Etrangement méconnnue, l'oeuvre littéraire du Marquis d'Argenson (1694-1757) révèle pourtant un regard lucide sur la situation politique et économique du Royaume de France. De ce secrétaire d'état affecté aux affaires étrangères (entre 1744 et 1747), on retiendra notamment un très audacieux plan de réformes dont je livre ci-dessous quelques extraits.
d'Argenson |
-Le Roi "dessineroit lui-même" des "départemens ou intendances, de
cent à cent-vingt paroisses chacun. Il pourroit y en avoir près de cinq cents
dans le royaume."
-"Représenter
les abus qui résultent aujourd'hui des corvées, et que la fondation et
l'entretien de grandes routes auroient lieu à moins de frais étant confiés aux
communautés.
Ainsi,
par succession de temps et d'affaires, on chargeroit, sans l'avoir annoncé, ces
petits États de tous les détails de police, finance, justice par arbitrage; ce
royaume seroit gouverné admirablement, et l'autorité royale mieux affermie que
jamais.
Il
s'agiroit donc de ne pas faire voir où l'on va, mais d'amener le roi par la
voix publique à souhaiter lui-même ces établissemens. La noblesse seroit la
partie de la nation la plus aigrement opposante; car elle sentiroit bientôt que
ce plan conduit à la confondre dans la nation, et à réduire ses prérogatives."
Le Marquis prêche ici en faveur d'un renouveau des institutions provinciales et pour la création de "500" départements auxquels on déléguerait certaines attributions et prérogatives jusqu'alors distribuées à Versailles. Bien conscient de l'hostilité de la noblesse à de tels projets, il ajoute, un brin cynique :
"Il
faudroit la faire taire devant les vœux du public, qu'on gagneroit par le
succès et les bienfaits évidens.". Propos surprenant, me direz-vous, surtout de la part d'un des plus hauts commis de l'Etat ? Pas vraiment, en fait. Car à bien y regarder, la position du Marquis rejoint celle d'autres aristocrates réformateurs (le Prince de Conti, ou encore Malesherbes), suffisamment lucides sur les périls qui menacent le régime pour accepter de renoncer à certains de leurs privilèges. En effet, toujours dans son journal, d'Argenson manifeste à plusieurs reprises son inquiétude devant les mouvements de révolte qui se multiplient en province ou encore face aux refus répétés du Parlement d'obéir aux ordres du roi : "les réponses du roi sont toujours les mêmes, et avec aussi peu de succès, toujours : je veux être obéi, je veux qu'on enregistre, sur quoi on lui désobéit, et ce commandement, si souvent répété sans exécution, sent l'anarchie déclarée. Ce n'est pas ainsi que l'on commande."(sept. 1751).
Comme l'explique la formule de B. Mély (Rousseau, un intellectuel en rupture), il s'agit pour ces réformateurs de "beaucoup sacrifier pour ne pas perdre tout." Certains d'entre eux, sans doute visionnaires, envisageaient déjà la chute inéluctable de l'Ancien Régime.
(à suivre)
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