Très
largement commentée sur le net, cette conférence de l'historienne
Marion Sigaut a attiré mon attention.
Si cette spécialiste du XVIIIè dispose d'une indéniable force de conviction, on est pourtant en droit de s'interroger sur la thèse qu'elle entreprend de réfuter ici ("les Lumières auraient contribué à humaniser la justice") et sur l'exemple qu'elle choisit pour illustrer son propos ("j'ai entendu dire que le supplice de Damiens avait indigné les Lumières"). Dans la foulée, Mme Sigaut s'en prend à Voltaire, à Diderot, à Beccaria etc... en accumulant approximations et erreurs (volontaires ?).
Prenons le cas de Voltaire, peut-être le plus emblématique. Précisons tout d'abord qu'il ne commence à s'intéresser à la question judiciaire qu'en 1762 (il a 68 ans), à l'occasion de l'affaire Calas. Si cette affaire le passionne, c'est qu'il y trouve avant tout un terrain propice pour attaquer l'église et le fanatisme religieux des juges. Il n'est nullement question, sous sa plume, d'une quelconque revendication visant à humaniser le sort réservé au(x) condamné(s). C'est en fait l'Infâme qui est systématiquement visé dans ses prises de position. Ainsi, il plaidera bientôt (c'était déjà le cas de Montesquieu dans un passage célèbre des Lettres Persanes) pour que la peine soit adaptée au crime, mais aussi pour que le pécheur ne soit plus considéré comme criminel. A ses yeux, le blasphémateur n'a évidemment pas à subir le même sort que le régicide ! Le combat de Voltaire vise avant tout à laïciser la justice, et tout particulièrement à supprimer les condamnations liées à des motifs religieux.
A aucun moment il ne se prétend abolitionniste (contrairement à Beccaria). Dans le domaine, son approche est avant tout utilitaire. Comme l'expliquera Hugo au XIXème, l'exécution publique n'a aux yeux de Voltaire aucun effet dissuasif. Il est donc plus utile de faire travailler un condamné que de l'éliminer. Concernant les supplices et la torture, le principe le dérange peut-être, mais il estime que "les assassinats prémédités, les parricides, les incendiaires, méritent une mort dont l'appareil soit effroyable".
Si cette spécialiste du XVIIIè dispose d'une indéniable force de conviction, on est pourtant en droit de s'interroger sur la thèse qu'elle entreprend de réfuter ici ("les Lumières auraient contribué à humaniser la justice") et sur l'exemple qu'elle choisit pour illustrer son propos ("j'ai entendu dire que le supplice de Damiens avait indigné les Lumières"). Dans la foulée, Mme Sigaut s'en prend à Voltaire, à Diderot, à Beccaria etc... en accumulant approximations et erreurs (volontaires ?).
Prenons le cas de Voltaire, peut-être le plus emblématique. Précisons tout d'abord qu'il ne commence à s'intéresser à la question judiciaire qu'en 1762 (il a 68 ans), à l'occasion de l'affaire Calas. Si cette affaire le passionne, c'est qu'il y trouve avant tout un terrain propice pour attaquer l'église et le fanatisme religieux des juges. Il n'est nullement question, sous sa plume, d'une quelconque revendication visant à humaniser le sort réservé au(x) condamné(s). C'est en fait l'Infâme qui est systématiquement visé dans ses prises de position. Ainsi, il plaidera bientôt (c'était déjà le cas de Montesquieu dans un passage célèbre des Lettres Persanes) pour que la peine soit adaptée au crime, mais aussi pour que le pécheur ne soit plus considéré comme criminel. A ses yeux, le blasphémateur n'a évidemment pas à subir le même sort que le régicide ! Le combat de Voltaire vise avant tout à laïciser la justice, et tout particulièrement à supprimer les condamnations liées à des motifs religieux.
A aucun moment il ne se prétend abolitionniste (contrairement à Beccaria). Dans le domaine, son approche est avant tout utilitaire. Comme l'expliquera Hugo au XIXème, l'exécution publique n'a aux yeux de Voltaire aucun effet dissuasif. Il est donc plus utile de faire travailler un condamné que de l'éliminer. Concernant les supplices et la torture, le principe le dérange peut-être, mais il estime que "les assassinats prémédités, les parricides, les incendiaires, méritent une mort dont l'appareil soit effroyable".
