vendredi 20 avril 2012

Préface de Narcisse

La publication de la comédie Narcisse ou l'amant de lui-même en 1753 ne mériterait guère qu'on s'y attarde si elle n'était précédée d'une célèbre préface dans laquelle Rousseau revient sur son entrée fracassante dans le monde littéraire. Souvenons-nous que son Discours sur les Sciences et les Arts (voir article à ce sujet) lui a valu plusieurs reproches de la part de ses adversaires.


Le premier, tout d'abord, qui est de ne rien croire des thèses qu'il a avancées : "Ils prétendent que je ne pense pas un mot des vérités que j'ai soutenues." Sur ce point, on le sent d'emblée piqué au vif, d'autant que ces propos sont souvent tenus par des proches qui l'ont fréquenté (on pense à Grimm, et plus tard à Diderot). Pour ces derniers, Rousseau ne serait qu'un sophiste prêt à défendre n'importe quelle idée, dès lors qu'il se ferait remarquer du public. Toute l'oeuvre autobiographique ultérieure (des Lettres à Malesherbes aux Rêveries) peut être lue comme une tentative répétée du Genevois pour prouver son authenticité à ses contemporains, voire à la postérité.

Le 2nd reproche consiste à dire que son comportement a toujours été contraire à ses propos : "Ils prétendent encore que ma conduite est en contradiction avec mes principes." Rousseau s'en prend aux sciences, mais il a participé au lancement de l'Encyclopédie. Il dénonce l'hypocrisie des sociétés mondaines mais il les fréquente. Il tance le goût des Français pour le théâtre et les arts, alors qu'il écrit lui-même des comédies et des opéras !
Ici, il faut bien reconnaître que le Genevois s'en tire (plutôt mal) à l'aide d'une pirouette de bonimenteur : cela "prouverait que je me conduis mal, mais non que je ne parle pas de bonne foi." Plus loin, alors qu'il évoque ses premiers ouvrages de jeunesse, il fait cet aveu sidérant : "Ce sont des enfants illégitimes que l'on caresse encore avec plaisir en rougissant d'en être le père, à qui l'on fait ses derniers adieux, et qu'on envoie chercher fortune sans beaucoup s'embarrasser de ce qu'ils deviendront." La métaphore peut sembler ignoble pour qui se souvient de l'abandon (supposé) par Rousseau de ses cinq enfants...

Rousseau avec des enfants à Ermenonville
Et que dire des dernières lignes de la préface, où il prend soin de ménager les artistes et scientifiques qu'il continue de fréquenter : "j'avoue qu'il y a quelques génies sublimes" ?
Ou de cette dernière provocation qui clôt le texte : "En attendant j'écrirai des livres, je ferai des vers et de la musique" et "je continuerai à dire très franchement tout le mal que je pense des Lettres et de ceux qui les cultivent."?

Assurément, si Rousseau a souvent fait preuve de génie, d'humanité et de grandeur d'âme, ce n'est pas dans la préface de Narcisse qu'il s'est montré le plus admirable...

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