conserver l’idée de cet entretien; sur quoi il se croit obligé de
nous observer que ledit officier ne se connaît pas mieux en prose qu’en vers,
et qu’il n’est point versé dans les belles-lettres.
—
Si la réponse qu’il fit au dernier discours ne fut pas que lui, sieur de
Beauregard, avait tort de ne pas croire le répondant l’auteur de cette
inscription, et de quelques-uns de ces vers, puisque c’était lui véritablement
qui les avait composés pendant son absence de Paris?
—
Il n’y a rien au monde de si faux.
—
S’il ne dit pas encore qu’afin que M. le duc d’Orléans et les ennemis de lui,
répondant, ne crussent pas que c’était lui qui avait fait cette inscription
latine et ces vers exécrables, il avait quitté Paris, pendant le carnaval, pour
se retirer à la campagne, où il a fait un séjour de deux mois?
— C’est la
plus insigne calomnie dont il ait jamais entendu parler.
Interrogé par le commissaire Isabeau, le facétieux Arouet prétend qu'il a jeté les documents compromettants dans les latrines. Et Isabeau de se rendre sur place, rue de la calandre, pour aller patauger dans les fosses d'aisance ! Ayant fait chou blanc, le malheureux officier rend ainsi compte de ses déboires à d'Argenson :
LETTRE DU COMMISSAIRE ISABEAU,
touchant les papiers prétendus jetés dans les latrines par le sieur arouet fils.
Je me suis transporté, monsieur, en la maison où a été arrêté le sieur Arouet ; et la maîtresse vidangeuse, qui avait été avertie, m’y attendait à deux heures de relevée ce jourd’hui avec ses gens. J’ai trouvé refermée la fosse qu’elle avait fait ouvrir hier. Je n’ai pas jugé à propos de la faire ouvrir une seconde fois, parce qu’elle m’a assuré que cette fosse était presque pleine et surnagée d’eau : il ne s’y était néanmoins trouvé aucun papier, et que l’on ne pouvait entrer dedans. Elle m’a assuré aussi qu’elle avait descendu une chandelle dans le tuyau ; qu’elle avait remarqué qu’il était fort net ; et dans lequel il n’y avait aucun papier. Cette fosse a été rebouchée de l’ordre de la principale, que la mauvaise odeur incommodait extrêmement, et à l’occasion de quoi elle a perdu une ou plusieurs pièces de bière qui étaient dans le caveau où s’est faite ladite ouverture. Il y a toute apparence que Fr. Arouet ne convient avoir jeté quelques lettres de femmes que par âcreté d’esprit et pour donner des mouvements inutiles, et que ces lettres, d’un poids fort faible, auraient dû se trouver sur l’eau qui surmonte la matière grossière. Néanmoins, si vous jugez, monsieur, qu’il soit à propos d’y faire rechercher, j’estime que cela ne se pourra faire sans vider entièrement les latrines. J’attendrai vos ordres à ce sujet.
21 mai 1717.
Le commissaire Ysabeau.
Toujours est-il que notre jeune homme se trouve désormais en captivité à la Bastille, et ce "jusqu'à nouvel ordre". Privé de tout, et notamment de lecture, Arouet demande qu'on lui procure "deux livres d'Homère, latin-grec", "deux mouchoirs d'indienne", "un petit bonnet", "deux cravates", "une coiffe de nuit", "une petite bouteille d'essence de geroufle" (sic).
On ne sait quasiment rien des onze mois que Voltaire passera dans cette forteresse, hormis quelques vers consacrés par le poète au récit de ce séjour.
(...)Me voici donc en ce lieu de détresse,
Embastillé, logé fort à l’étroit,
Ne dormant point, buvant chaud, mangeant froid,
Trahi de tous, même de ma maîtresse.
O Marc-René (d'Argenson), que Caton le Censeur
Jadis dans Rome eût pris pour successeur,
O Marc-René, de qui la faveur grande
Fait ici-bas tant de gens murmurer,
Vos beaux avis m’ont fait claquemurer:
Que quelque jour le bon Dieu vous le rende!
Ainsi que ce bref témoignage adressé à son ami Genonville en 1719 :
(...)Mais au moins de mon malheur
Je sus tirer quelque avantage.
J’appris à m’endurcir contre l’adversité
Et je me vis un courage
Que je n’attendais pas de la légèreté
Et des erreurs de mon jeune âge.
Pour sa part, le président Hénault avancera dans ses Mémoires qu'Arouet a profité de cette année de détention pour écrire son épopée intitulée la Henriade :
Un témoignage dont on peut douter, comme c'est souvent le cas des propos de Hénault.
Mais peu, les faits sont là : le Régent laissera le jeune homme se morfondre pendant près d'un an, jusqu'à ce que le jeune Louis donne enfin l'ordre de son élargissement.
LE ROI A BERNAVILLE (gouverneur de la Bastille).
Je vous écris cette lettre de l’avis de mon oncle le duc d’Orléans, pour
vous dire que mon intention est que vous mettiez en liberté le sieur Arouet que
vous détenez par mon ordre dans mon château de la Bastille.
10 avril 1718.
L’intention
de S. A. R. est que le sieur Arouet fils, prisonnier à la B., soit rendu libre
et relégué an village de Chatenay, près Sceaux, où son père, qui a une maison
de campagne, offre de l’y retenir...
(à suivre)
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