Sous l'ancien Régime, "on ne torturait pas les gens pour obtenir leurs aveux", prétend Marion Sigaut. "Jamais", répète-t-elle même à plusieurs reprises avant de qualifier Voltaire de menteur.
Une
nouvelle fois, l'historienne semble ignorer (à moins qu'elle feigne
d'ignorer ?) ce qui se pratiquait dans les prisons du Royaume. Au terme
de "torture", le XVIIIè siècle préfère celui de "question" : il distingue d'ailleurs la question dite "préparatoire" (destinée à obtenir les aveux du prévenu) de la question "préalable" (visant à obtenir le nom d'éventuels complices).
Par
exemple, pour le seul Parlement de Bourgogne, 63 accusés sont soumis à la
question préparatoire au cours du XVIIIè, et 52 à la question préalable.
Si cette pratique est devenue si rare, c'est surtout parce qu'elle
s'avère inefficace : ainsi, toujours pour la Bourgogne, seul un torturé
sur trois avoue ses crimes.
C'est
Louis XVI qui interdira définitivement la torture, et ce peu avant la
Révolution, alors qu'on ne la pratiquait quasiment plus nulle part : " Notre déclaration du 24 août 1780 sera exécutée, et y ajoutant, abrogeons la question préalable", ordonne-t-il au mois de mai 1788.
Concernant ce pauvre La Condamine (qui a tenu a assister au 1er rang au supplice de Damiens), Marion Sigaut le fait apparaître comme un pervers enthousiasmé par le spectacle de la mise à mort. Pour le coup, on ne saurait trop conseiller à l'historienne d'approfondir son travail de documentation, le scientifique ayant été un des rares intellectuels du moment à avoir pris la défense du supplicié. Le témoignage qui suit explique d'ailleurs sa présence aux premières loges ce jour-là :
Extrait d'une lettre de La Condamine à Maupertuis (10 février 1757) : "J'ai vu exécuter Damiens de fort près ; j'ai voulu voir et j'ai entendu dire tout le contraire de ce que j'ai vu, et on me le disait tandis que je voyais le contraire. Je le voyais abattu, consterné, souffrant, embrassant le crucifix, baisant le curé de Saint-Paul, contrit et humilié... Je crois que sans moi qui ai dit hautement ce que j'avais vu de la fin de Damiens, je crois qu'on aurait imprimé qu'il avait craché au nez du confesseur et bravé les juges et les bourreaux en leur disant qu'il n'avouait rien..."
Concernant ce pauvre La Condamine (qui a tenu a assister au 1er rang au supplice de Damiens), Marion Sigaut le fait apparaître comme un pervers enthousiasmé par le spectacle de la mise à mort. Pour le coup, on ne saurait trop conseiller à l'historienne d'approfondir son travail de documentation, le scientifique ayant été un des rares intellectuels du moment à avoir pris la défense du supplicié. Le témoignage qui suit explique d'ailleurs sa présence aux premières loges ce jour-là :
Extrait d'une lettre de La Condamine à Maupertuis (10 février 1757) : "J'ai vu exécuter Damiens de fort près ; j'ai voulu voir et j'ai entendu dire tout le contraire de ce que j'ai vu, et on me le disait tandis que je voyais le contraire. Je le voyais abattu, consterné, souffrant, embrassant le crucifix, baisant le curé de Saint-Paul, contrit et humilié... Je crois que sans moi qui ai dit hautement ce que j'avais vu de la fin de Damiens, je crois qu'on aurait imprimé qu'il avait craché au nez du confesseur et bravé les juges et les bourreaux en leur disant qu'il n'avouait rien..."
Bonjour;
RépondreSupprimerIl y a erreur sur la date de la lettre de La Condamine à Maupertuis. En effet, Damiens fut supplicié le 28 mars 1757. Or, vous datez ladite lettre du 10 février de cette même année.
Vous avez raison ! Elle est datée du 10 avril, en fait. Merci de l'avoir rectifié. O.M
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