lundi 31 décembre 2012

Panthéoniser Diderot ? (4)


Pour se différencier de la piétaille littéraire mais aussi de l’ancienne génération des hommes de lettres, d’Alembert assène en 1753 son célèbre mot d’ordre : « Liberté, vérité et pauvreté, car quand on craint cette dernière, on est bien loin des deux autres. » (in Essai sur la société des gens de lettres et des grands). Contrairement à Rousseau, qui prétend que l’intellectuel est nécessairement un courtisan avide d’honneurs et de gratifications (relisez son Discours sur les Sciences et les Arts), d’Alembert s'interroge sur une voie médiane et propose pour sa part un code de bonne conduite à ses pairs. 
D'Alembert


Selon lui, c’est en refusant de courtiser les grands de ce monde, et donc en refusant le mécénat, que l’intellectuel peut conquérir sa liberté de parole et le droit de dire sa vérité.

Si les réactions à ce manifeste sont plutôt mitigées (on comprendra aisément pourquoi !), il faut bien reconnaître que le triumvirat d’Alembert-Diderot-Rousseau montre l'exemple en refusant toute compromission. Le 1er vit chichement chez sa nourrice, et il ne fréquente quasiment aucun salon sinon celui de Mme du Deffand. Le 2nd se contente des maigres appointements que lui versent alors les Libraires pour la direction de l’Encyclopédie ; quant au Genevois, il quitte même son poste de secrétaire auprès de Mme Dupin pour devenir copiste de musique à son compte !
Si on ne saurait incriminer Diderot pour les 80 000 livres que lui rapportent finalement ses vingt années de salariat auprès des Libraires et qu'on ne lui reprochera pas davantage la rente foncière que son père lui laisse en héritage (pour la seule année 1760, 1430 livres), force est de constater l'embourgeoisement progressif de l'encyclopédiste au cours de la décennie 1755-65. 

Mais  le pire reste à venir...
Après la naissance de sa fille Angélique, Diderot se met soudain en tête de vendre l'ensemble de sa bibliothèque (estimée à environ 10 000 livres). Maladroit en affaires, il confie à son ami Grimm le soin de trouver un acquéreur fortuné. 
Catherine II
En 1765, c'est l'impératrice Catherine II en personne qui lui en offre 15 000 livres en plus d'une pension annuelle de 1000 livres. En acceptant ce marché, Diderot s'engage implicitement à devenir un de ces innombrables laudateurs appointés par les têtes couronnées. Dans Diderot et l'Encyclopédie, J Proust va jusqu'à parle de "domesticité des grands". L'année suivante, en versant d'un coup les 50 000 livres qu'elle doit, l'impératrice achève de nouer un collier doré autour du cou de Diderot.
En 1767, lorsqu'elle tire sur la laisse pour exiger la présence de l'encyclopédiste auprès d'elle, le pauvre Diderot s'exécute en silence.
Bientôt, il tombera encore plus bas dans l'avilissement. 
(à suivre) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...