Emilie du Châtelet |
Il n'en fut rien...
Comme le rappelle Elisabeth Badinter dans son Emilie, Emilie ou l'ambition féminine, si le XVIIIè siècle accepte la complémentarité de l'homme et de la femme, la nature de celle-ci lui ordonne avant tout d'enfanter et de materner. Doté de la force physique et du pouvoir de la raison, l'homme se chargera pour sa part des choses de l'esprit...
Tout au plus concède-t-on à la femme le droit de s'adonner aux genres littéraires les plus bas, à savoir le roman ou encore les récréations poétiques.
L'ambition scientifique d'Emilie du Châtelet fut quasi unaniment raillée, comme en témoigne ce portrait qu'en fit la Marquise du Deffand dans un numéro de la Correspondance Littéraire (en 1777)
"Représentez-vous une femme grande
et sèche, sans cul, sans hanches, la poitrine étroite, deux petits tétons
arrivant de fort loin, de gros bras, de grosses jambes, des pieds énormes, une
très petite tête, le visage aigu, le nez pointu, deux petits yeux vert-de-mer,
le teint noir, rouge; échauffé, la bouche plate, les dents clairsemées et
extrêmement gâtées. Voilà la figure de la belle Émilie, figure dont elle est si
contente qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir: frisure, pompons,
pierreries, verreries, tout est à profusion; mais, comme elle veut être belle
en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de la fortune,
elle est souvent obligée de se passer de bas, de chemises, de mouchoirs et
autres bagatelles.
Née sans talents, sans
mémoire, sans goût, sans imagination, elle s’est faite géomètre pour paraître
au-dessus des autres femmes, ne doutant point que la singularité ne donne la
supériorité. Le trop d’ardeur pour la représentation lui a cependant un peu
nui. Certain ouvrage donné au public sous son nom, et revendiqué par un
cuistre, a semé quelques soupçons; on est venu à dire qu’elle étudiait la
géométrie pour parvenir à entendre son livre. Sa science est un problème
difficile à résoudre. Elle n’en parle que comme Sganarelle parlait latin,
devant ceux qui ne le savaient pas. Belle, magnifique, savante, il ne lui
manquait plus que d’être princesse; elle l’est devenue, non par la grâce de
Dieu, non par la grâce du roi, mais par la sienne. Ce ridicule a passé comme
les autres. On la regarde comme une princesse de théâtre, et l’on a presque
oublié qu’elle est femme de condition. On dirait que l’existence de la divine
Émilie n’est qu’un prestige: elle a tant travaillé à paraître ce qu’elle
n’était pas qu’on ne sait plus ce qu’elle est en effet. Ses défauts mêmes ne lui
sont peut-être pas naturels, ils pourraient tenir à ses prétentions; son
impolitesse et son inconsidération, à l’état de princesse ; sa sécheresse et ses
distractions, à celui de savante ; son rire glapissant, ses grimaces et ses
contorsions, à celui de jolie femme. Tant de prétentions satisfaites n’auraient
cependant pas suffi pour la rendre aussi fameuse qu’elle voulait l’être : il
faut, pour être célèbre, être célébrée ; c’est à quoi elle est parvenue en
devenant maîtresse déclarée de M. de Voltaire. C’est lui qui la rend l’objet de
l’attention du public et le sujet des conversations particulières; c’est à lui
qu’elle devra de vivre dans les siècles à venir, et en attendant elle lui doit
ce qui fait vivre dans le siècle présent."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...