samedi 22 décembre 2012

Silence aux pauvres !- Henri Guillemin (5)

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Marie-Antoinette
 Michelet éprouve une telle aversion pour Robespierre, à cause de sa politique religieuse, qu'il récuse l'évidence et ose écrire cette phrase absurde : « La guerre ? La cour en avait peur, une peur effroyable. » Drôle de peur que celle de Marie-Antoinette faisant dire à son frère Léopold : « Le plus grand service qu'il pourrait nous rendre serait de nous tomber immédiatement sur le corps », avec ses meilleures troupes ; et dans cette même lettre qu'elle adressait le 7 décembre, à Mercy-Argenteau, l'ancien ambassadeur d'Autriche à Paris, parlant des bellicistes de l'Assemblée, elle notait, jubilante : « Les imbéciles ! Ils ne voient pas qu'ils nous servent. » C'est qu'en effet, après l'échec de Varennes (alors qu'il ne s'agissait que d'aller chercher, à Montmédy, des régiments français capables d'intimider les Parisiens), l'Autrichienne Marie-Antoinette a persuadé son mari que l'unique salut de la monarchie dépend d'une intervention armée des puissances. Et si Louis XVI est pour la guerre, c'est qu'il en devine aisément la conclusion désastreuse.

Louis XVI
Le jour même où Narbonne, le 14 décembre [1791], développe à la tribune les raisons, hautes ou moins hautes, pour lesquelles il souhaite et veut la guerre, ce même 14 décembre, Louis XVI écrit à Breteuil (émigré): «L'état physique et moral de l'armée française est tel qu'elle est incapable de soutenir même une demi-campagne. » À cette époque, en principe du moins, pas de campagne en hiver ; on se bat seulement six mois, et Louis XVI, très exactement renseigné, sait que la France n'est pas en mesure de mener sans s'y détruire trois mois seulement de combats. C'est pourquoi la guerre lui plaît tant : les révolutionnaires s'y perdront, le droit divin triomphera. Il est ravi de voir la Législative lancer un ultimatum à l'Électeur de Trèves avec délai d'un mois. Louis XVI conseille aussitôt secrètement à l'intéressé de ne pas céder aux exigences françaises et, au début du mois, le 3 décembre, le roi a réclamé le secours de la Prusse pour qu'elle l'aide à briser les factieux dont la terrible malfaisance, qu'il subit, risque de « gagner les autres États ». Et dès que le Conseil des ministres arrête, dans ses grandes lignes, le plan d'action des armées françaises, Marie-Antoinette s'empresse de communiquer à Vienne toutes indications à ce sujet.

Insupportables, ces Austro-Prussiens qui, en dépit des sollicitations, gémissements, supplications dont Marie-Antoinette les accable, ne se décident toujours pas à tirer l'épée. C'est qu'à Vienne comme à Potsdam, on est obsédé, d'abord, par les convoitises russes sur la Pologne. Un nouveau partage de cette malheureuse nation est en vue. Léopold et Frédéric-Guillaume redoutent la voracité de Catherine II. Plutôt que de guerroyer en France — on verra plus tard —, ils entendent garder intactes leurs forces militaires pour retenir Catherine dans l'excès de ses desseins. Mais voici que des événements se produisent, concernant l'ordre social et qui augmentent la hâte bourgeoise d'un état de guerre libérateur. Des désordres (minimes) ont lieu dans Paris, surtout en raison de la hausse très forte du prix du sucre et du savon, conséquence des tumultes raciaux de Saint-Domingue. Le 3 mars [1792], à Étampes, les journaliers qui réclament en vain une intervention municipale permettant d'ajuster leurs faibles salaires immuables au prix croissant du pain, se fâchent et tuent le maire, Simonneau. Profonde émotion chez les gens de bien, et, le 15 mars, Mallet du Pan, ce Genevois homme d'ordre qui se mettra bientôt au service des Princes émigrés et de la cour de Vienne, publie, dans le Mercure de France un article-cri d'alarme : « Le jour est arrivé ou les propriétaires de toutes classes doivent sentir enfin qu'ils vont tomber sous la faux de l'anarchie » ; « Les indigents, précise-t-il, préparent un sac universel. »

déclaration de guerre à l'Autriche
Alors Louis XVI saute le pas ; il prend un ministère jacobin, avec Roland à l'Intérieur, Clavière aux Finances, Dumouriez aux Affaires étrangères, et, bientôt, Servan à la Guerre. Roland (de La Platière) est un vieil homme riche ; il a cinquante-huit ans — ce qui, pour l'époque, est un âge avancé (le roi en a trente-huit, la reine trente-sept, Robespierre trente-quatre, Danton trente-trois) ; Clavière, fils d'un Genevois richissime, a gagné une fortune à Paris dans les assurances ; il dispose, à Suresnes, d'une propriété somptueuse. Ces révolutionnaires au pouvoir ne sont là, on s'en doute bien, dans la pensée du roi, que pour porter personnellement (je veux dire : eux et leur groupe de progressistes) la responsabilité de la guerre. Ils ne demandent pas mieux. Et, sous prétexte que l'empereur d'Autriche — ce n'est plus Léopold, c'est son fils François II — a envoyé à l'Électeur de Trèves, sur sa demande, quelques soldats supplémentaires pour se défendre contre une éventuelle et trop probable agression française, l'Assemblée décide, le 20 avril 1792, avec la pleine (et joyeuse) approbation du roi, qu'elle répond par une déclaration de guerre à la provocation autrichienne.

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