lundi 5 novembre 2012

Le XVIIIè, siècle féministe ? (1)

Voilà encore une de ces fausses idées largement répandues par notre intelligentsia, et relayées ensuite dans les manuels scolaires destinés à nos têtes blondes : le XVIIIè siècle serait soi-disant celui de l'émancipation intellectuelle de la femme, celui qui aurait permis au "2ème sexe" d'accéder au monde des idées et de devenir progressivement l'égal de l'homme. Et de relever les exemples nombreux de salonnières et autres femmes d'esprit, les Olympe de Gouges, Emilie du Châtelet, Louise d'Epinay..., figures apparemment reconnues par leurs contemporains, mais surtout abondamment cités par les pasionarias féministes du XXè siècle...
A y regarder de plus près, on découvre pourtant une réalité bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord...

Prenons le cas d'Emilie du Châtelet, l'un des esprits féminins les plus brillants des Lumières, comme l'a magistralement expliqué E. Badinter dans "Emilie, Emilie, ou l'ambition féminine". Elève et amante du savant Maupertuis mais également de Voltaire, c'est tout naturellement que la jeune femme s'est tournée vers les mathématiques et la physique. Ses travaux sur Leibniz, sur la propagation du feu et enfin sa traduction (ainsi que son commentaire) des Principia de Newton lui valent d'être reconnue par de nombreux scientifiques de l'époque. 
Pourtant, cette prétention à l'esprit scientifique attire également sur elle les quolibets et les pires railleries. Ainsi de Frédéric II, à qui elle propose d'apprendre les rudiments de la physique, et qui lui répond : "Je sens bien que si j'avais le plaisir de vous voir, je vous parlerai de tout autre chose que de physique."(1739). Pire encore, cet hommage posthume de Madame du Deffand publié dans la Correspondance Littéraire de 1777 : "Née sans talents, sans mémoire, sans goût, sans imagination, elle s'est faite géomètre pour paraître au-dessus des femmes, ne doutant point que la singularité ne donne la supériorité.(...) Sa science est un problème difficile à résoudre. Elle n'en parle que comme Sganarelle parlait latin, devant ceux qui ne le savaient pas. (...) Tant de prétentions satisfaites n'auraient cependant pas suffi pour la rendre aussi fameuse qu'elle voulait l'être : il faut, pour être célèbre, être célébrée ; c'est à quoi elle est parvenue en devenant maîtresse déclarée de M. de Voltaire. C'est lui qui la rend l'objet de l'attention du public et le sujet des conversations particulières ; c'est à lui qu'elle devra de vivre dans les siècles à venir, et en attendant, elle lui doit ce qui la fait vivre dans le siècle présent."
Comme l'explique fort bien Louise d'Epinay (dont nous parlerons), "Une femme a grand tort et n'acquiert que du ridicule lorsqu'elle s'affiche pour savante ou pour bel esprit et qu'elle croit pouvoir en soutenir la réputation..." Le mot est lâché : "ridicule". Voilà la réputation que s'attire inévitablement toute femme qui prétend se distinguer dans certains domaines réservés aux hommes. Si on lui accorde alors le droit (et le talent !) d'écrire des petits vers, voire des romans ou des contes, il ne saurait être question pour elle d'aborder des questions plus sérieuses comme la métaphysique ou les sciences ! (à suivre)
 

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