Dans ce passage, Guillemin revient sur les journées de juillet 1789. Et à l'heure où notre monde connaît à son tour de multiples mouvements populaires (souvent qualifiés de "révolutionnaires"...), on s'aperçoit que l'histoire a tendance à bégayer...
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Réelle, très certainement
l'influence des Lumières sur la Révolution ; mais l'irréligion affirmée,
offensive, militante, à la fin du XVIIIe siècle, est le fait, presque
exclusivement, des hautes classes, grands bourgeois, avec les Cambon, ou
aristocrates éclairés comme Mirabeau, Condorcet, Sade. Complexes, comme on
voit, parfois même contradictoires, les origines du mouvement de 1789. Mais
d'où vient-elle, cette banqueroute effectivement menaçante ? Impossible de ne
pas évoquer les dépenses démentielles qu'entraînait cette cour de Versailles
dont Fénelon dénonçait déjà, sous Louis XIV, l'épuisante succion qu'elle
infligeait à la substance française. Et si Marie-Antoinette est « unanimement
détestée dans Paris » (ces mots terribles figurent dans une dépêche du ministre
de Prusse, en 1787) c'est moins pour l'inconduite qu'on lui impute - avec bien
des exagérations, sans doute - que pour la frénésie trop voyante avec laquelle
(selon Gérard Walter qui use là d'un mot juste dans son ouvrage de 1947 sur la
reine coupable et infortunée) Marie-Antoinette gaspille l'argent du Trésor.
Tout cela, certes, a compté dans la ruine des finances ; mais la cause
principale est ailleurs.
Marie-Antoinette |
Elle réside dans le recours
systématique à l'emprunt pour fournir à l'État l'argent frais dont il a besoin,
mais au prix d'un alourdissement perpétuel et fatalement, à court terme,
insoutenable, de sa dette. Telle est la politique, simpliste, élémentaire, de
ce Necker une première fois chargé du Trésor, congédié, puis rappelé auprès de
lui par le roi. Necker avait accompli ce (facile) miracle de permettre à la
France, en Amérique, sa revanche militaire contre les Anglais - une guerre est
toujours coûteuse - sans augmenter d'un centime les impôts. (...) Sa méthode est sans variantes :
emprunt, emprunt, et encore emprunt. Sait-on - mais j'ai constaté la surprise
de quiconque en est aujourd'hui avisé -qu'en plein drame financier, face à la
banqueroute, Necker, une fois de plus (encore et toujours), a proposé un
emprunt ? Quelle manne, chaque fois, pour les banques, ces mesures quêteuses,
cette mendicité de l'État ! Necker l'ignore moins que personne. Il est la
providence des banquiers.
Necker |
Désemparé, presque éperdu, Louis
XVI a reculé, pas à pas, depuis le 5 mai. Les États généraux sont devenus
Assemblée nationale, puis Assemblée constituante : fin de l'absolutisme royal,
et Louis XVI, persuadé du droit divin des rois, a le sentiment qu'on veut
l'obliger à un sacrilège. Sa femme, qui a toujours désapprouvé la réunion des
états généraux, le pousse à user de la force : qu'il réunisse autour de
Versailles et de Paris des régiments sûrs, qu'il les déploie soudain en ordre
de bataille, et nul ne pourra s'opposer à ce qu'il congédie et dissolve
l'Assemblée révolutionnaire. Le 12 juillet, Louis XVI congédie Necker, le
remplace par Breteuil, ferme partisan de la réaction, et confirme ses
instructions à Broglie, chef des armées.
Résultat ? Le 14 juillet. Mais
voyons un peu les détails. Comique, amèrement comique, mais indéniable, la
popularité de Necker, homme d'argent avant tout, et, au surplus, en Pays de
Vaud, où est son château de Coppet, grand propriétaire terrien farouchement
attaché à ses droits féodaux. Au Palais-Royal, Necker renvoyé, Camille
Desmoulins vocifère, gesticule, appelle à une résistance violente contre
l'agression royale. Et déjà s'est constitué, à l'Hôtel de Ville, un comité de
grands notables aussi fermement résolu à faire plier le roi qu'à surveiller ces
vilaines gens toujours capables, dans Paris, de vouloir profiter d'une crise
politique pour assouvir leurs convoitises.
