A l'occasion du baptême de la rose Louise Dupin (à Chenonceau, en juin dernier), E. Badinter s'est longuement interrogée sur la châtelaine maîtresse des lieux au XVIIIè, et en particulier sur l'ouvrage qu'elle écrivait alors et qu'elle a pourtant renoncé à publier. Comment expliquer un tel renoncement, alors que 1200 feuillets étaient déjà rédigés (souvent corrigés de la main de Rousseau) et que l'épouse du fermier général y avait de toute évidence consacré plusieurs années de travail ?
E.Badinter au moment du baptême de la rose L Dupin |
Pour esquisser une réponse, comparons son attitude à celle de deux autres salonnières des Lumières : Fanny de Beauharnais et Louise d'Epinay.
Fanny de Beauharnais |
Femme du monde issue de la finance, Fanny de Beauharnais a tenu un salon fréquenté par des figures littéraires telles que LS Mercier, Restif de le Bretonne ou encore Chénier. Mais en s'affirmant progressivement comme femmes de lettres, elle attira sur elle de nombreuses railleries qui discréditèrent à terme la réputation de son salon. Ainsi, ses poèmes furent souvent attribués à son amant Dorat et on en vint même à se moquer du rouge qu'elle aimait porter sur ses joues.
Chloris, belle et poète, a deux petits défauts
Elle fait son visage et ne fait pas ses vers
Imaginée par Lebrun, cette épigramme assassine révèle une fois encore l'incompatibilité entre la pratique d'hospitalité de la salonnière et sa prétention au bel esprit.
Louise d'Epinay présente quant à elle un profil extrêmement proche de celui de Louise Dupin. Epouse d'un fermier général, c'est la fréquentation de quelques grands hommes de lettres (Rousseau, Duclos, Diderot, Voltaire) qui l'a amenée vers l'écriture. D'abord par un roman autobiographique
Louise d'Epinay |
(commencé vers 1756 mais resté dans un tiroir) puis par un autre écrit autobiographique publié anonymement en 1758. On constate que Madame d'Epinay hésite longuement à franchir le pas et à s'afficher publiquement comme femme de lettres. Alors qu'elle travaille aux Conversations d'Emilie (autre ouvrage consacré à l'éducation et qu'elle publie en 1774), elle écrit à son ami Galiani : "Je ne vous en parle pas parce que j'attends quelques bonnes plaisanteries de votre part (...) Quand il sera fini, je vous donne bonne carrière, et je serai la première à en rire avec vous." Contrairement à Fanny de Beauharnais, Madame d'Epinay semblait pleinement consciente du ridicule auquel elle s'exposait en publiant à visage découvert. "Une femme parfaite est celle dont on n'entend jamais parler", écrit-elle encore dans ce même ouvrage, comme pour exorciser sa propre conduite.
Les grandes salonnières du XVIIIè siècle, celles qui se sont imposées dans la durée, étaient trop avisées pour se risquer à l'écriture. Ni Madame Geoffrin, ni Madame du Deffand, ni Madame Dupin n'ont jamais cherché à acquérir d'autre réputation que celle d'hôtesses à la fois aimables et agréables.
C'est là qu'au XVIIIè doit s'arrêter l'ambition d'une femme du monde, même si elle a eu la chance de naître dans un siècle prétendument féministe...
NB : Au plaisir de vous retrouver, notamment lors des deux salons du livre à venir : à Valognes (les 17 et 18 novembre), puis à Levallois (le 25 novembre). O Marchal
(1è partie de l'article)
(1è partie de l'article)
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