Contre les régiments de ligne
(d'ailleurs, à ce qu'il semble, peu belliqueux ; Broglie et Besenval en sont
conscients et l'avouent au roi), le comité municipal improvisé a conçu
l'organisation d'une milice bourgeoise à deux fins : ces civils armés se dresseront
contre les soldats pour les intimider, ou, mieux, peut-être, les convaincre
d'une collaboration fraternelle, mais, en même temps (et, là, peut-être le nom
de garde nationale serait-il préférable à milice bourgeoise) les responsables,
immédiatement choisis, de ces bataillons populaires auront mission de les
contrôler, de les maintenir dans le droit chemin. Le peuple en armes qui doit
forcer le roi à rappeler Necker et à laisser la Constituante faire son travail,
ce peuple-là ne saurait avoir dans ses rangs les sages de l'Hôtel de Ville. Ces
messieurs sont les généraux de l'armée civique ; et les généraux ne se mêlent
point aux combattants. Le peuple, ce sont les bonnes gens, les petites gens,
les ouvriers ou artisans qui crient si bien : « Vive la liberté ! » et qui ne
demandent, gentils héros, qu'à payer de leur personne. Leur distribuer des
armes, leur indiquer où les prendre, c'est un risque à courir, indispensable
pour l'heure, mais sur lequel il faut garder les yeux ouverts pour le limiter
d'abord, l'annuler ensuite et au plus tôt.
La prise de la Bastille |
On a lancé ces plébéiens sur la
citadelle de la Bastille, parfait symbole de l'autocratie à renverser. Ils y
ont fait merveille, perdant, sous les balles, une petite centaine d'entre eux. Mais
le premier soin de la nouvelle municipalité tricolore sera d'ôter leurs fusils
à ces plébéiens qui n'ont pas vocation à disposer de pareils outils.
L'histoire, l'histoire sérieuse, l'histoire
historique, comme disait, en souriant, Péguy, n'a pas encore, je crois, assez
mis en lumière la place qu'a tenue, dans la Révolution française, et dès le
début, la crainte, chez les possédants, d'une menace sur leurs biens. Écoutez,
simplement, Mme de Staël dans ses Considérations de 1816, son dernier écrit;
elle avoue le frisson d'effroi qui l'a secouée, elle et tous les nantis, dès
1789. « Les gens de la classe ouvrière, écrit-elle, encore émue à ce souvenir, s'imaginèrent
que le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux. » Et
Chateaubriand confirme dans son style à lui : « Les sabots frappaient à la
porte des gens à souliers. » Germaine Necker se félicitera de n'avoir eu qu'une
seule fois devant elle Robespierre, ce monstre : « Ses traits étaient ignobles,
ses veines d'une couleur verdâtre. » Suit aussitôt l'explication de ce portrait
surprenant : « Sur l'inégalité des fortunes et des rangs, Robespierre
professait les idées les plus absurdes. » Il est vrai qu'en effet, dans sa
profession de foi du printemps 1789 pour les élections aux États généraux, Robespierre
s'était exprimé avec une lucidité brutale : « La plus grande partie de nos
concitoyens, disait-il, est aujourd'hui réduite par l'indigence au seul souci
de survivre ; asservie à ce point, elle est incapable de réfléchir aux causes
de sa misère et aux droits que la nature lui a donnés. » En langage
contemporain (et anachronique), nous parlerions de dynamite dans un texte
pareil, et l'on comprend que Mme de Staël, en alerte extrême quant à la
sécurité de ses millions, avait quelques raisons de tenir Robespierre pour un
homme très particulièrement fâcheux et funeste. (à suivre)
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